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Djibouti, le carrefour de la Corne de l’Afrique

La position centrale de Djibouti dans la Corne de l’Afrique fait de ce territoire un carrefour dangereux, comme le montre l’attentat suicide du 24 mai 2014 (3 morts) revendiqué par les islamistes somaliens shebab. Mais aussi un carrefour très fréquenté et courtisé par toutes les grandes puissances, notamment la Chine et les Etats-Unis.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des dockers en train de décharger un cargo dans le port de Djibouti le 30 novembre 2011. Un port qui est l'unique débouché maritime de l'Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d'Afrique et qui connaît une croissance proche de 10%. (AFP - Eric Cabanis)

Depuis les législatives du 22 février 2013, la vie politique djiboutienne «peine à retrouver sa sérénité» même si l’élection a «été jugée honnête et transparente par les observateurs étrangers», constate Jeune Afrique. Les résultats du scrutin sont contestés par la coalition d’opposition, l’Union pour le salut national (USN): celle-ci a obtenu 35,5% des voix, contre 61% des voix à la majorité du président Ismail Omar Guelleh.
 
La vie politique de Djibouti est émaillée d'arrestations d'opposants qui contestent le régime autoritaire du président Guelleh, 66 ans, au pouvoir depuis 1999. Selon Reporters sans Frontières (RSF), un journaliste, Mohamed Ibrahim Waiss, reporter à La Voix de Djibouti, a été arrêté le 8 août. En février 2011, le président de la Ligue djiboutienne des droits humains (LDDH), Jean-Paul Noël Abdi, avait été arrêté puis libéré quelques semaines plus tard, rapporte Amnesty International. Motif invoqué : participation à un mouvement insurrectionnel «pour avoir enquêté sur les arrestations qui ont eu lieu à la suite (de) manifestations étudiantes».

Attentat revendiqué par les shebabs
Mais c’est surtout la position géopolitique de Djibouti, voisine de la Somalie, de l’Ethiopie, de l’Erythrée, et situé face au Yémen, qui inquiète les observateurs étrangers.

Pour la première fois, les islamistes somaliens des shebabs ont ainsi revendiqué un attentat suicide commis le 24 mai 2014 contre «les croisés français». Parmi la vingtaine de blessés (dont sept Français, quatre Allemands, trois Espagnols et six Néerlandais) figurent des militaires et des civils participant à des missions européennes de lutte contre la piraterie somalienne, selon l’UE. Ainsi que des employés français d’une firme privée participant à la formation de policiers djiboutiens de la force de l’ONU au Darfour (Soudan), rapporte le groupe Sovereign Global.
 
Ils affirment avoir visé les Français pour «leur complicité dans les massacres» de musulmans en Centrafrique et pour «leur rôle actif dans la formation et l'équipement des troupes djiboutiennes en Somalie ainsi que leur intervention croissante dans les affaires (des) terres musulmanes».

Militaires djiboutiens œuvrant dans le cadre de l'ONU en Somalie le 15 mars 2014. (AFP - Au-Un Photo - Ilyas Aabukar)

Dans leur communiqué, les islamistes somaliens enjoignent Ismail Omar Guelleh de retirer ses troupes de Somalie et d’«expulser les croisés de Djibouti». Le pays fournit environ un millier de soldats à l’Amisom, déployée depuis 2007 en Somalie, et dont les effectifs ont récemment été portés à 22.000 hommes (l’Ouganda, le Burundi, l’Ethiopie et le Kenya sont les principaux Etats contributeurs). 

«Cette attaque n’est qu’un début et ce qui va bientôt suivre, si vous refusez (…) sera bien pire», affirment les shebabs. «En acceptant les termes du contrat avec Barack Obama dans la guerre contre l'islam et en autorisant l'accès de votre pays et de vos installations aux croisés, vous avez volontairement signé un pacte avec le diable», poursuivent les islamistes.

Bases militaires étrangères
L’ancienne colonie française abrite une importante base militaire américaine (le camp Lemonnier), la seule sur le continent noir. L’installation, qui compte plusieurs milliers d’hommes, est notamment utilisée pour des opérations contre les groupes armés islamistes au Yémen, en Somalie et dans le reste de l'Afrique. Un accord a été signé avec les Etats-Unis pour prolonger son bail de dix ans. Un accord qui est «une mauvaise nouvelle pour les shebabs» puisque c’est de cette base «que décollent les avions de reconnaissance et les drones Predator qui les traquent sans relâche», observe Jeune Afrique. De son côté, la France maintient, elle aussi, un contingent militaire dans le pays.

Dans le même temps, le port de la ville de Djibouti sert de base pour les opérations maritimes internationales contre la piraterie somalienne dans l’océan Indien. Le pays accueille ainsi «des corps expéditionnaires européens (allemands, espagnols, néerlandais et italiens) de la force Atalante», toujours selon Jeune Afrique. Il accueille également 700 soldats japonais, les premiers déployés hors des frontières nippones depuis 1945. Des négociations sont en cours avec la Russie et avec la Chine, premier partenaire économique et premier investisseur du pays, désireux eux aussi d’y avoir une présence militaire.

«Aimant»
Aujourd’hui, Djibouti reste un pays pauvre, où 42% de ses 900.000 habitants vivent sous le seuil de pauvreté. Dans ce contexte, sa situation géographique est pour lui un atout majeur. Son port est ainsi le seul accès maritime de l’Ethiopie, deuxième pays le plus peuplé d’Afrique (plus de 85 millions d’habitants) et qui connaît une croissance proche de 10%, une des plus fortes enregistrées dans un  pays subsaharien non producteur de pétrole: la quasi-totalité des échanges commerciaux d’Addis Abeba se font par Djibouti.

La frégate de surveillance française Nivôse quitte le port de Djibouti pour convoyer des navires de commerce dans le golfe d'Aden le 25 novembre 2008. (AFP - Eric Cabanis)

Comme on l’a vu, cette position géostratégique agit auprès des grandes puissances «comme un aimant», pour reprendre une expression de Jeune Afrique. Mais aussi auprès des investisseurs en raison d’un PIB (en hausse estimée de 4,5% en 2011, apparemment le dernier chiffre connu) plus important que celui de nombre de ses voisins. Autant d’éléments positifs pour un Etat qui profite évidemment en même temps de la manne financière apportée par les installations militaires étrangères.

De leur côté, les autorités djiboutiennes ne cachent pas leur volonté de développer leurs relations économiques avec Pékin. Tout en faisant part de la «léthargie», selon elles,  du gouvernement et des entreprises françaises sur leur marché.

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