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La Cité des sciences et de l'industrie propose une exposition de l’artiste sierra-léonais Abu Bakarr Mansaray, à la frontière du rêve et du réel

Article rédigé par Laurent Filippi
France Télévisions
Publié Mis à jour
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A la croisée de la science et de l’art, les créations de l’artiste dévoilent un univers à l’imaginaire foisonnant, fortement marqué par la guerre civile qui a ravagé son pays entre 1991 et 2002.

L’exposition visible à la Cité des sciences et de l'industrie à Paris jusqu’au au 20 février permet de découvrir le travail d’Abu Bakarr Mansaray, artiste autodidacte – peintre, dessinateur et sculpteur – né en 1969 en Sierra Leone.

Entre artisanat et sciences de l’ingénieur, entre Art brut et Afrofuturisme, l’univers d’Abu Bakarr Mansaray est sillonné d’aéronefs démesurés, de machines de guerre post-apocalyptiques ou sorties de l’enfer.

Pour Gaël Charbau, commissaire artistique de l’exposition, "bien plus qu’un simple motif, la machine est constitutive de la modernité en art. Les bouleversements technologiques n’ont cessé d’alimenter l’imaginaire des artistes qui ont fait de cette machine un mythe, tantôt symbole d’une humanité débarrassée des tâches les plus ingrates et tournée vers un progrès libérateur, tantôt au contraire incarnation des maux les plus destructeurs de notre civilisation".

L’exposition s’accompagne d’un catalogue constituant la première monographie consacrée à Abu Bakarr Mansaray dont l’ensemble des œuvres provient de la Collection d’art africain de Jean Pigozzi.

Les textes inédits des auteurs – André Magnin, galeriste et expert de l’art moderne et contemporain africain, Myriam Odile Blin, sociologue de l’art, et Gérard Azoulay, responsable de l'Observatoire de l'espace du CNES – contribuent à comprendre les ressorts d’une œuvre à la frontière du rêve et du réel.

Abu Bakarr Mansaray est découvert au début des années 1990 par André Magnin qui effectue alors des recherches sur l’art en Afrique en tant que directeur artistique de la Collection Jean Pigozzi. Ses premières œuvres faites de ferraille, de petits moteurs, de produits électroménagers récupérés dans les décharges forment des sculptures en métal ultra-sophistiquées qui crachent du feu ou encore actionnent des organes mécaniques… Mais en raison du danger engendré par la guerre civile (1991-2002), Abu Bakarr Mansaray ne peut plus se rendre dans les décharges. Pour fuir le conflit qui ensanglante son pays, Mansaray décide de partir se réfugier aux Pays-Bas en 1998. Il va pouvoir alors participer à de nombreuses expositions à l’international. Mais en 2013, après quinze ans d’exil, il retourne vivre dans son pays natal.    (ABU BAKARR MANSARAY, COURTESY OF THE JEAN PIGOZZI COLLECTION OF AFRICAN ART. PHOTO: MAURICE AESCHIMANN)
Sur les conseils d’André Magnin fasciné par son talent et la découverte de ses petits carnets représentant les schémas de machines et d’objets volants mystérieux, il lui conseille alors de dessiner encore plus, toutes les choses qu’il a dans la tête, "même les plus dingues !" Cité par "Le Point", le galeriste raconte : "J’avais sous les yeux une incroyable succession de plans et de projections, avec des pages de calculs, des notes et des formules. J’en ai montré à un ami ingénieur qui m’a confirmé la véracité de certains principes que développe Abu Bakarr."    (ABU BAKARR MANSARAY, COURTESY OF THE JEAN PIGOZZI COLLECTION OF AFRICAN ART. PHOTO: MAURICE AESCHIMANN)
L’artiste crée au crayon et au stylo bille sur de très grandes feuilles des machines imaginaires, des engins pour la plupart destinés à faire la guerre et à tuer. Il accompagne ses véhicules futuristes – certains nommés "Avion sorcière" ou "Arme mystique" – de nombreuses annotations techniques, de schémas complexes, de rouages et de calculs ésotériques. Humains mais aussi extraterrestres trouvent alors ici leur place dans certaines de ses œuvres où la destruction est omniprésente. Le rapport de l’artiste aux machines est "ambigu", souligne sur RFI, Gaël Charbau, le commissaire artistique de l’exposition. "La vision du monde d’Abu Bakarr Mansaray est généreuse, humaniste, mais il se bat aussi contre des démons. La guerre civile l’a marqué et cela se ressent parfois. D’autres tableaux, en revanche, témoignent d’une imagination totalement débridée qui n’est rien d’autre que la poésie mécanique d’un ingénieur-poète".      (ABU BAKARR MANSARAY, COURTESY OF THE JEAN PIGOZZI COLLECTION OF AFRICAN ART. PHOTO: MAURICE AESCHIMANN)
Myriam Odile Blin explique : "Comprendre l’œuvre d’Abu Bakarr Mansaray oblige, dans un premier temps, à saisir le contexte qui l’a vu naître : la guerre civile sierra-léonaise, l’une des plus violentes que l’Afrique de l’Ouest ait connues. (…) Amputations, viols, tortures, violences diverses ont été le lot quotidien des populations civiles. Les citoyens de Sierra Leone ont connu l’enfer, certains en sont revenus, d’autres non, et le pays n’a été que ruines et désolation, chaos, cadavres empilés, un certain temps. Mansaray a échappé à la tourmente grâce à l’exil en 1999 vers les Pays-Bas. Mais le hanteront longtemps les fantômes d’un enfer dont il n’est en réalité pas revenu aussi vite. (…) Cet arrière-plan historique est la première des clés nécessaires pour saisir les ressorts d’une œuvre singulière et universelle dans ce qu’elle dénonce et met en forme : la capacité destructrice de l’homme sous toutes les latitudes et à toutes les époques."     (ABU BAKARR MANSARAY, COURTESY OF THE JEAN PIGOZZI COLLECTION OF AFRICAN ART. PHOTO: MAURICE AESCHIMANN)
En préparant une exposition sur la perception de l’univers spatial chez les artistes africains résidant en Afrique subsaharienne, Gérard Azoulay déclare : "Il aurait pu s’inscrire dans cette mouvance d’artistes africains qui, de prime abord, ont vu dans l’usage du progrès un moyen pour les guider vers un autre destin, leur permettre enfin de s’extraire d’un monde terrestre où ne règnent que le chaos et la violence. Il se défie de l’enchantement que procure la science mais paradoxalement, n’hésite pas à introduire une fausse complexité dans son travail pour forger une idée de la science, pour donner du crédit à son propre univers. Il se baigne littéralement dans un imaginaire technique et en ressort avec des objets saisissants. (…) A ceux qui croient encore à la rédemption par le progrès, Mansaray, à travers les formes que la technologie fait apparaître, renvoie une vision torturée de cet espoir."      (ABU BAKARR MANSARAY, COURTESY OF THE JEAN PIGOZZI COLLECTION OF AFRICAN ART. PHOTO: MAURICE AESCHIMANN)
Depuis son retour en Sierra Leone il y a presque dix ans, Abu Bakarr Mansaray aujourd’hui âgé de 53 ans fait fructifier son argent avec la vente de ses œuvres en achetant terres, maisons et voitures. Ne répondant pratiquement plus aux sollicitions des journalistes et n’allant jamais aux vernissages, il préfère passer ses journées dans la brousse et "vivre dans son monde, sur sa planète", précise André Magnin.    (ABU BAKARR MANSARAY, COURTESY OF THE JEAN PIGOZZI COLLECTION OF AFRICAN ART. PHOTO: MAURICE AESCHIMANN)

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