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Azzedine Alaïa, «le plus tunisien des grands couturiers parisiens»

Azzedine Alaïa, figure adulée du monde de la mode, mort à Paris dans la nuit du 17 au 18 novembre 2017, a été enterré à Tunis le 20 novembre. Il avait inventé le body, le caleçon noir moulant, la jupe zippée dans le dos. Il était également connu pour ses robes sculpturales et intemporelles sublimant le corps féminin. Un exemple illustre de la richesse du secteur de la mode en Tunisie.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Azzedine Alaïa devant l'une de ses créations lors d'une exposition à la villa Borghese à Rome, le 10 juillet 2015. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Le couturier a été enterré le 20 novembre à Sidi Bou Saïd, au nord de Tunis, dans une relative discrétion en présence de ses proches. Sa famille avait en effet souhaité lui rendre un dernier hommage discret. A l’image de l’homme qu’il avait été, fuyant les podiums et la publicité, préférant travailler dans son atelier-boutique du quartier du Marais à Paris.

Discret toujours. On savait qu’il était né en 1940. Mais on ne savait pas exactement quand. Il cultivait la coquetterie quant à la date exacte de sa naissance. «J’ai l’âge des pharaons. Les dates, je les ai effacées», aimait à dire ce petit homme.

«Ma petite taille m’a rendu service», racontait-il avec humour. Toutes les belles lui… caressaient la tête, quand il a commencé à fréquenter le gratin parisien. Et ce grâce notamment à Habiba Menchari, mère de Leïla Menchari (créatrice des vitrines d’Hermès). Egalement connue pour avoir dénoncé dès 1929 «le voile et la polygamie à visage découvert», Habiba Menchari l’avait notamment introduit auprès de la maison Dior.

Couturier sculpteur
Les plus hautes autorités de l’Etat tunisien lui ont rendu hommage. «Il a représenté la Tunisie de la meilleure manière», a estimé le président Béji Caïd Essebsi, qui s'est rendu à la maison du créateur à Sidi Bou Saïd pour présenter ses condoléances. «Nous sommes très fiers de cet artiste», a déclaré de son côté le ministre de la Culture, Mohamed Zine El Abidine. Dans ses créations, il a exprimé «la quintessence, la beauté, l'imagination fertile» de la Tunisie, a-t-il ajouté.

Robe, signée Azzedine Alaïa, de la collection printemps-été 1997 du couturier. Vêtement en jersey acétate moiré, montré lors de la rétrospective présentée au musée de la Mode au palais Galliera à Paris en 2013. (REUTERS/Philippe Wojazer)

Azzedine Alaïa était issue d’une famille d’agriculteurs installée à Siliana (110 km au sud-est de Tunis). Mais il «a été élevé par sa grand-mère au cœur de la médina de Tunis, dans le quartier de Bab Souika», raconte Jeune Afrique. Il commence à travailler pour une couturière de son quartier. «Il assure les finitions pour sa sœur Hafidha, reproduit des modèles des maisons Dior, Balenciaga ou Balmain pour des clientes (locales) et se forge une réputation qui attire les belles de Tunis», poursuit Jeune Afrique.

Cela ne l’empêche pas d’étudier la sculpture à l’école des Beaux-Arts de la capitale tunisienne. Une formation qui a laissé chez lui des traces profondes. «J’ai appris beaucoup de choses avec Azzedine Alaïa. Lui qui était un sculpteur, il a sculpté le corps de la femme», raconte le styliste tunisien Salah Barka. De fait, le couturier concevait ses vêtements en trois dimensions, se servant peu du dessin, préférant créer les robes à même le corps féminin. Lors d’une exposition en 2015 à la Villa Borghese à Rome, intitulée Couture/sculpture, il avait d'ailleurs présenté ses robes au milieu de statues antiques.

L’aventure parisienne
Il débarque à Paris à la fin des années 50. Il travaille brièvement chez Dior et Guy Laroche. Profondément indépendant, il devient jeune homme au pair. Il n’en commence pas moins à habiller des dames du monde. Sous l’impulsion de Thierry Mugler, il présente en 1979 sa première collection griffée, avant de créer sa marque l’année suivante. Il va ainsi progressivement devenir «le plus Tunisien des grands couturiers parisiens», comme l’écrit joliment la journaliste Alya Hamza dans La Presse, principal quotidien francophone de Tunisie. Il habille alors les plus grandes dames, d’Arletty à Michelle Obama en passant par Greta Garbo.

Les célébrités se l'arrachent, notamment la sculpturale Grace Jones qui pose dans ses vêtements sous l'objectif de Jean-Paul Goude. En 1989, ce dernier lui commande la toge-drapeau portée par la cantatrice Jessye Norman pour le défilé du bicentenaire de la Révolution française.

Drapée dans le drapeau français, la cantatrice américaine Jessye Norman interprète La Marseillaise, sur la place de la Concorde à Paris, le 14 juillet 1989, là l'occasion des fêtes de commémoration du bicentenaire de la Révolution française. (​JOEL ROBINE / AFP )

L’homme habille aussi «les princesses saoudiennes qui l’appelaient ‘‘ami oncle’’ et qui le suppliaient de leur faire découvrir le Paris by night, et bien sûr les plus branchées des Tunisiennes dont il signait les robes de mariée souvent sur deux générations», raconte Alya Hamza.

Vieux films et Oum Kalsoum
Il n’en restait pas moins farouchement indépendant. Il «imposait au très exigeant univers de la mode son rythme et ses diktats: il (organisait des défilés) chez lui, dans ses ateliers, selon son propre calendrier, et à son rythme, qui n’était jamais celui des fashion weeks», poursuit la journaliste de La Presse. Il travaillait inlassablement de nuit, au son de vieux films et de chansons de la chanteuse égyptienne Oum Kalsoum. En 2013, il connaît une consécration: le musée de la Mode, installé au palais Galliera à Paris et tout juste rénové, lui consacre son exposition d’ouverture, première rétrospective consacrée à sa carrière.

La gloire ne l’avait pas empêché de rester un «petit Tunisien aux goûts simples, qui recevait de la même manière à la table de sa cuisine journalistes, cousettes, et grands de ce monde autour d’un repas frugal et, quand on lui en apportait, de dattes farcies tunisiennes qu’il adorait. Il mettait la dernière touche à sa maison de Sidi Bou Saïd où il se promettait de venir plus souvent quand il aurait moins de travail», rapporte Alya Hamza.

Création d'Azzedine Alaïa présentée lors d'une exposition à la villa Borghèse à Rome en juillet 2015. (GABRIEL BOUYS / AFP)

Le couturier aura aussi, sans doute, contribué à exercer une influence profonde sur la création tunisienne. «Et si la Tunisie était le pays des créateurs de mode?», demandait, dès 2014, La Presse. Et de rappeler, en citant son nom et celui de créateurs connus comme Max Azria, Fatma Ben Abdallah, ou qui commencent à l’être comme Ali Karoui, Seyf Dean, Haytham Bouhamed: «Depuis plusieurs années, le secteur de la mode en Tunisie est en pleine expansion et de nombreux designers tunisiens sont mis à l’honneur». Un honneur porté très haut par Azzedine Alaïa.

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