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Ces prisons africaines transformées en couloirs de la mort

Elles ont une triste réputation. Les prisons africaines sont devenues de véritables «prisons-mouroirs». Les prisonniers y meurent de tortures, de faim et de maladies, dans des cellules surpeuplées. Des conditions de détention inhumaines que dénonce le directeur adjoint du bureau d’Amnesty International pour l’Afrique de l’Ouest et du Centre, Stephen Cockburn, interrogé par Géopolis.
Article rédigé par Martin Mateso
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
La prison surpeuplée de Ngaragba, en République centrafricaine, abrite plus de 500 détenus. (Photo Amnesty International)

Dans votre dernier rapport 2014-2015, vous dénoncez les conditions d’incarcération particulièrement dures dans les prisons tchadiennes. Elles seraient à l’origine de nombreuses évasions et de mutineries?
La surpopulation carcérale s’est aggravée par la démolition, en 2011, de la principale prison de Ndjamena, la capitale. D’ailleurs, cette prison n’a toujours pas été reconstruite.
En 2012, Amnesty International a publié un rapport critique mettant en exergue des conditions de détention si déplorables qu'elles constituent des peines ou traitements cruels, inhumains et dégradants. Il y est fait état de cellules surpeuplées, d’un manque de nourriture et d'eau potable pour les détenus. Les soins de santé et services médicaux sont quasi inexistants.
 
Malheureusement, peu de choses ont changé. En effet, beaucoup de personnes arrêtées restent des mois sans être inculpées, et des années sans être jugées dans le cadre d’un procès. Par conséquent, la plupart des prisons dépassent leur capacité d’accueil. En novembre 2014, au moins un prisonnier a été abattu par des gendarmes qui gardaient un lieu de détention à Ndjaména après que les détenus se sont rassemblés pour protester contre le fait qu'ils n'étaient plus autorisés à sortir de leurs cellules exiguës.
 
Certaines prisons sur le continent africain sont réputées être devenues de véritables prisons-mouroirs. Qu'en est-il de ces lieux de torture où l’on entre sans aucune assurance d’en sortir vivant?
La surpopulation, l'insalubrité et la torture sont hélas trop fréquentes. Il y a bien sûr des cas extrêmes. Amnesty International a récemment dénoncé les horribles violations des droits humains commises contre des personnes accusées – souvent sur la base de peu ou pas de preuves – d'être des sympathisants de Boko Haram dans le Nord du Nigeria.
 
On estime que plus de 7.000 personnes, hommes et garçons sont morts en détention dans le nord du Nigeria durant ces quatre dernières années. Dans un seul endroit – Giwa Barracks – plus de 1.400 détenus sont morts durant le seul mois de juin 2013. Beaucoup ont été délibérément affamés, d'autres torturés à mort, tandis qu’un grand nombre a succombé à des maladies liées aux conditions sanitaires terribles et à la malnutrition. Des prisonniers ont rapporté comment ils devaient boire leur propre urine faute d'eau, et comment ils se relayaient pour s’asseoir et essayer de dormir. Les cadavres étaient sortis des cellules chaque matin.
 
Prisonniers détenus dans un garage à Abidjan, le 9 avril 2011. (Photo Reuters/Emmanuel Braun)

Certains pays vous rétorquent qu’ils ne disposent pas de moyens pour construire des prisons respectant les normes internationales. Que répondre à ceux pour qui les prisons ne doivent pas être considérées comme des hôtels?
Personne ne demande des conditions de luxe pour les détenus, mais des conditions décentes en conformité avec le droit international. Les personnes qui ont été privées de liberté conservent leurs autres droits humains et l'Etat a la responsabilité de s'occuper des personnes dont il a la garde. Un minimum inclut un matelas, un espace suffisant pour dormir, l'accès à l'eau potable et à l'assainissement, de la nourriture adéquate, une communication avec le monde extérieur et la protection contre la torture.
 
La création d’un système de justice visant à réhabiliter ceux qui commettent des crimes est appelé à échouer si les prisons déshumanisent ceux qui y sont détenus.

Faut-il changer le code pénal dans ces pays pour éviter les peines d’emprisonnement pour les petits délits? Certains estiment que ce serait une solution au surpeuplement dans les prisons africaines où l’on enferme parfois des petits délinquants souvent sans aucun dossier...
La prison ne devrait pas être la seule forme de punition, mais juste une option parmi d’autres en fonction de la gravité du crime. Les prisons en Afrique sont malheureusement remplies d’individus, dont les cas pourraient être traités par d'autres moyens ou qui ne devraient pas être là du tout. Dans de nombreuses prisons, vous trouverez des gens qui sont enfermés pendant des mois sans aucune inculpation, ou même des années sans procès.

J’ai récemment visité des prisons en République centrafricaine et au Cameroun. Dans les deux endroits, les prisons étaient extrêmement surpeuplées. Au Cameroun, il y avait près de 1.500 personnes dans une prison que j’ai visitée et qui était construite pour en accueillir 350. Les raisons sont multiples: une pratique d'arrestations massives liées aux conflits a favorisé l’existence d’une vague de nouveaux détenus dans un complexe de 80 ans d’âge et dans le cadre d’un système de justice qui a déjà du mal à prendre en charge un petit nombre de détenus. Le résultat prévisible est que les prisonniers souffrent de maladies et meurent.

La prison de Goma. D'une capacité de 350 personnes, elle abritait plus de 1000 détenus le 26 avril 2014. (Photo Reuters/Kenny Katombe)

Quels sont les remèdes que préconise Amnesty International pour améliorer cette image de mort qui colle aux prisons africaines?
En droit international, les recours ont été clairement définis depuis les années 50, lorsque les Nations Unies ont convenu de règles minima pour le traitement des détenus. Ce sont des normes émanant des traités sur les droits humains librement consentis par les Etats, et c’est dans ce contexte qu’Amnesty International rappelle aux Etats les engagements qu'ils ont eux-mêmes pris. Ces normes comprennent une alimentation adéquate, l’accès à l'eau potable, l'assainissement, l'espace, la communication avec le monde extérieur et la protection contre la torture.
 
Les dirigeants politiques qui font la queue pour célébrer la vie et l'héritage de Nelson Mandela oublient que lui aussi a été victime des mêmes conditions de détention inhumaines qui ont cours dans leurs pays. Et c’est pour honorer sa mémoire que les Nations Unies cherchent à renforcer – grâce à la création des «Règles de Mandela» – les normes sur les conditions de détention à travers le monde. Ce serait lui rendre hommage que de respecter ces règles.
 

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