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Centrafrique : "La France devra rester longtemps pour stabiliser la situation"

Pierre Servent, expert en stratégie militaire et spécialiste des questions de défense, précise en quoi consiste le mandat donné par l'ONU à la France.

Article rédigé par Hervé Brusini - Propos recueillis par
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4min
Des soldats français près de l'aéroport de Bangui (Centrafrique), le 1er décembre 2013. (SIA KAMBOU / AFP)

Le Conseil de sécurité de l'ONU a autorisé la France, jeudi 5 décembre, à intervenir militairement pour rétablir l'ordre et protéger les civils en Centrafrique, où des violences ont fait plus de 100 morts dans la journée.

Pour francetv info, Pierre Servent, expert en stratégie militaire et spécialiste des questions de défense, précise en quoi consiste concrètement le mandat donné par l'ONU à la France. Paris dispose actuellement de 600 hommes dans le pays. Au total, d'ici deux à trois jours, les forces françaises compteront 1 200 soldats.

Francetv info : Quelle est la mission des 1 200 soldats français mobilisés ?

Pierre Servent : Il s'agit d'abord de sécuriser la situation qui, on le voit, bascule dans la violence à Bangui. Les marsouins (troupes de la marine française) ont coutume de dire que lorsqu'on dispose une A52 – une mitrailleuse – au coin d'une rue, cela dissuade les fauteurs de troubles à plus de 50 km à la ronde. J'espère qu'il en sera ainsi.

Les Français vont devoir très vite désenclaver la capitale et les zones habitées. La population attend avec impatience de quoi se nourrir sans être rackettée. La réouverture des petits commerces est un véritable enjeu. Il faut également désarmer ceux qui font le coup de feu en ce moment. Bref, il s'agit de redonner un sentiment de paix et de permettre le début d'un processus politique dans un pays totalement déstructuré.

Si au contraire les évènements devaient sombrer dans une violence généralisée, la protection des ressortissants français et de la communauté internationale deviendrait évidemment l'urgence du moment.

Quelle situation attend les soldats sur le terrain ?

La situation n'a rien à voir avec celle du Mali. En Centrafrique, pas de jihadistes ni de troupes organisées, mais plutôt ce qu'on appelle des "coupeurs de route", des bandits de grand chemin très violents. En se montrant dans les rues, les Français devraient obtenir rapidement un effet dissuasif à l'égard de ceux qui se livrent à des exactions.

Mais on peut s'interroger sur la nature exacte des violences actuelles à Bangui. S'agit-il de règlements de comptes avant la mise en œuvre effective de la force française ? Ou s'agit-il du début d'un embrasement entre chrétiens et musulmans qui pourrait annoncer un déferlement de violence anti-musulmans dans tout le pays ? Nous devrions très vite le savoir.

Comme à chaque intervention, la question se pose : y sommes-nous pour longtemps ?

Oui, très certainement. Certes, la France a dit à l'ONU qu'elle se retirerait dans six mois si une force de Casques bleus était envoyée, mais je sais par expérience depuis vingt ans que c'est rarement le cas. Nous agissons pour l'heure dans le cadre d'un principe de volontariat avec à nos côtés d'autres troupes africaines. Nous ne sommes pas sous la bannière des Casques bleus.

Donc oui, la France devra rester longtemps pour stabiliser la situation, aider à l'émergence de figures politiques pour l'heure presque totalement absentes. Nous devrons même nous constituer en force d'action rapide pour prévenir tout débordement. Vous le voyez, cette opération n'a rien à voir avec le feuilleton 24 heures chrono.

Comment l'armée française est-elle perçue sur place ?

Les troupes françaises n'ont pas à entrer en conflit avec l'une ou l'autre des parties en conflit. Souvent, sur ces territoires, nos troupes sont mieux perçues que les armées africaines. Et cela n'a rien à voir avec le pseudo-néocolonialisme qu'on dénonce souvent. En fait, les conflits qui opposent les uns et les autres en Afrique ont la vie dure. La mémoire de ces guerres est bien plus vive que la rémanence coloniale. Concrètement, cela veut dire que les populations sont plus rassurées en nous voyant qu'en croisant un uniforme d'une armée voisine.

Autre question récurrente : avons-nous les moyens d’intervenir ?

La France consacre 31,4 milliards d'euros à sa défense. En 2004, 15 000 soldats se trouvaient à l'extérieur du pays, aujourd'hui, ils sont entre 6 000 et 7 000. Nous avons, en tout, une force de 66 000 hommes projetables. N'étant pas sous le mandat des Casques bleus, nous devrons largement payer par nous-mêmes cette opération.

Mais, malgré les restrictions budgétaires, nous sommes parfaitement capables d'organiser ce type d'intervention. On pourrait même refaire ce que nous avons fait en Libye, y compris au sol.

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