Témoignages "Je ne savais pas comment m'exprimer" : au Cameroun, la parole des victimes de violences sexuelles se libère

Les témoignages de multiples victimes d'un homme d'affaires camerounais sur les réseaux sociaux ont déclenché une libération de la parole et une vague d'indignation dans tout le pays.
Article rédigé par Solenne Le Hen
Radio France
Publié
Temps de lecture : 3 min
Stéphanie et Thierry ont perdu respectivement une sœur et une fille. (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

Comme pour toutes les vagues MeToo, à l'origine, il y a une grosse affaire et des révélations en cascade. Au Cameroun, c'est un riche héritier, Hervé Bopda, qui est accusé de viols par plusieurs dizaines d'hommes et de femmes. Cet homme d'affaires, qui aime se mettre en scène dans des vidéos où il affiche un air suffisant et fume des gros cigares, a été interpellé mercredi 13 février à Douala.

L’affaire a suscité une vague d’indignation dans tout le pays et même dans toute l’Afrique francophone. Conséquence : une explosion de la libération de la parole sur les violences faites aux femmes, dans un pays où une partie de la société continue de les banaliser. Le hashtag #StopBopda a inondé les réseaux sociaux du Cameroun, d’Afrique francophone et de France, où le rappeur Booba l’a relayé.

La force des réseaux sociaux

Depuis, l'association Sourires de femmes, basée à Yaoundé, reçoit de nombreux appels. Sorelle a poussé la porte de cette organisation qui prend en charge des femmes victimes de violences. Elle a été violée de ses 12 à ses 16  ans par son beau-père, il y a plus de 10 ans. "J'ai voulu parler comme ça toute ma vie, je ne savais pas comment m'exprimer, raconte la jeune femme. Aujourd'hui avec les réseaux sociaux et tout ce qu'il se passe, quand j'ai vu les personnes qui ont eu le courage de dénoncer le viol, ça m'a donné la force et le courage de pouvoir parler", poursuit-elle.

"Quand on parle plus, quand on met la pression, les choses changent et si aujourd'hui deux ou trois se lèvent, je pense que ça va motiver les autres à parler."

Sorelle, jeune Camerounaise

à franceinfo

Stéphanie a aussi décidé de dénoncer les violences. Il y a à peine une semaine, cette jeune femme a trouvé dans la palmeraie proche de leur maison, à Yaoundé, le corps de sa sœur Hulda, 21 ans, tuée par son ex-compagnon et peut-être aussi par un complice. "Quand j'ai vu ma sœur, elle était méconnaissable, on avait tapé sur elle, se souvient-elle. Après l'avoir amochée, ils l'ont étranglée."

Son ex-compagnon s’est ensuite suicidé. Le complice a été interpellé, puis relâché très vite par la police. Il a fui la ville. "C'est inadmissible parce que chaque jour au Cameroun on retrouve les corps des femmes à gauche, à droite", s'indigne Thierry, le père de Stéphanie et Hulda. Il avait pourtant porté plainte à plusieurs reprises ces derniers mois, à propos des violences conjugales que subissait sa fille. "Ce sont toujours des violences commises contre les femmes, le gouvernement ne fait rien", déplore le père en deuil.

Les agresseurs "jamais remis en question"

Il n’existe pas encore de décompte officiel des féminicides au Cameroun. Pour Winnie Eyono, coordinatrice de l’association Sourires de femmes, la société camerounaise banalise depuis longtemps les violences faites aux femmes et les a même intégrées. "Une femme sur trois est victime de violences, indique la coordinatrice. Généralement la faute revient toujours à la femme, soit parce qu'elle n'a pas respecté son mari, soit parce que c'est une femme autonome, qui doit toujours fermer sa bouche, qui ne doit jamais se plaindre, qui doit supporter tous les sévices jusqu'à la mort", détaille-t-elle, rappelant qu'"on n'a jamais remis le comportement du bourreau en question".

Viviane Tathi et Winnie Enyono, respectivement présidente et coordinatrice de Sourires de femmes. (SOLENNE LE HEN / RADIO FRANCE)

Ce mouvement de libération de la parole est une chance à saisir pour Viviane Tathi, présidente de Sourires de femmes. "La société bouge, en tant que féministes on ne peut regarder cela qu'avec beaucoup d'émotions. Vous savez, quand on fait ces travaux on a parfois l'impression qu'on prêche dans le désert."

Alors, cette affaire Bopda est-elle le MeToo du Cameroun ? "C’est l’éveil des consciences, et il faut le maintenir, parce que c’est maintenant ou jamais, estime Viviane Tathi. Le moment est en train d'arriver et on doit maintenir la pression, parce que des années auparavant on n'aurait pas eu ça." Un souffle à maintenir, assure-t-elle, ajoutant qu'il "faut aussi maintenant que notre système judiciaire suive le mouvement".

Au Cameroun, la parole des victimes de violences sexuelles se libère. Reportage de Solenne Le Hen

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