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Mort d’un dignitaire nord-coréen et autres rocambolesques disparitions

L’assassinat supposé de Kim Jong-nam, 45 ans, demi-frère en disgrâce du dirigeant nord-coréen Kim Jong-un, entre dans la longue liste des morts politiques suspectes qui parsèment l’Histoire. Retour sur certaines de ces disparitions «abracadabrantesques», dignes de Bond. James Bond.
Article rédigé par Laurent Ribadeau Dumas
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
Un Sud-Coréen regarde à la télévision une photo (à droite) de Kim Jong-nam dans une gare de Séoul, le 14 février 2017. (Reuters - News1 - Lim Se-young)

Selon une chaîne de télévision sud-coréenne, Kim Jong-nam a été attaqué avec des aiguilles empoisonnées à l’aéroport de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie. Autre version, fournie par le commissaire de police malaisien Fadzil Ahmat dans le journal The Star: la victime se serait adressée à un employé de l’aéroport lui expliquant que «quelqu’un l’avait attrapé par derrière en lui jetant un liquide au visage». Aucune source officielle à Séoul ou Kuala Lumpur n'a pu confirmer ces informations.

Spécialités soviétiques et post-soviétiques
Si ces informations sont confirmées, elles évoquent la mort, en 1978, de l’écrivain dissident bulgare Georgi Markov. Le 11 septembre de cette année-là, l’homme attend alors son bus pour se rendre à la BBC. Tout à coup, il sent une piqûre à la cuisse qu’un quidam vient de frôler avec le bout d’un parapluie. Ledit quidam murmure un discret «pardon» et disparaît en taxi. Markov vient d’être empoisonné à la ricine, produit 6000 fois plus toxique que le cyanure. On est alors en pleine Guerre froide. Le fameux «parapluie bulgare» aurait notamment été développé par le KGB. Pour autant, 39 ans après, l’affaire reste reste «l’un des plus grands mystères non résolus de la Guerre froide», commente The Telegraph.

L’empoisonnement et les drogues, une spécialité des régimes staliniens? «Les premiers à en avoir développé l’usage sont les Soviétiques», affirme un ancien agent français dans L’Express. A l’époque de Staline, l’écrivain Maxime Gorki, mort en 1936, aurait ainsi pu être victime d’un produit dangereux…

Les mêmes ont fait école en Europe de l’Est, après l’effondrement de l’URSS. Le 5 septembre 2004, le futur président ukrainien Viktor Ioutchenko, alors candidat d’opposition à la présidentielle en Ukraine (ancienne république soviétique) favorable à un rapprochement avec l’UE et l’Otan, dîne avec des responsables des services secrets ukrainiens SBU. Le lendemain, il tombe gravement malade. Des analyses menées en Occident montreront qu’il a été empoisonné à la dioxine. Les photos de son visage défiguré feront le tour du monde. Selon la victime, citée par La Croix«les suspects sont en Russie et leur nom est connu des autorités russes».

​Viktor Ioutchenko, défiguré, le 12 décembre 2004 lors d'une conférence de presse avec son médecin à Vienne (Autriche) (REUTERS - Heinz-Peter Bader HPB/AA)

Autre exemple: la mort à Londres, le 23 novembre 2006, d’Alexandre Litvinenko, ex-agent des services secrets russes FSB. Trois semaines plus tôt, il avait bu «du thé vert empoisonné au polonium 210, un isotope radioactif dont la Russie est le seul producteur», rapporte Le Monde. L’homme devait témoigner quelques jours plus tard «devant un procureur espagnol sur les agissements de la mafia russe en Espagne et ses relations avec de hauts responsables politiques». Pour la justice britannique, le président Vladimir Poutine serait le «probable commanditaire de l’assassinat».

Une oreille aspergée de poison
Pour autant, l’empoisonnement n’est pas l’apanage des services secrets post-staliniens. Comme le laisse à penser, la mort du célèbre poète et prix Nobel de littérature, Pablo Neruda, le 23 septembre 1973, quelques jours après le putsch du général Pinochet.

Officiellement, celui qui était prix Nobel de littérature est décédé d’un cancer de la prostate à l’âge de 69 ans. Mais le nouveau régime d’extrême droite, qui venait de renverser le président Salvador Allende, pouvait craindre que Neruda devienne «la voix de la dissidence». En 2013, sa dépouille a été exhumée sur ordre du gouvernement chilien, certains indices laissant penser à un crime. Les analyses ont révélé la présence de bactéries infectieuses «sans qu’il soit toutefois possible de déterminer s’il avait été empoisonné», rapporte Le Monde. Mais un document officiel de l'Etat chilien estime «hautement probable» que l’écrivain ait été assassiné.

L’empoisonnement se pratique aussi au Proche-Orient. Comme lors de la tentative d’assassinat par l’Etat hébreu, à Amman (Jordanie) en 1997, de Khaled Mechaal, un des leaders du Hamas palestinien. Cinq soi-disant touristes canadiens, en fait des agents israéliens, lui aspergent l’oreille de poison. Problème: les Jordaniens arrêtent deux d’entre eux. Israël, alors déjà dirigé par Benjamin Netanyahu, se voit contraint de fournir l’antidote du poison. Et de présenter des excuses publiques.

Le leader du Hamas, Khaled Mechaal, à Doha le 7 septembre 2015 (REUTERS - Naseem Zeitoon)

Toujours au Proche-Orient, au début des années 2010, en pleine tension nucléaire entre l’Ouest et l’Iran, au moins quatre scientifiques de la République islamique ont été tués par balles ou par des bombes placées dans leurs véhicules. C’est ainsi qu’est décédé, le 29 novembre 2010, Majid Shahriari, fondateur de la Société nucléaire d’Iran et chargé d'«un des grands projets de l'Organisation iranienne de l'énergie atomique». Selon le journal allemand Spiegel, qui cite des sources de services secrets occidentaux, l’on trouve «le Mossad (israélien) derrière ces assassinats». Une chose est sûre, «à chaque attaque, c'est le même rituel: la République islamique pleure son mort et accuse dans la foulée Israël et les Etats-Unis, pendant que l'Etat hébreu frappe par son silence», notait alors Le Point en 2012.

Et la France dans tout ça?
De leur côté, les Américains ne seraient pas opposés à l’usage du poison contre leurs ennemis. Selon L’Express, qui cite un spécialiste des services spéciaux, «la CIA l’a (…) envisagé pour supprimer (le Cubain) Castro, pensant à empoisonner ses cigares ou même son shampoing»

Les Français ne seraient pas en reste. En 1957 a ainsi été assassiné à Genève un certain Marcel Léopold, qui aurait fourni des armes au FLN algérien. Selon Libération, qui cite un ancien des services spéciaux, une pompe à vélo a été retrouvée à côté de son corps. «Certains se sont demandé qui pouvait se servir d'un tel engin équipé d'un ressort pour percuter une fléchette empoisonnée au curare...» 

Autre exemple: un homme politique camerounais, Félix Moumié, opposant au gouvernement de son pays soutenu par la France, aurait été empoisonné en 1960 avec du thallium, élément chimique hautement toxique. Comme aurait pu dire Clausewitz, les assassinats sont la continuation de la guerre par d’autres moyens pour un pays qui entend sauvegarder ses intérêts…

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