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Le «repassage des seins», une mutilation encore très pratiquée au Cameroun

Au Cameroun, une coutume ancestrale consiste à masser les seins naissants des jeunes filles en pleine croissance afin de freiner le développement de leurs poitrines. Encore aujourd’hui, cette pratique est utilisée dans de nombreux foyers. Selon une étude de l’Agence de coopération internationale allemande (GIZ) parue en 2006, 24% des Camerounaises auraient déjà subi cette mutilation.
Article rédigé par Pauline Landais-Barrau
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Une victime du «repassage de seins», Julie Ndjessa, tient à titre d'exemple un bout de bois utilisé habituellement pour brûler les seins des jeunes filles (REUTERS / JOE PENNEY)

La technique, archaïque, consiste à se servir d’objets préalablement chauffés au cœur d’un brasier, tels que la pierre à écraser utilisée en cuisine, le pilon, la louche, la spatule ou encore des noyaux de cerises. Le but ? Masser les seins pour les faire disparaître. Une opération douloureuse qui se réalise dans l’intimité familiale, en ville comme à la campagne, chez les plus défavorisées comme chez les plus aisées. Ce qui explique en partie le silence qui entoure cette coutume.
 
Le repassage des seins semble être largement pratiqué au Cameroun. Le phénomène est courant dans la communauté chrétienne et chez les animistes du sud du pays, moins dans le nord musulman, où seulement 10% de femmes sont concernées. On trouve également des traces de cette pratique en Guinée-Bissau, et dans des pays d’Afrique centrale et de l'Ouest, comme le Tchad, le Togo, le Bénin et la Guinée.


En 2006, deux anthropologues camerounais, le Dr Flavien Ndonko et Germaine Ngo’o, ont souhaité lever le voile sur cette pratique qui concerne des filles âgées de 12 ans en moyenne et qui s’apparente à de la torture. A eux deux, financés par la GIZ, ils ont interrogé plus de 5.000 femmes et mené une enquête à travers les dix provinces du pays, la seule jamais réalisée à ce jour. Les chiffres sont édifiants : une fille sur quatre serait touchée par cette pratique, 53% des adolescentes seraient concernées dans la province de Douala, le long du littoral atlantique, soit près de 3,8 millions de jeunes filles en tout. Dans 58% des cas, le «repassage des seins» serait pratiqué par les mères elles-mêmes.
 
Le poids des traditions
Grand-mères, mères, tantes : toutes s’accordent à dire que cette technique est le seul moyen d’éloigner les hommes de ces fillettes. Elles justifient cet acte de mutilation physique en invoquant la protection de leur enfant. «Protéger nos filles du regard des hommes, éviter aux jeunes filles que les hommes ne leur courent après trop tôt et prévenir les grossesses précoces» : autant de raisons invoquées pour éviter d’avoir à parler de sexualité, sujet tabou dans ces familles où les traditions sont persistantes.
 
C’est un secret de femmes, bien gardé dans l’intimité des foyers, que même les maris ignorent. Au début, du temps de la grand-mère, la croyance populaire voulait que masser les seins rende le lait meilleur et évite aux bébés d’avoir les fesses rouges ! Plus récemment, avec l’explosion des grossesses précoces, la pratique censée protéger du viol s’est généralisée et banalisée à tel point que 7% des filles le font elles-mêmes.

Outils utilisés dans le cadre du «repassage des seins». (REUTERS / JOE PENNEY)


Pourtant, à l’instar de l’excision, le «repassage des seins» n’est pas sans conséquence sur la santé et, à terme, sur les conditions physique et morale de ces femmes en devenir. Dans beaucoup de cas, la pratique n’a aucune incidence sur la taille de la poitrine mais les kystes et abcès sont fréquents, sans oublier la déformation des seins qui tombent de manière précoce. Plus grave encore, certaines de ces femmes ont développé très jeunes un cancer du sein. Impossible de faire le lien entre la pratique et la maladie, mais la coïncidence est troublante. Quant à la douleur, violente sur le coup, elle perdure encore pendant des années après. Les filles se souviennent de chaque détail du rituel.

Une mutilation non reconnue
Selon la définition de l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), les mutilations sexuelles féminines sont des «interventions qui altèrent ou lèsent intentionnellement les organes génitaux externes de la femme pour des raisons non médicales». Elle recense quatre types de mutilations : la clitoridectomie (l’ablation partielle ou totale du clitoris), l’excision (l’ablation partielle ou totale du clitoris et des petites lèvres), l’infibulation (le rétrécissement de l'orifice vaginal par la création d'une fermeture) et toutes autres interventions néfastes au niveau des organes génitaux féminins à des fins non médicales, par exemple, piquer, percer, inciser, racler et cautériser les organes génitaux.
 
Le «repassage des seins» n’est jamais cité comme étant une mutilation et n’apparaît que très rarement sur les sites de différentes organisations internationales de protection des femmes et des enfants. Pourtant, depuis plusieurs années, la communauté internationale s’indigne contre toutes les formes de mutilations féminines, notamment l’excision. En 2007, la mort d’une fillette de 13 ans en Egypte, pendant son excision, avait ému tout le pays et interpellé les mères de famille sur la barbarie de cet acte. Mais tout aussi douloureux et traumatisant, le «repassage des seins» est quant à lui très peu connu, assez marginal comparé aux autres mutilations et n’est même pas clairement cité par l’OMS.
 
Le combat des Tantines…
Depuis 2006, l’Agence de coopération allemande et le Réseau national des associations de tantines (Renata) au Cameroun ont choisi de coopérer afin de lutter contre les abus et violences sexuelles subis par les adolescentes, en particulier le «repassage des seins». Ils se sont lancés dans une campagne d’information nationale afin que nul ne puisse ignorer les ravages de cette pratique.


L’association Renata, organisée par et pour les filles-mères du Cameroun, prêtes à partager leur expérience, est composée de plus de 60 associations à travers le pays. Ensemble, elles dénoncent la douleur et la peur que subissent ces fillettes qui préfèrent parfois fuir pour échapper à cette mutilation. Une situation qui va à l’encontre de ce que désirait la famille à l’origine, c’est-à-dire repousser la date d’un éventuel mariage ou celle de la naissance d’un enfant. Mais en se retrouvant à la rue, les jeunes filles se trouvent confrontées aux harcèlements et aux viols qui se soldent souvent par des grossesses non désirées.
 
…face aux autorités passives
Les Tantines mènent également ce combat auprès des gouvernements camerounais successifs d’Ephraïm Inoni puis de Philémon Yang qui n’ont jamais pris de décisions précises sur le sujet. Pour l’instant, aucune interdiction formelle n’a jamais été prononcée contre cette pratique. 
 
Ségolène Malterre, une journaliste de France 24, est partie enquêter sur le terrain. A Kigali, elle a rencontré Marie-Thérèse Abena Ondoa, la ministre de la Promotion de la femme et de la famille, qui minimise l’importance du phénomène et la douleur ressentie par les jeunes Camerounaises, justifiant la forme disgracieuse des poitrines «plates» par le fait que les femmes accouchent ou sont morphologiquement nées comme ça. «Le phénomène du "repassage des seins" a été majoré. Il se pratiquait avec douceur, sans aucune violence», explique-t-elle.


Contactée en juin 2014, l’association Renata a assuré que l’Etat n'avait toujours pas formulé une loi interdisant ou condamnant cette pratique. En 2013, la GIZ ainsi que l’association Renata ont envisagé de mesurer les résultats de la campagne de sensibilisation menée au Cameroun ces dernières années. A leur demande, Iresco (l’institut pour la recherche, le développement socio-économique et la communication du Cameroun) a réalisé cette étude de suivi. En 2005, le «repassage des seins» concernait 24% des jeunes filles. En 2013, le pourcentage était tombé à 12%. Les résultats sont encourageants mais il reste beaucoup à faire.

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