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Festival de Cannes 2021 : "Freda" de Gessica Généus est "une aventure magnifique", se réjouit Faissol Gnonlonfin, son coproducteur béninois

Le Bénin est partie prenante de la production de "Freda", film qui sera projeté dans la section Un Certain Regard le 14 juillet 2021.  

Article rédigé par Falila Gbadamassi
France Télévisions - Rédaction Culture
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Le producteur béninois Faissol Gnonlonfin à Cannes, le 12 juillet 2021. Il a produit "Freda" de la cinéaste haïtienne Gessica Généus, film sélectionné dans la section Un Certain Regard. (FG/FRANCEINFO)

Grâce à lui, le Bénin se retrouve sur la Croisette. Avec sa compagnie Merveilles Production, le producteur béninois Faissol Gnonlonfin, 36 ans, a coproduit le premier long métrage de fiction de la réalisatrice haïtienne Gessica Généus, Freda. Le film est présenté à Un Certain Regard, l’une des principales sections du Festival de Cannes. Entretien.  

Franceinfo : "Freda" de Gessica Généus est un long métrage haïtien, mais aussi un film béninois grâce à la magie de la coproduction. Expliquez-nous tout cela.

Faissol Gnonlonfin : Justement Freda est une bonne coproduction Bénin-Haïti-France. L'aventure a commencé en 2018. J’étais en plein tournage d’un documentaire au Cameroun, Fon, Mbière (documentaire sur le royaume bamoun, NDLR), quand j’ai reçu un appel de Jean-Marie (Gigon) de SaNoSi Productions, le producteur délégué du film (c'est lui qui détient les droits d'exploitation). Il m’a dit qu’il savait que j’avais déjà produit des films en Haïti et m’a demandé si une nouvelle aventure haïtienne me tentait. Je lui ai répondu que j’allais lire le scénario et c'est celui de Gessica Généus qui m’a été envoyé. Je l’avais déjà rencontrée en 2017 et nous avions évoqué l’idée de travailler un jour ensemble. Je me suis retrouvé dans les valeurs de son nouveau projet. Freda est l’histoire d’une jeune fille qui vit dans une famille monoparentale et qui évolue dans un environnement chaotique en Haïti. Un environnement qui définit aujourd’hui la vie politique de ce pays. Le film est d’actualité dans la mesure où la violence dont il est question dans cette fiction, palpable dans la société haïtienne ces dernières années, a conduit à l’assassinat du président Jovenel Moïse. Un événement tragique qui coïncide avec la sortie du film.

Dans quelles conditions ce film a-t-il été produit ?

Nous avons porté ce projet à trois. Gessica Généus, avec sa société Ayizan Production, est également coproductrice de son film. C’est dommage, mais seul le fonds Jeune création francophone (JCF) nous a soutenus en production : c'est la seule aide que nous avons obtenue. Toutes les autres commissions, entre autres celles de l’Organisation internationale de la Francophonie et l’aide aux cinémas du monde du Centre national du cinéma et de l'image animée (CNC français), nous ont dit non. Leurs arguments : scénario fragile et réalisatrice pas confirmée. En 2019, il devenait impératif de tourner ce film pour Gessica Généus qui pensait que l'on ne pourrait jamais le tourner sinon. Cela tombait bien parce que nous avons décroché 75 000 euros auprès de la JCF en 2019. C'est ce qu'apporte le Bénin par le biais de Merveilles Production. SaNoSi Productions a fait ensuite une demande d’avance de trésorerie et nous avons démarré le tournage. Nous avons tourné en décembre 2019 et en janvier 2020. Le Covid-19 est ensuite arrivé et la situation s’est encore dégradée en Haïti. Cependant, nous avons poursuivi le travail et le film a été soumis à un seul festival, celui de Cannes. Nous avions obtenu une pré-sélection en 2020 mais nous avons préféré attendre une année (de mai 2020 à juin 2021) – c’était le plus dur  pour savoir si nous serions sélectionnés en 2021. En 2020, nous pouvions obtenir le label. Cependant, nous avons été patients et nous voilà récompensés. J'étais très heureux quand j'ai appris la nouvelle. Freda est une aventure magnifique.

Comment êtes-vous devenu producteur ?

Je me suis d'abord formé à la réalisation. J'ai fait quelques courts et un long métrage documentaire que j’ai fini en 2012. Trouver un producteur pour ce film a été une expérience pénible. C’est cette difficulté d’auteur qui m’a amené à me lancer dans la production. Quand j’ai perçu mes premiers droits d’auteur, j’ai créé en 2011 ma boîte de production au Bénin, Merveilles Production, puis je me suis inscrit à un master de production à Grenoble. J’y ai appris à produire, notamment des documentaires de création. Je viens du documentaire et cela se ressent dans toutes mes fictions. Je suis très attentif au réel dans le processus de fabrication. Aujourd’hui, je produis des séries, des fictions et bien évidemment des documentaires.

De quelle manière travaillez-vous ?

Freda est le deuxième long métrage que je produis après Wallay de Berni Goldblat (2017). Ma société de production béninoise a dix ans aujourd’hui. Durant cette décennie, nous avons produit de nombreux films, surtout des documentaires qui ont été sélectionnés par plusieurs festivals dans le monde. Ma ligne éditoriale est la suivante : travailler sur des premiers et deuxièmes films car ils me permettent de lancer un auteur-réalisateur. Un premier film est une carte de visite. Il faut par conséquent bien le faire. Nous prenons du temps, mais nous arrivons à faire des œuvres qui contribuent à nous représenter et un peu le Bénin dans le monde. Je suis fier de porter Freda parce que je me retrouve dans ses valeurs. Quand je quitte le Bénin et que je vais produire dans les Caraïbes, à Haïti, je me sens chez moi. Les Haïtiens tiennent d'ailleurs beaucoup à leurs origines béninoises, à Allada (ville béninoise où est né le père de Toussaint Louverture, le héros national haïtien). Compte tenu des liens culturels et cultuels qui nous unissent, c'est une collaboration symbolique à plus d'un titre.

Quels sont vos principales difficultés en tant que producteur sur le continent ? L'absence de financement public est-il un frein majeur ?

Vu d'ici, le véritable enjeu est de permettre à l'auteur-réalisateur de pouvoir vivre et se concentrer sur son travail d’écriture. Cette partie écriture-développement n’est pas financée.Tout le monde veut financer la phase de production. Effectivement, nous ne sommes quasiment pas soutenus dans nos pays. Au Bénin, il y a un fonds d’aide à la culture pour tout le secteur. Or, le cinéma est cher. Si je rencontre les politiques, je leur dirai qu'un fonds pour la culture en général, ce n'est pas possible pour le cinéma. Si pour une fiction, mon budget est de 500 millions de FCFA et que l’Etat béninois m’octroie 5 millions, c’est juste 1% du budget qui ne me permet même pas de payer le salaire du réalisateur. Ce dernier doit pouvoir être rémunéré à hauteur d’au moins 10% du budget global du projet. Ce qui couvre grosso modo ses droits d’auteur et son salaire de technicien réalisateur.

Pas de financement au niveau national, comme en France par exemple, vous allez donc souvent chercher de l'argent à l'étranger...

Nous faisons des coproductions et nous nous tournons également vers des fonds internationaux qui sont destinés, comme on a l’habitude de dire, à des sociétés du Sud, à des sociétés issues de pays en voie de développement. Nous nous adressons à des fonds comme celui de la Francophonie (Fonds images de la Francophonie), l’aide au cinémas du monde du CNC qui implique de s'associer à un producteur français. Il y a aussi l'Union européenne qui a un fonds pour les pays ACP (Afrique Caraïbes Pacifique). Je recours souvent à ces financements pour monter mes projets. Il y a également des fonds anglophones, le World Cinema Fund, le Doha Film Institute au Qatar et des fonds en Arabie saoudite. Nous avons la chance que tous ces fonds soient ouverts à tous. Autrement, il n'y aurait pas de cinéma dans nos pays.

Qu'est-ce que ça change pour un producteur africain, en particulier béninois, d'avoir un film en sélection officielle à Cannes, qui plus est dans l'une de ses principales sections ?

C'est un rêve que je réalise. Depuis quelques années, j’ai la chance d’avoir mes films à Berlin, Venise ou à Cannes, des festivals de classe A. Il est vrai que je m'y emploie mais cela met encore plus de pression. Quand tu travailles sur un nouveau projet, tu te demandes où il sera sélectionné. Il y a ces festivals en Europe, mais il y a aussi Toronto, Durban et le Fespaco (Festival panafricain du cinéma et de la télévision de Ouagadougou) que nous espérons voir s'améliorer, les JCC (Journées cinématographiques de Carthage)... J’ai eu la chance d’avoir des films dans tous ces festivals et c'est gratifiant parce que c'est, encore une fois, une carte de visite. Tout cela renforce ma conviction de mettre de la qualité et du sérieux dans mon travail. Je reçois de plus en plus de demandes de cinéastes confirmés comme celle, il y a quelques mois, du réalisateur mozambicain Sol de Carvalho qui a déjà cinq longs métrages à son actif.

C’est effectivement un tournant, mais ce n’est pas pour autant que j’ai perdu de vue ma ligne éditoriale, à savoir produire des premiers et des deuxièmes films. C’est mon souci d’auteur. Si un réalisateur n’est pas lancé, il n’aura jamais rien à présenter. C’est un risque mais il faut le prendre. J'ai produit le deuxième documentaire du cinéaste ivoirien Joël Akafou, Traverser (2020), ainsi que le premier, Vivre riche (2017). Je vais aussi produire le troisième. Il a désormais une carte de visite et j’en suis fier. S’il est difficile de faire un premier long métrage, il est encore plus difficile de faire le deuxième parce que la concurrence est plus rude car elle implique des gens plus expérimentés. Un coproducteur se doit de "vendre" son auteur et son projet. C’est lui qui garantit la faisabilité du film afin qu'il soit financé. C’est pour cela que je dis souvent que l’auteur-réalisateur et le producteur forment un couple. Il ne faut pas se lancer si ce couple n’est pas solide. C’est un mariage dans lequel il ne faut jamais oublier les intentions de base du réalisateur. Il faut toujours laisser le cinéaste faire le film qu'il a envie de faire. C’est pour cela que la note d’intention de l'auteur est importante dans toutes les commissions. Et si le producteur n’y adhère pas, ce n’est pas la peine de s'engager.

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