Cet article date de plus de dix ans.
Bouteflika réélu, Barakat poursuit la résistance en Algérie
Avec 81,53% des voix, Abdelaziz Bouteflika a été réélu en avril 2014 pour un quatrième mandat. Pour de nombreux observateurs, cette élection est une mascarade. Un mois auparavant, des Algériens créaient le mouvement Barakat. Par des actions symboliques, ses membres cherchent à faire entendre leurs revendications, notamment des jeunes, pour la plupart écœurés par la politique.
Publié
Temps de lecture : 7min
«Nous sommes en phase de concertation. Vous savez, de telles violences, ça laisse des traces. Il y a eu des coups, des menaces de mort au téléphone...» Au bout du fil, lorsque Mustapha Benfodil raconte la répression que lui et ses amis ont subie après leurs manifestations du mois d’avril, sa voix se fait plus lente, presque étranglée. Ce journaliste et essayiste algérien de 45 ans a participé à la fondation du mouvement Barakat, en mars.
«Aujourd’hui, on est peut-être 100 ou 10.000, je n’en sais rien», avoue-t-il. Pour lui, l’essentiel n’est pas dans le nombre, mais dans l’effet qu’a le mouvement sur l’esprit des Algériens. «Notre idée, c’est de faire quelque chose de concret plutôt que d’être dans la colère (…). Barakat veut dire "Ca suffit". Nous avons choisi ce nom pour que chaque Algérien puisse se l’approprier et mettre ce qu’il veut derrière : ça suffit la corruption, ça suffit le chômage…»
Le mouvement est né le 1er mars de l’initiative de citoyens non-politisés, «tous réunis autour de la dénonciation du coup de force de Bouteflika et de l’establishment militaire». Au début, ils étaient une cinquantaine : avocats, médecins, journalistes, étudiants… Au fur et à mesure, de plus en plus de personnes les ont rejoints dans les manifestations. C’est cela qui les a faits connaître. Si bien que Barakat serait devenu un phénomène de mode en Algérie. Mais cela agace Mustapha. Cela l’agace et l’inquiète. «On veut nous faire passer pour des aventuriers qui voudraient mener le pays dans une guerre civile», dénonce-t-il.
«On nous accuse de vouloir préparer un printemps arabe»
Pour éviter tout débordement, Barakat n’organise plus de marche, uniquement des sit-in. Mesure de précaution supplémentaire, les organisateurs «recrutent» les participants. Il faut partager le pacifisme de Barakat pour faire partie des événements. «Si on sort avec des milliers de gens dans la rue, c’est sûr qu’il y a aura des morts. Et si on a un mort, on prendra dix ans de retard», affirme Mustapha.
La violence des manifestations, les Algériens s’est souviennent. Pour beaucoup, le souvenir de la «décennie noire» des années 1990 est encore très présent. Et depuis, il y a eu l’Egypte, la Libye, la Syrie. Autant d’exemples de révolutions violentes que les Algériens veulent éviter à tout prix. Pour Mustapha, «n’importe quel Algérien se dit : "Si je dois choisir entre la paix avec Bouteflika et une révolution, je choisis Bouteflika."»
Au début, Barakat a organisé quelques manifestations. Elles ont toutes été réprimées dans la violence par la police algérienne. L’écrivain raconte qu’à la suite de ces événements, les chaînes de télévisions gouvernementales ont diffusé son portrait et celui d’autres membres en boucle, déclarant qu’ils étaient payés pour déstabiliser le pays ou qu’ils voulaient préparer un printemps arabe. Dernier événement public en date : le 16 avril, le mouvement a organisé un sit-in, lui aussi réprimé dans la violence. Alors, pour le moment, ses partisans reprennent des forces.
«Notre président nous fout la honte»
Et les jeunes ? Ne rêvent-ils pas de transition politique ? Pour Saad, 31 ans, dessinateur de presse, la majeure partie des jeunes Algériens se moquent des résultats de l’élection. «Ils ne s’intéressent plus à la politique, il suffit de voir le taux d’abstention (officiellement 49%)!», lâche-t-il désabusé. Corruption, manque de légitimité des politiques, peur des violences : pour le jeune homme, les raisons de s’éloigner de la politique ne manquent pas. Et de conclure : «Quand on voit les images de notre président sur son charriot, on a honte tout simplement. Entre l’acceptation et la révolte, on préfère rester passifs et attendre ce que l’avenir nous réserve.»
Mustapha Benfoldi estime que cette situation n’a rien d’étonnant : «Il y a un travail de dépolitisation de fond qui a été fait en amont. Le régime a toujours opéré comme ça. C’est la meilleure manière de s’assurer un résultat prévisible.» Pour le journaliste, il reste dans la société algérienne des traces du mouvement nationaliste né pendant la guerre d’indépendance. «Il y a un matraquage nationaliste et, en quelque sorte, anti-français. Si un candidat a des idées modernistes, il va être taxé d’occidental et donc rejeté par la population.»
Révolution douce
Face à l’atonie de la population, Barakat veut réveiller les esprits. L’idée est de frapper l’imagination des Algériens et de leur rendre espoir par des actions pacifiques comme celle du 29 avril. Le lendemain de la prestation de serment de Bouteflika, des membres du mouvement citoyen sont allés déposer au Conseil constitutionnel une demande d’application de l’article 88 de la Constitution. Il stipule que «lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel se réunit de plein droit et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement.»
Ce jour-là, le Conseil leur a répondu : «On vous salue et on vous dit bonne journée», rapporte El Watan. Les militants se doutaient bien que leur action ne serait que symbolique mais cela n’a pas grande importance. «Demain, on peut être un million devant le Conseil constitutionnel si on arrive à redonner de l’espoir aux gens», assure Mustapha.
Pour le mouvement Barakat, la transition ne se fera que si elle passe par les jeunes et les femmes. «Le troisième élément-clé, c’est la paysannerie. On l’oublie parfois, mais l’Algérie est un pays majoritairement rural», précise Mustapha Benfodil. Quelques jours après la réélection de Bouteflika, le journaliste est plein d’espoir : «C’est à nous d’agir maintenant. Soit on fait le boulot, soit en 2020 on aura encore Boutef.»
«Aujourd’hui, on est peut-être 100 ou 10.000, je n’en sais rien», avoue-t-il. Pour lui, l’essentiel n’est pas dans le nombre, mais dans l’effet qu’a le mouvement sur l’esprit des Algériens. «Notre idée, c’est de faire quelque chose de concret plutôt que d’être dans la colère (…). Barakat veut dire "Ca suffit". Nous avons choisi ce nom pour que chaque Algérien puisse se l’approprier et mettre ce qu’il veut derrière : ça suffit la corruption, ça suffit le chômage…»
Le mouvement est né le 1er mars de l’initiative de citoyens non-politisés, «tous réunis autour de la dénonciation du coup de force de Bouteflika et de l’establishment militaire». Au début, ils étaient une cinquantaine : avocats, médecins, journalistes, étudiants… Au fur et à mesure, de plus en plus de personnes les ont rejoints dans les manifestations. C’est cela qui les a faits connaître. Si bien que Barakat serait devenu un phénomène de mode en Algérie. Mais cela agace Mustapha. Cela l’agace et l’inquiète. «On veut nous faire passer pour des aventuriers qui voudraient mener le pays dans une guerre civile», dénonce-t-il.
«On nous accuse de vouloir préparer un printemps arabe»
Pour éviter tout débordement, Barakat n’organise plus de marche, uniquement des sit-in. Mesure de précaution supplémentaire, les organisateurs «recrutent» les participants. Il faut partager le pacifisme de Barakat pour faire partie des événements. «Si on sort avec des milliers de gens dans la rue, c’est sûr qu’il y a aura des morts. Et si on a un mort, on prendra dix ans de retard», affirme Mustapha.
La violence des manifestations, les Algériens s’est souviennent. Pour beaucoup, le souvenir de la «décennie noire» des années 1990 est encore très présent. Et depuis, il y a eu l’Egypte, la Libye, la Syrie. Autant d’exemples de révolutions violentes que les Algériens veulent éviter à tout prix. Pour Mustapha, «n’importe quel Algérien se dit : "Si je dois choisir entre la paix avec Bouteflika et une révolution, je choisis Bouteflika."»
Au début, Barakat a organisé quelques manifestations. Elles ont toutes été réprimées dans la violence par la police algérienne. L’écrivain raconte qu’à la suite de ces événements, les chaînes de télévisions gouvernementales ont diffusé son portrait et celui d’autres membres en boucle, déclarant qu’ils étaient payés pour déstabiliser le pays ou qu’ils voulaient préparer un printemps arabe. Dernier événement public en date : le 16 avril, le mouvement a organisé un sit-in, lui aussi réprimé dans la violence. Alors, pour le moment, ses partisans reprennent des forces.
«Notre président nous fout la honte»
Et les jeunes ? Ne rêvent-ils pas de transition politique ? Pour Saad, 31 ans, dessinateur de presse, la majeure partie des jeunes Algériens se moquent des résultats de l’élection. «Ils ne s’intéressent plus à la politique, il suffit de voir le taux d’abstention (officiellement 49%)!», lâche-t-il désabusé. Corruption, manque de légitimité des politiques, peur des violences : pour le jeune homme, les raisons de s’éloigner de la politique ne manquent pas. Et de conclure : «Quand on voit les images de notre président sur son charriot, on a honte tout simplement. Entre l’acceptation et la révolte, on préfère rester passifs et attendre ce que l’avenir nous réserve.»
Mustapha Benfoldi estime que cette situation n’a rien d’étonnant : «Il y a un travail de dépolitisation de fond qui a été fait en amont. Le régime a toujours opéré comme ça. C’est la meilleure manière de s’assurer un résultat prévisible.» Pour le journaliste, il reste dans la société algérienne des traces du mouvement nationaliste né pendant la guerre d’indépendance. «Il y a un matraquage nationaliste et, en quelque sorte, anti-français. Si un candidat a des idées modernistes, il va être taxé d’occidental et donc rejeté par la population.»
Révolution douce
Face à l’atonie de la population, Barakat veut réveiller les esprits. L’idée est de frapper l’imagination des Algériens et de leur rendre espoir par des actions pacifiques comme celle du 29 avril. Le lendemain de la prestation de serment de Bouteflika, des membres du mouvement citoyen sont allés déposer au Conseil constitutionnel une demande d’application de l’article 88 de la Constitution. Il stipule que «lorsque le Président de la République, pour cause de maladie grave et durable, se trouve dans l'impossibilité totale d'exercer ses fonctions, le Conseil Constitutionnel se réunit de plein droit et après avoir vérifié la réalité de cet empêchement par tous moyens appropriés, propose, à l'unanimité, au Parlement de déclarer l'état d'empêchement.»
Ce jour-là, le Conseil leur a répondu : «On vous salue et on vous dit bonne journée», rapporte El Watan. Les militants se doutaient bien que leur action ne serait que symbolique mais cela n’a pas grande importance. «Demain, on peut être un million devant le Conseil constitutionnel si on arrive à redonner de l’espoir aux gens», assure Mustapha.
Pour le mouvement Barakat, la transition ne se fera que si elle passe par les jeunes et les femmes. «Le troisième élément-clé, c’est la paysannerie. On l’oublie parfois, mais l’Algérie est un pays majoritairement rural», précise Mustapha Benfodil. Quelques jours après la réélection de Bouteflika, le journaliste est plein d’espoir : «C’est à nous d’agir maintenant. Soit on fait le boulot, soit en 2020 on aura encore Boutef.»
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.