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Algérie : un journaliste en prison pour des articles sur la grogne des Touaregs

Rabah Karèche, correspondant du journal "Liberté" à Tamanrasset, dans le Sud algérien, est accusé d’atteinte à la sûreté et l'unité nationale.

Article rédigé par Jacques Deveaux
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 4 min
Le journaliste Rabah Karèche, correspondant du quotidien "Liberté" à Tamanrasset. (dr)

Le correspondant du journal Liberté à Tamanrasset Rabah Karèche a été placé, lundi 19 avril, sous mandat de dépôt. Son arrestation fait suite à la publication de son article relatant une manifestation contre le nouveau découpage territorial de la région touarègue de l'Ahaggar. "Plusieurs dizaines de manifestants enturbannés de blanc ont ainsi investi la rue à Tamanrasset pour exprimer leur ras-le-bol face à ce qu’ils qualifient de 'provocation de trop'", écrit Rabah Karèche dans cet article.

"Officiellement, il est reproché à notre journaliste la 'création d’un compte électronique consacré à la diffusion d’informations susceptibles de provoquer la ségrégation et la haine dans la société', la 'diffusion volontaire de fausses informations susceptibles d’attenter à l’ordre public' et 'l'usage de divers moyens pour porter atteinte à la sûreté et l’unité nationale'", écrit la rédaction de Liberté.

"Accusations fallacieuses"

"Il va de soi que ce ne sont là que des accusations fallacieuses qui cachent mal une volonté de faire taire le journaliste et l’empêcher d’accomplir en toute objectivité son travail", poursuit le communiqué de Liberté.

Il ne fait pas bon parler de choses qui fâchent en Algérie. On le savait déjà avec les arrestations à répétition des manifestants du Hirak. Des journalistes, à l'image de Khaled Drareni, se sont également retrouvés en prison, après avoir "couvert" les manifestations.

Cette fois, c'est la situation dans le Sud algérien, plus précisément à Tamanrasset, qui crispe les autorités. Le mécontentement des Touaregs ne cesse de croître. Au départ, c'est le redécoupage de la wilaya (préfecture) de Tamanrasset, au profit des voisines de Djanet et d’Illizi, nouvellement créées, qui cristallise le mécontentement. Quatorze localités ont ainsi été retirées de la wilaya. Or, elles sont réputées riches par leur sous-sol qui renferme du gaz et du sel industriel.

Spoliation

Les Touaregs de l'Ahaggar sont toujours très chatouilleux dès lors que l'on touche à leur unité, et les notables n'hésitent pas à parler de spoliation. "La question des frontières est une ligne infranchissable", expliquait l'un d'eux à Rabah Karèche. Et peu importe que les voisins de Djanet ou d'Illizi soient également des Touaregs. Historiquement, les Touaregs de l'Ahaggar se sont détachés au XVIIe siècle de la tutelle des Ajjer présents à Djanet. D'où sans doute ce sentiment de spoliation au profit de l'ancien dominateur.

Les frontières entre les communautés ont été fixées depuis longtemps. "Ce n’est pas à cause des scribouillards de l’administration qu’on va tout remettre en cause", a lancé un manifestant. Les plus remontés accusent Djanet de connivence avec Alger afin de "s’approprier malicieusement les terres stratégiques de l’Ahaggar".

Colère des notables touaregs

Les notables dénoncent également l'attitude d'Alger qui, selon eux, n'a jamais écouté leurs arguments. Et face à l'attitude du wali qui refuse de rouvrir le dossier, certains deviennent menaçants. "S'il n'y a pas de résultat d’ici peu, on va hausser le ton en investissant la capitale". Le discours prend des tournures de plus en plus guerrières. Il s'agit désormais de "recouvrer un territoire dont les frontières ont été tracées avec le sang de nos aïeux".

Il faut dire que dans cette région très éloignée, à 2 000 km de la capitale, le sentiment d'appartenance à une nation algérienne est parfois très diffus. Ainsi, certaines tribus touarègues, comme les kel Ajjer de Djanet, se répartissent de part et d'autre de la frontière avec la Libye.

Or, c'est également une région très sensible pour la sécurité de l'Algérie. Les frontières n'existent que sur le papier et les groupes terroristes installés dans le Sud libyen sont une menace permanente. L'attaque terroriste sur le site gazier d'In Amenas, en janvier 2013, est dans toutes les mémoires. Et In Amenas se situe justement dans la wilaya d'Illizi.

La "question" touarègue

Depuis l'indépendance en 1962, Alger a toujours cherché le soutien de la communauté touarègue garante de la frontière Sud du pays. Mais la région souffre de son faible développement économique et de sa marginalisation. En juin 2020, des affrontements ont opposé des jeunes aux forces de l'ordre dans la ville frontalière de Tin Zaouatine, faisant au moins un mort.

La localité est réputée pour être la plaque tournante des trafics en tout genre et un point important des migrations clandestines. Les heurts auraient été une réponse à la volonté des autorités de bloquer ces trafics. A cette occasion, les représentants des institutions touarègues sont intervenus pour calmer les esprits, demandant à la population de "faire preuve de vigilance et à faire prévaloir le sens patriotique face aux tentatives visant à porter atteinte à la stabilité de la région".

Bref, il s'agit avant tout de glisser la poussière sous le tapis. Parler de dissension entre les notables touaregs et le pouvoir central est mal venu. Rabah Karèche va avoir du temps pour le méditer en prison.

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