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Quand les huguenots, chassés par les persécutions religieuses, quittaient la France pour l'Afrique du sud

A la fin du XVIIe siècle, une centaine de familles protestantes, chassées de France, s’embarquent pour l'Afrique du Sud. Ces huguenots font partie des toutes premières familles européennes à s'être installées dans la province du Cap. 

Article rédigé par Michel Lachkar
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min

Le mémorial aux huguenots de Franschhoek, près du Cap, est dédié à la mémoire des immigrants protestants d’origine française, arrivés en Afrique du Sud au XVIIᵉ siècle. Photo prise le 13 mai 2014. (MATTES René / hemis.fr / Hemis via AFP)

Pourquoi près de 300 000 Sud-Africains portent-ils des noms français? Cette immigration remonte à 1685: les protestants français, chassés par la révocation de l’Edit de Nantes, ont été parmi les premiers à s’embarquer pour la province du Cap, qui appartenait alors à la Compagnie néerlandaise des Indes orientales.

Les rugbymen Piet Du Toit ou Wilhelm Du Plessis, le président Frederik De Klerk (De Clercq), le professeur Christian Barnard, et bien d'autres patronymes à consonance très française comme Leroux, Cellier, Cordier, Fouché, Fourié, Jourdan, Malan, Marais, des Prés, de Villiers... Ce sont les noms français les plus présents dans ce pays d’Afrique australe qui n’a pourtant jamais été une colonie française. Pourtant, aujourd'hui, près de 12% de la population blanche du pays portent des noms français.

Cette immigration remonte à 1685. Cette année-là, le roi Louis XIV révoque l'Edit de Nantes, promulgué (en 1598) par Henri IV, qui accordait une certaine liberté de culte aux protestants du royaume de France. Une décision qui relance les hostilités religieuses et provoque le départ de France d'environ 200 000 protestants. La plupart d'entre eux s'exilent vers les Pays-Bas, à majorité calviniste. Quelques années plus tard, quelque 200 personnes embarquent pour le comptoir hollandais du Cap en Afrique du Sud.

Le Cap, une escale vers les Indes orientales

La Colonie du Cap était à l’époque une escale essentielle sur la route des Indes hollandaises (l’actuelle Indonésie). Ce comptoir, stratégique pour les bateaux de la Compagnie néerlandaise des Indes orientales, réclame davantage de colons, notamment pour développer l'agriculture et la viticulture. "Lorsque les tous premiers huguenots, persécutés et chassés de France, arrivèrent au Cap, ils ne représentent que 180 personnes. La population de l'établissement du Cap était alors de 234 bourgeois hollandais, 88 femmes, 231 enfants et 39 domestiques", affirme Pieter Coertzen dans son livre "The Huguenots of South Africa" (Tafelberg, 1988, non traduit en français) 

C'est dire que nombre de familles françaises sont à l'origine de la nation sud-africaine. Trois siècles plus tard, 20% des Sud-Africains de langue afrikaans portent des noms français. Cette émigration vers l’Afrique du sud n’a concerné qu’une petite minorité, moins d’un millième des 200 000 protestants qui quittèrent la France après la révocation de l’Edit de Nantes. En fait, elle se limite à 178 familles qui, de 1688 à 1691, firent le voyage sur quatre bateaux, dont le principal était l’Osterland. Le voyage, qui durait six semaines, n'était pas sans danger : tempêtes, pirates, vaisseaux du roi de France, apparition de maladies, le scorbuten particulier. Malgré cela, les quatre navires arrivèrent à bon port.

A la différence du peuplement hollandais et allemand, surtout composée de paysans sans terre ou de mercenaires que la fin de la Guerre de 30 ans (1618-1648) avait privés d’emploi, les huguenots, qui avaient fui leur pays pour cause de persécution religieuse, appartenaient pour la plupart à la moyenne bourgeoisie. Un quart d’entre eux, portait un nom à particule.

Des terres à défricher et à cultiver

Pour quelles raisons la Compagnie des Indes orientales fit-elle appel aux huguenots ? D’abord pour venir en aide à des coreligionnaires dans le besoin, ce qui correspondait aux préceptes religieux de la compagnie. La deuxième était évidemment plus intéressée : il était devenu indispensable de développer l’agriculture pour ravitailler les navires, et surtout lancer la culture de la vigne, dont les premières tentatives avaient échoué.

Le vin, qui se conservait mieux que l’eau, était une denrée précieuse pour les voyages maritimes. Pour le recrutement de volontaires pour partir pour la lointaine colonie, des compétences en la matière étaient un fort atout. Un grand nombre de ces huguenots étaient originaires du Languedoc, du Saintonge ou de Provence, régions où la viticulture constituait une longue tradition.

"Les conditions d’embarquement définies par la Compagnie étaient sévères : aucun bagage n’était autorisé ; le voyage était gratuit, à condition d’obéir aux règles, dont l’obligation de rester au Cap au moins cinq ans, délai au bout duquel le retour était permis mais payant. Les huguenots avaient la promesse de recevoir en arrivant autant de terres qu’ils pourraient en cultiver, en pratique, ils reçurent (...) de 15 à 30 hectares - ainsi que les outils et les semences nécessaires", écrit Tristan d'Albis pour le site du Musée du Mémorial huguenot de Franschhoek (le "coin des Français"). "Ceux-ci furent installés à une soixantaine de kilomètres au nord-est du Cap entre Paarl et ce qui devait devenir Franschhoek (...). La terre était fertile, mais très sauvage et il fallait 3 ans au moins pour la défricher. En outre, les promesses d’aide en matériels furent loin d’être toutes tenues."

Se fondre dans la culture Boer 

Ce que la Compagnie avait en tête, c’était de voir les huguenots s’assimiler et devenir de "bons paysans hollandais", alors que les Français tenaient à conserver leur langue et leurs traditions. "Tant que le pasteur Pierre Simon, venu avec ses ouailles, fut présent, la cohésion entre huguenots fut maintenue. Mais, après son départ, la Compagnie interdit bientôt aux nouveaux arrivants d’avoir des pasteurs et des instituteurs français. Le résultat fut – fait unique dans l’émigration française – qu’en moins de deux générations, vers 1730, la langue française avait disparu", écrit Tristan d'Albis. Ce qui n’a pas empêché cette minorité de devenir, par la suite, très influente dans le pays.

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