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G20 sur l'Afghanistan : "Les puissances occidentales n'ont plus de levier sur le régime taliban", selon un spécialiste

Selon Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris et spécialiste des relations internationales, les talibans ne se sentent plus menacés, d'autant moins qu'ils peuvent compter sur la Chine et la Russie, deux pays "disposés à assister de manière plus durable et structurelle le peuple afghan."

Article rédigé par franceinfo
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Une fresque symbolisant le drapeau taliban peinte sur l'ambassade américaine à Kaboul, après le retour au pouvoir des talibans. (ADRIEN VAUTIER / LE PICTORIUM / MAXPPP)

"Les puissances occidentales n'ont plus de levier sur le régime taliban", assure mardi 12 octobre sur franceinfo Bertrand Badie, professeur émérite à Sciences Po Paris et spécialiste des relations internationales. Alors que l'Union européenne va annoncer au G20 un programme d'aide d'environ un milliard d'euros pour l'Afghanistan, dont une partie doit être consacrée à la protection des droits de l'homme, Bertrand Badie "voit mal comment les talibans exécuteraient les volontés de la diplomatie occidentale au moment où la Chine et la Russie sont disposées à assister de manière plus durable le peuple afghan".

franceinfo : La situation de l'Afghanistan se dégrade-t-elle ?

Bertrand Badie : Oui, et elle se dégrade de deux manières. L'aide humanitaire d'urgence se dégrade, et lorsqu'on abandonne un malade qu'on a ranimé, ça ne sert plus à grand-chose ! Si les médecins ne prennent pas le relais avec une thérapie longue, on n'aura pas énormément progressé. Ça, ce n'est plus l'humanitaire, c'est le développement. L'Afghanistan est confronté à très court terme à un problème humanitaire, et à moyen et long terme à un problème de développement. C'est probablement ce qui rend la chose grave sur le plan de l'avenir, mais aussi sur le plan diplomatique. Au moment où se réunit le G20, il y a deux tendances. Il y a ceux qui considèrent qu'il n'est pas question d'un vrai et durable partenariat avec l'Afghanistan au-delà de cette aide d'urgence, et ceux qui considèrent qu'il faut faire un travail de longue haleine et de co-développement avec l'Afghanistan comme la Chine et la Russie.

L'UE débloque un milliard d'euros d'aides mais insiste sur le respect des droits humains, est-il difficile d'imaginer que les talibans respectent ces conditions ?

Oui, c'est une certaine naïveté parce que les talibans viennent de prendre le pouvoir. Il ne faut pas attendre qu'ils s'alignent sur ce que les occidentaux, qu'ils ont défaits, exigent d'eux. Les puissances occidentales n'ont plus véritablement de levier sur le régime taliban. Nul ne songe à reprendre la guerre, à reconquérir le pouvoir, ou à chasser de nouveau les talibans, donc les talibans ne se sentent pas directement menacés. On voit mal comment ils exécuteraient les volontés de la diplomatie occidentale au moment où la Chine, la Russie, et d'autres puissances voisines, comme le Pakistan, l'Iran, la Turquie, ou encore certains pays du Golfe, sont disposés à assister de manière plus durable et structurelle le peuple afghan.

Les talibans sont-ils également en position de force, alors que les occidentaux ne veulent pas que l'Afghanistan devienne un repère pour les groupes terroristes ?

Finalement, la vraie menace pour les talibans est de deux natures. Il y a cette situation économique très défavorable et la montée du terrorisme. Les deux sont liées. Si la situation économique continue à se dégrader, une sorte d'autoroute s'ouvrira à certains groupes et notamment à l'État islamique qui n'attend que de profiter de cette situation. Donc là, il y a un paradoxe. En refusant une aide durable à l'Afghanistan, les puissances occidentales risquent de faire le jeu des groupes terroristes qu'ils craignent.

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