A Lacanau, face à l'érosion, "à long terme il n'y a pas d'autre solution que le recul"
Le front de mer de la station balnéaire girondine a souffert des tempêtes de l'hiver 2013-2014. La municipalité et les habitants se préparent à un déménagement vers l'intérieur des terres, qui devrait intervenir avant 2040.
Dans la fraîcheur matinale de début mars, quelques promeneurs remontent le boulevard de la plage qui borde Lacanau-Océan. La marée est descendante, mais tout le monde l'a remarqué : désormais, à marée haute, "on n'a plus de plage" dans cette station balnéaire bien connue pour ses surfeurs. L'eau monte aussi un peu plus vite qu'avant.
Le changement date de l'année dernière.
Durant l'hiver 2013-2014, une succession de tempêtes a mis le front de mer de Lacanau-Océan à rude épreuve. A chaque fois, les conditions ont été exceptionnelles, combinant vent, gros coefficients de marée et houle importante. Pendant trois mois, l'océan s'est agité, presque sans discontinuer. Même les jours calmes, la houle atteignait quatre mètres, affirment certains. Résultat : le trait de côte a reculé de 10 à 20 mètres dans ce secteur, selon les relevés du Bureau de recherches géologiques et minières (BRGM). Par endroits, il passe désormais là où on l'attendait en 2040.
Un recul de 20 mètres en trois mois
Sur la plage nord, dominée par la bicoque bleue du Surf Club, la dune a pris un sacré coup. Yannick l'a vue partir "en une marée". Dans son bureau encore calme en cette période de basse saison, le moniteur chevronné montre les photos du désastre. "On a l'habitude de dire qu'on a pris dix ans d'érosion d'un coup", ironise-t-il.
Les photos de Jérôme Augereau, prises le 1er janvier et le 4 mars 2014, permettent de s'en rendre compte. Le photographe n'a pas raté une miette des tempêtes, se levant à l'aube et veillant jusque tard le soir pour prendre des clichés exposés pendant l'été. Il note d'emblée la date anniversaire. "Il y a un an, c'était Bagdad ici !" La dépression Christine venait de frapper Lacanau, dans la nuit du 3 au 4 mars.
Pour ce bavard infatigable, c'est certain, "les tempêtes ont fait prendre conscience de l'érosion". Et pour cause : "Normalement, on a une érosion de 10-15 cm par an en moyenne. C'est invisible, personne ne la voit. Là, 20 à 30 mètres de côte se sont envolés par endroits, le tout en trois mois."
"Pas d'autre solution" que la relocalisation
Immédiatement après les tempêtes, la municipalité a renforcé les enrochements pour contenir le sable et protéger le front de mer. Plus de trois millions d'euros ont été alloués aux travaux. Toutefois, le maire Laurent Peyrondet (MoDem) prévient : "C'était nécessaire, mais ce ne sera pas suffisant." Doucement, mais sûrement, Lacanau se dirige vers le scénario d'une protection dure, plus massive, puis d'un "repli stratégique" en 2040. Près de 1 400 biens (appartements et commerces), situés sur le kilomètre de front de mer, seraient ainsi déplacés.
Pour Gérard Depeyris, membre du comité local de concertation, cette relocalisation s'impose. "Il faut regarder les choses en face : à long terme, il n'y a pas d'autre solution que le recul. C'est dur à accepter, mais c'est comme ça", estime ce fabricant de planches de surf.
Enfant, cet "ancien" de Lacanau, 58 ans au compteur, devait marcher pour aller à l'eau. Au fil des ans, il a vu le sable partir.
Il n'y a qu'à voir les blockhaus. Ce sont des repères précis. Ils étaient sur les dunes avant ! Maintenant, ils sont dans l'eau, et il faut vraiment être à marée très basse pour les voir...
La nécessité d'une loi pour les communes
Pour les partisans de la relocalisation, "il n'y a plus qu'à". Mais comment entamer ce projet ? Lacanau est l'une des cinq villes-pilotes à réfléchir à la méthode dans le cadre d'un appel à projet ministériel. Ce serait une première en France. Le maire attend donc une loi sur le sujet pour fixer le cadre juridique. "Aujourd'hui, on ne peut pas expulser les gens et les forcer à partir de cette zone", explique Laurent Peyrondet.
Le dossier, entre les mains du ministère de l'Environnement, finira au Parlement. "Ce sera aux politiques de dire ce qu'on a le droit de faire ou pas sur nos stations", souligne l'édile, qui craint "qu'on laisse traîner les choses" à cause de l'argument financier. La relocalisation coûte cher : 330 millions d'euros, selon ses estimations. Le temps presse pourtant. "On n'a pas dix ans devant nous. Il faut que, sous mon mandat, on prenne des décisions pour l'avenir."
Encore faut-il convaincre les principaux intéressés, à commencer par les commerçants établis sur le front de mer. Ceux sollicités par francetv info ont refusé de s'exprimer sur le sujet, lassés des journalistes et inquiets pour "la mauvaise pub". Le sujet est sensible. Pourtant, il fait jaser.
"Personne n'est vraiment responsable du problème"
Au Café maritime, deux femmes s'étonnent des chantiers en cours sur le boulevard de la plage. Une vingtaine d'appartements verront bientôt le jour. Ubuesque alors qu'on parle de repli. A la mairie, on explique que les permis de construire ont été signés par l'ancien maire, sur la base des avis favorables de l'Etat, et qu'il était impossible de revenir dessus... Il ne devrait plus y en avoir dans le futur, promet Laurent Peyrondet.
Au Surf Club, Yannick s'inquiète de la tournure des événements. Déjà, la municipalité se montre plus hésitante à prendre en charge l'entretien du bâtiment de l'association. Si le surfeur sait que les hommes devront "s'adapter à la nature", leur impuissance n'est pas facile à accepter.
On a construit en front de mer, mais ça a été fait à une époque où on ne connaissait pas trop. Aujourd'hui, personne n'est vraiment responsable du problème. C'est un peu injuste.
Jérôme Augereau assure comprendre les doutes. Lui aussi est concerné. En cas de relocalisation, le trait de côte passerait devant sa boutique, qui disparaîtrait. Mais pour lui, "on pense plus à ses intérêts personnels qu'au reste". Ce Canaulais d'adoption, marqué par la catastrophe Xynthia et les paroles de ceux qui avaient prévu le drame sans être entendus, pense aux générations futures. "Je pense à ma fille qui grandit ici. Il ne faut pas qu'on nous reproche de ne pas avoir fait certaines choses. On ne connaîtra peut-être jamais ce moment, mais eux, oui."
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