Disparition des deux tiers de la faune sauvage en 50 ans : "On est face à une accélération très spectaculaire de ce déclin", estime Bruno David
Le président du Muséum national d'histoire naturelle s'alarme sur franceinfo jeudi 10 septembre d'une "forme d'anesthésie environnementale".
Le nombre d'animaux sauvages est en chute libre dans le monde, d'après le dernier baromètre du WWF publié jeudi 10 septembre. Selon l'ONG, près de 70 pour cent des vertébrés, des poissons ou encore des oiseaux ont disparu lors des 50 dernières années. Pour Bruno David, le président du Muséum national d'histoire naturelle, invité de franceinfo jeudi, "on est face à une accélération très spectaculaire de ce déclin". Il estime que l'on se trouve dans "une forme d'anesthésie environnementale" où on ne "s'aperçoit pas" de ce déclin. Il pointe notamment la perte de "60% de moineaux en l'espace de quelques décennies".
Bruno David souligne "une prise de conscience progressive" mais qui reste "en déphasage par rapport à la prise de conscience sur le climat". Mais il se veut optimiste : "Dès lors qu'on va faire des efforts, on va tout de suite voir le produit de nos efforts" et avoir "un retour sur investissement".
franceinfo : Ce bilan du WWF est dramatique ?
Bruno David : C'est un petit peu triste parce que c'est un constat qui est implacable. Ce n'est pas le premier. Le Muséum est chargé de l'inventaire national du patrimoine naturel. Il avait déjà alerté sur le déclin des oiseaux en même temps que le CNRS le disait il y a déjà deux à trois ans. L'UICN (Union internationale pour la conservation de la nature) alerte régulièrement. L'Allemagne nous a alerté également sur le déclin des insectes. On a l'impression de se répéter beaucoup et de faire ce constat des déclins d'abondance de beaucoup d'espèces.
Est-ce que cela suscite des réactions ?
Je pense qu'il y a une prise de conscience progressive qui est en déphasage par rapport à la prise de conscience sur le climat, parce que c'est arrivé un peu plus tard. Mais néanmoins, si je veux être optimiste, je sens une prise de conscience. D'un autre côté, je suis très inquiet parce que on est face à une accélération très spectaculaire de ce déclin. Ça s'accélère ces dernières années. Et puis, surtout, si on compare avec les grandes crises du passé géologique de la Terre, on va cent à mille fois plus vite que lors des très grandes crises du passé. Donc on va très vite, même si, pour le moment, il y a relativement peu d'espèces éteintes.
Ce qui m'inquiète beaucoup, c'est qu'on est face à des déclins d'abondance. Il y a moins d'individus au sein des espèces, sans même que les espèces disparaissent complètement. Bien sûr, à la fin, elles vont finir par disparaître. Et c'est comme ça qu'ont fonctionné les grandes crises du passé. Donc, on est sur le même mécanisme. Au-delà de certaines extinctions spectaculaires, on sait très bien qu'il y a des animaux qui ont disparu, y compris récemment. Il y a un poisson qui s'appelle la spatule chinoise, qui était un poisson du Yang-Tsé-Kiang. C'est le plus grand poisson d'eau douce qui existait au monde. Il allait jusqu'à sept mètres de long, 450 kilos. Et il s'est éteint au début des années 2000, dans l'indifférence générale.
Est-ce que la difficulté vient du fait qu'on a du mal à voir disparaître ces espèces ? Cela n'est pas forcément visible dans notre quotidien, dans des milieux urbains dans lesquels vivent la majorité des Français.
Oui, bien sûr. Le rapport de WWF parle du déclin des moineaux. On a perdu 60% de moineaux en l'espace de quelques décennies. Et on ne s'en rend pas vraiment compte parce qu'on s'habitue à en voir de moins en moins. J'ai souvent la comparaison de dire que c'est une forme d'anesthésie environnementale. Le matin, quand on se regarde dans son miroir, on se voit et on a l'impression d'avoir la même tête que la veille. Si on prend une photo qui a quinze ans, on se dit, quand même j'ai changé. Pour la biodiversité, c'est un peu pareil. On a l'impression que c'est toujours pareil, qu'il y a le même nombre d'oiseaux, le même nombre de fleurs, le même nombre d'insectes. Et puis, quand on prend un peu de recul, on s'aperçoit qu'on est face à de véritables déclins très importants.
La prise de conscience est différente de celle des questions climatiques. Comment l'expliquez-vous ?
Oui, ces phénomènes sont liés. Mais au-delà de cela, le climat, c'est relativement simple dans la mesure où vous prenez l'humidité, la température et vous avez deux paramètres qui vous permettent d'assez bien cerner votre climat. La biodiversité, c'est multiple. Ça peut être le nombre d'espèces, ça peut être l'abondance des individus, si ce sont des grosses ou des petites espèces qui disparaissent, le rôle qu'elles jouent dans les écosystèmes. C'est beaucoup plus difficile à faire passer comme message.
Par contre, autant le climat, si vous avez une action en diminuant ou en utilisant moins votre voiture, cela va se diluer dans le climat mondial et vous en verrez peut-être les résultats d'ici 20, 30 ou 40 ans. Par contre, pour la biodiversité, si on fait un effort ici et maintenant, proche de là où vous habitez, vous en verrez le résultat d'ici 2 à 3 ans. Il y a un retour sur investissement. Vous plantez des haies dans la Beauce par exemple. Au bout de quelques années, et relativement peu d'années, vous allez voir changer la biodiversité dans la Beauce. Donc, vous avez votre retour sur investissement relativement rapidement, contrairement à une action que vous aurez pour essayer de changer le climat mondial.
Est-ce qu'il y a des bonnes nouvelles au milieu de ce marasme ?
On dit souvent que la biodiversité, les écosystèmes sont résilients. Ils ont une capacité à cicatriser, à se reconstituer, qui est absolument remarquable. Donc, dès lors qu'on va faire des efforts, on va tout de suite voir le produit de nos efforts. Il faut simplement changer de modèle, changer de comportement, essayer de s'améliorer et on en verra les résultats. Il ne s'agit pas de s'empêcher de vivre. Mais sans s'empêcher de vivre, en infléchissant nos comportements, en commençant de changer de modèle, on en aura tout de suite le retour.
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