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COP21 : qui sont les trolls qui ont empêché Laurent Fabius de dormir ?

Au Bourget, les négociations ont patiné dans la nuit de jeudi à vendredi. Du coup, la présidence française de la conférence climat a dû reporter d'une journée la remise du texte d'accord définitif.

Article rédigé par Marie-Adélaïde Scigacz
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8min
Le ministre du pétrole saoudien, Ali Al-Naimi, au Bourget (Seine-Saint-Denis) pour la COP21, mardi 8 décembre 2015. (JACKY NAEGELEN / REUTERS)

Ça chauffe à la COP21. La présidence française de la conférence sur le climat a dû se résoudre, vendredi 11 décembre, à retarder la clôture des travaux. Initialement prévue en début de soirée, la remise du texte d'accord définitif devrait finalement avoir lieu samedi matin, a indiqué Laurent Fabius, reconnaissant se heurter à quelques questions épineuses.

La dernière version du texte d'accord présentée aux 195 parties (auxquelles s'ajoutent l'Union européenne), jeudi soir, a été longuement détricoté dans la nuit de jeudi à vendredi, remis en cause par des pays soucieux de faire valoir leurs propres intérêts. Certains se sont montrés particulièrement intransigeants sur leurs positions... Qui sont-ils ? Quels sont leurs réseaux ?

Les pays pétroliers en général, qui refusent de valider une hausse limitée à 1,5° C d'ici 2100

Après deux semaines de négociations, ce point capital ne fait toujours pas l'unanimité. La plupart des pays en développement, et tout particulièrement les plus menacés par le réchauffement climatique, réclament une limitation de la hausse des températures à 1,5 °C en 2100 par rapport à l'ère pré-industrielle. Dans son dernier brouillon d'accord, présenté jeudi soir, la France avait maintenu cet objectif plus ambitieux que prévu – l'article 2.1 demande à ce que le réchauffement soit limité "bien en dessous des 2 °C". Mais c'est sans compter sur l'opposition de certains pays pétroliers, à commencer par l'Arabie Saoudite. 

A l'instar du Koweït, celle-ci a ainsi déclaré, jeudi 10 décembre, dans la soirée, ne pouvoir accepter un objectif plus ambitieux qu'un réchauffement limité à 2 °C. La Russie s'est également exprimée en ce sens, "estimant que les éléments scientifiques ne sont pas suffisants" par maintenir un tel objectif, rapporte un député écologiste belge, qui a raconté la nuit de pourparlers sur Twitter.

L'Arabie Saoudite et le Venezuela en particulier, qui veulent empêcher la mise en place d'un prix du carbone

C'est bien beau de vouloir limiter à 1,5 °C l'augmentation des températures planétaires d'ici 2100, mais si l'humanité ne réduit pas ses émissions de gaz à effet de serre, ce seuil devrait être dépassé dès 2020, selon l'ONG Carbon Grief. Oui oui, dans 5 ans ! Un mécanisme a notamment été discuté : la mise en place d'un "prix du carbone", c'est-à-dire une sorte de marché des émissions de CO2, semblable à celui déjà expérimenté par l'Union européenne.

Mais l'opposition de l'Arabie Saoudite et du Venezuela, ou encore de l'Irak, tous des pays pétroliers, ont poussé les rédacteurs du texte à supprimer toutes les références à la mise en place de ce dispositif censé inciter les investissements dans les énergies propres, au détriment des énergies fossiles, émettrices de CO2. 

Cette solution avait pourtant le vent en poupe avant l'ouverture de la COP21, de nombreux pays ayant évoqué la mise en place d'un prix du carbone dans leurs contributions individuelles.

Les pays riches qui, comme les Etats-Unis, estiment que les pauvres doivent faire plus d'efforts

Comment financer ce virage commun vers les énergies propres ? Sur ce point, pays riches et pays en développement s'affrontent depuis des années : historiquement, les nations occidentales ont été les plus gros émetteurs de gaz à effet de serre. A l'inverse, les pays du Sud souffrent davantage des effets du réchauffement climatique et voient leur développement économique entravé par cette nouvelle contrainte environnementale.

Pour prendre en compte ces inégalités, la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (CCNUCC), adoptée à Rio (Brésil) en 1992, a acté le principe de "différenciation". En vertu de ce principe de "responsabilité commune, mais différenciée", les pays développés ont promis de verser une aide de 100 milliards de dollars annuels au pays du Sud à partir de 2020.

Pour l'Australie, par ailleurs gros producteur de charbon, hors de question de voir seuls les pays riches assumer ses efforts. "On a une position très ferme sur la question. L'Australie estime que tous les pays doivent prendre des mesures, qu'il faut des règles équitables et c'est ce que nous demandons", a indiqué la ministre des Affaires étrangères australienne, citée par Nouvelle-Calédonie 1ère.

Enfin, les Etats-Unis, comme l'Union Européenne, estiment que le texte va assez loin sur la question de la différenciation, quitte à braquer les pays du Sud. 

Et ces pays du Sud qui, comme la Chine, se cachent (trop) derrière la différenciation

L’Afrique du Sud – qui a représenté le puissant groupe de pays en développement "G77 +Chine" – et l'Egypte – qui a représenté le groupe Afrique – "réclament de la différenciation dans tous les sujets : adaptation, atténuation, finance, etc.", résume le magazine Sciences et Avenir"S'y joignent la Malaisie, l'Inde ou encore l’Algérie."

Dans la nuit de jeudi à vendredi, le député belge Jean-Marc Nollet relevait également la position de la Chine et de l'Inde, intraitable dès qu'il s'agit de différenciation.

La Turquie, qui n'a pas tout suivi...

Enfin, il y a la Turquie, qui ne sait plus trop à quelle catégorie elle appartient.

Ceux qui, comme les Etats-Unis et l'Australie, ne veulent pas d'un texte juridiquement contraignant

La position des Etats-Unis et Barack Obama est connue depuis longtemps : ils ne veulent pas d'un texte juridiquement contraignant, qui devrait passer devant le Congrès, à majorité républicaine. Et risque donc d'être retoqué. "Pas de chiffre sur les engagements budgétaires si l'accord est contraignant", a martelé pour sa part l'Australie.

Mais, sans contrainte, comment s'assurer que les parties mettent en place une politique de réduction des gaz à effet de serre efficace ? Pour tenter de mettre tout le monde d'accord, la présidence française a supprimé du texte dévoilé hier les objectifs chiffrés de réduction des émissions de gaz à effet de serre nécessaires. Ils ont été "remplacés par une formule plus vague", explique Le Figaro : "atteindre un pic le plus rapidement possible avant de réduire les émissions pour atteindre la 'neutralité' dans la seconde partie du siècle". Là encore, cette notion floue risque d'affaiblir le texte, craignent des observateurs.

L'Inde, qui veut rendre des comptes le plus tard possible

Enfin, le texte étudié cette nuit n'allait pas assez loin sur la question de la révision des engagements, ont estimé en chœur les ONG. Pour l'instant, les engagements présentés par les parties – en admettant que ces promesses soient tenues –permettraient d'atteindre une hausse de 2,7 °C des températures d'ici la fin du siècle. D'où l'importance de mettre en place un mécanisme de révision de ces ambitions nationales – particulièrement si l'objectif passe à 1,5 °C. 

Le texte a donc invité les pays à revoir leurs contributions en 2020, avant une première révision obligatoire en 2025. Beaucoup trop tard, ont estimé les ONG, qui ont pointé l'urgence de la situation. Vendredi en début d'après-midi, les pays développés ont accepté de "s'engager à une nouvelle cible quantitative tous les 5 ans", selon une journaliste sur place. "C'est nouveau"

En revanche, l'Inde n'a jamais caché son souhait de voir cette révision intervenir le plus tard possible, afin de ne pas entraver son propre développement économique.

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