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Climat : quand les experts et les citoyens se muent en vigies des politiques menées par les Etats

Article rédigé par Camille Adaoust
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Plusieurs acteurs veillent à ce que les engagements pris lors de l'accord de Paris en 2016 se traduisent par des politiques concrètes dans chaque pays.  (CHRISTIAN HARTMANN / AFP ET ELLEN LOZON / FRANCEINFO)

Ces derniers mois, les Etats ont enchaîné les promesses de réduction de leurs émissions de gaz à effet de serre. Mais qui vérifie si les engagements se concrétisent ? Franceinfo fait le tour des organes ou collectifs qui tiennent tant bien que mal les comptes.

Après les belles paroles, place aux actes. Voici en substance le message que plusieurs centaines d'organisations adresseront au gouvernement français, dimanche 9 mai, lors d'une nouvelle marche pour le climat. Plus de cinq ans après la signature de l'accord de Paris, le compte n'y est pas pour ces défenseurs de l'écologie, obligés de s'ériger en "police" de l'action climatique. Pour eux, il s'agit déjà de rehausser l'ambition de la loi Climat et ainsi forcer la France à respecter ses engagements en matière de réduction d'émissions de gaz à effet de serre.

D'autres pays dans le monde sont concernés. La Chine, qui a créé la surprise en annonçant en 2020 un objectif de neutralité carbone d'ici à 2060, n'a pas précisé comment elle allait y parvenir. "C'est bien d'annoncer une neutralité carbone, c'est symbolique. Mais il est nécessaire que ça se traduise par des objectifs précis et des décisions à court terme", souligne Sébastien Treyer, directeur de l'Institut du développement durable et des relations internationales (Iddri). Côté chinois, les dernières "contributions déterminées au niveau national" (CDN), document qui doit décrire la stratégie nationale et être publié sur le site de la convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques, datent d'ailleurs de 2016 (contenu en anglais). Le rapport 2020 (PDF) du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE) souligne de son côté qu'"il sera crucial de voir dans quelle mesure ces annonces se traduiront par des interventions politiques à court terme et par des CDN nettement plus ambitieuses." L'attente est toujours de mise.

Le suivi se fait d'une manière "non punitive"

Le caractère non contraignant de l'accord est notamment en cause. Les seuls filets de sécurité cités dans le texte (PDF) sont l'obligation pour les pays de "relever le niveau d'ambition" de leur stratégie au moins tous les cinq ans, la réalisation d'un "premier bilan mondial en 2023 et tous les cinq ans par la suite" et la mise en place d'un "mécanisme pour faciliter la mise en œuvre et promouvoir le respect des dispositions du présent accord". Ce dispositif, "constitué d'un comité d'experts", fonctionne "d'une manière transparente", mais "non accusatoire et non punitive".

Face à cette inertie, certains experts, ONG ou associations ont donc pris les choses en main. Les Nations unies jouent un premier rôle de suivi : "On relaie les négociations en cours, on observe ce vers quoi on se dirige, si les pays agissent en accord avec ce qui est nécessaire pour respecter les objectifs de Paris", décrit, depuis l'université technique du Danemark, Anne Olhoff, coordinatrice du rapport du PNUE. Depuis 2010, elle étudie les politiques climatiques mondiales et voit rouge pour le moment. "Les pays doivent collectivement tripler le niveau d'ambition de leurs CDN pour atteindre l'objectif de limitation à 2 °C", peut-on lire dans son dernier rapport. Elle ne peut toutefois que "dénoncer" cette situation. Rien de plus.

"L'accord ne repose pas sur une force motrice, aucune entité supranationale n'existe pour faire respecter le texte au niveau mondial. Tout repose donc sur les promesses des pays et divers moyens de suivi."

Anne Olhoff, coordinatrice du rapport du PNUE

à franceinfo

Un autre organe, créé par une communauté d'experts, endosse ce même rôle et fait aujourd'hui figure de référence : le Climate Action Tracker (contenu en anglais). "Nous nous concentrons sur 40 pays qui représentent 80% des émissions globales", explique à franceinfo Sofia Gonzales-Zuñiga, membre du consortium qui se trouve aux manettes de l'outil. Celui-ci permet de voir "le décalage" entre les promesses et les actions de chaque pays. L'action du Brésil est par exemple jugée "très insuffisante". "La politique exposée dans la mise à jour de leurs CDN est moins ambitieuse que celle de 2016", regrette l'analyste

Les citoyens se tournent vers les tribunaux

D'autres vigies veulent, elles, aller plus loin, jusqu'à la sanction. "On a vu ces dernières années des jugements, à l'échelle nationale, qui font compter l'accord de Paris en interne", évoque Sébastien Treyer. Il cite la récente décision rendue par la cour constitutionnelle allemande, qui réclame une politique climatique plus ambitieuse. En France, le Conseil d'Etat a jugé recevable en 2020 la requête de la ville de Grande-Synthe (Nord) auprès du gouvernement visant à prendre plus de mesures afin de respecter les engagements pris dans l'accord. "Sur le fond, le Conseil d'Etat relève que si la France s'est engagée à réduire ses émissions de 40% d'ici à 2030, elle a, au cours des dernières années, régulièrement dépassé les plafonds d'émissions qu'elle s'était fixés, et que le décret du 21 avril 2020 a reporté l'essentiel des efforts de réduction après 2020", souligne l'instance.

"Chargées de contrôler l'action de l'administration, les juridictions administratives se retrouvent ainsi au cœur de ce 'contentieux climatique'", analyse le Conseil d'Etat dans un document publié jeudi. Du fait de l'action de citoyens, d'associations ou de collectivités, un Etat peut ainsi être sanctionné et obligé à prendre des mesures supplémentaires. Le document évoque "L'Affaire du siècle", recours de quatre ONG pour enjoindre la France à respecter ses engagements. "Les Etats ne se sentent pas suffisamment contraints ! C'est pour ça qu'on s'est saisi de ce rôle de contre-pouvoir et qu'on a choisi de se tourner vers les tribunaux", justifie à franceinfo Cécilia Rinaudo, coordinatrice générale de Notre affaire à tous, l'une des quatre organisations. Le dossier est toujours en cours.

D'une manière générale, de nombreux procès intentés à des pays marquent les esprits. En 2018, la Cour de justice de l'Union européenne a par exemple jugé recevable une plainte pour "inaction climatique", déposée contre les Etats européens par dix familles, dont un producteur de lavande installé dans la Drôme. 

Autre processus à l'œuvre pour faire en sorte que les pays respectent leurs promesses : la pression entre pairs. "Tous les Etats se regardent, indiquent une vision de l'avenir à suivre. Les Etats-Unis ont rehaussé leurs ambitions il y a quelques jours, le Japon et l'UE aussi, la Chine en septembre. Il y a eu une vague d'annonces. Imaginez que le Canada n'y prenne pas part. Il enverrait un très mauvais signal en matière de relations internationales", illustre Sofia Gonzales-Zuñiga. En effet, le retour à la table des négociations de l'allié américain et les engagements ambitieux de l'UE et du Royaume-Uni ont poussé Tokyo et Ottawa à faire des annonces importantes lors du sommet sur le climat organisé en visioconférence par Joe Biden, le 22 avril.

Des chefs d'Etat sont réunis en visioconférence lors du sommet pour le climat organisé par le président américain, Joe Biden, le 22 avril 2021. (BRENDAN SMIALOWSKI / AFP)

"Les pays sont engagés dans une course. C'est à qui sera le plus ambitieux, qui sera le premier sur le sujet", dépeint le directeur de l'Iddri. Au Royaume-Uni, les services secrets britanniques ont commencé à "espionner les plus gros pollueurs du monde", a annoncé le chef du MI6. "Dans le domaine du changement climatique, où il faut que tout le monde s'engage et joue franc jeu, il faut parfois vérifier que c'est bien le cas", a expliqué dans une interview à Times Radio (contenu en anglais) Richard Moore, le numéro un du renseignement britannique. La démarche, encore floue, pourrait donner le coup de fouet nécessaire aux négociations internationales, a ensuite salué le Premier ministre britannique, Boris Johnson.

"Seule, cette pression est insuffisante mais ne peut pas être négligée. Il y a une diversité de canaux par lesquels il faut essayer d'avoir un impact. L'ensemble peut pousser à une traduction nationale des promesses."

Sébastien Treyer, directeur de l'Iddri

à franceinfo

Pour Cécilia Rinaudo, le rôle de surveillance et de mobilisation endossé par les experts, citoyens ou associations est aujourd'hui nécessaire. "C'est un travail de longue haleine, très conséquent. Faire bouger un Etat est difficile. Cela demande énormément de travail de notre côté. Mais c'est en multipliant et en diversifiant les luttes qu'on peut faire bouger les choses", clame-t-elle.

Petit à petit, ces initiatives semblent porter leurs fruits, poursuit Anne Olhoff : "Les ambitions climatiques entrent de plus en plus dans les textes juridiques nationaux. Les gouvernements se rendent responsables devant la loi. C'est un changement très positif." Mais encore trop lent ? Avec les politiques actuellement menées, la trajectoire aboutira à une hausse de 2,9°C à la fin du siècle selon le Climate Action Tracker (contenu en anglais), soit bien au-delà des objectifs de l'accord de Paris. Les signataires se sont engagés à limiter le réchauffement "nettement en dessous de 2°C par rapport aux niveaux préindustriels", et si possible à 1,5°C.

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