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Visite du pape François à Marseille : sur les réseaux sociaux, les influenceurs catholiques français tentent de réconcilier la jeunesse avec l'Eglise

Article rédigé par Marion Bothorel
France Télévisions - Rédaction Sport
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 15min
Connectés sur des réseaux sociaux tels que TikTok, YouTube, Instagram et Snapchat, les influenceurs catholiques font parfois de l'évangélisation en ligne, un nouveau ministère. (ASTRID AMADIEU / FRANCEINFO)
Dans le sillage des orientations prises par le pape François, ces influenceurs présents sur TikTok, Instagram ou YouTube ont acquis une importante notoriété. Au point de voir l'Eglise de France tenter de les ramener dans son giron.

Il reçoit en soutane dans ses nouveaux studios situés en plein cœur de Paris. Le frère Paul-Adrien, qui s'autoproclame "seul prêtre consacré à l'évangélisation sur internet", prêche chaque semaine auprès de 249 000 abonnés sur YouTube et de 58 000 curieux sur TikTok. Ce créateur de contenus de 41 ans est imité sur ces plateformes par des dizaines de prêtres et quelques religieuses françaises, qui empruntent un chemin esquissé par Benoit XVI puis balisé par son successeur François. "N'ayez pas peur de devenir les citoyens du territoire numérique", avait encouragé le pape dès janvier 2014. "L'attention et la présence de l'Eglise sont importantes dans le monde de la communication, pour dialoguer avec l'homme d'aujourd'hui et l'amener à rencontrer le Christ", avait prêché le souverain pontife.

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Le pape François fut "le premier à reconnaître et à encourager cette présence numérique", souligne le père Matthieu, devenu une star sur TikTok, où plus d'1,2 million de personnes suivent ses activités. Comme pour les autres influenceurs catholiques interrogés par franceinfo, l'arrivée de ce curé de Joigny (Yonne) sur les réseaux sociaux était pavée de bonnes intentions. Il explique avoir d'abord ressenti cette nécessité "au lendemain du confinement où [il] ne parvenait plus à trouver les gens". En s'installant sur YouTube et TikTok, cet ancien gestionnaire de patrimoine, dont les yeux bleu clair suscitent des commentaires enflammés, a vu une "médiation géniale" pour répondre aux questions de sens "qui nous habitent tous aujourd'hui".

Les comptes de ces pieux influenceurs connaissent un réel succès depuis la pandémie de Covid-19, au point de convaincre le supérieur du frère Paul-Adrien de le laisser se dévouer à plein temps à la diffusion de la parole divine sur internet. "Il y a beaucoup plus d'attentes spirituelles et religieuses en ce moment qu'il y a dix ou quinze ans", affirme le moine youtubeur. 

Entre tutos théologiques et coachings amoureux

Entré en religion à 21 ans, ce fan de musique électronique et de science-fiction a dédié ses premières vidéos à ses loisirs, après avoir passé de longues heures à admirer celles du youtubeur Squeezie. Trois ans après la création de sa propre chaîne, le frère Paul-Adrien jongle entre des formats longs baptisés "théologie popcorn", "battles entre prêtres", ou "Docteur Love" et d'autres plus courts, liés à l'actualité, comme un dernier sur la polémique autour de l'abaya, qu'il conclut par un "soyez chrétiens". Il est désormais aussi présent sur TikTok et sur Instagram où, se souvient-il, ses premières stories étaient "aussi laides que le péché".

Le dominicain préfère se présenter comme un "prédicateur" plutôt que comme "influenceur" afin de ne pas donner l'impression qu'il "manipule les gens". Il emploie un ton positif à dessein : "Mes abonnés voient parfois pour la première fois un prêtre en train d'autoriser quelque chose. D'habitude, l'Eglise catholique est là pour interdire, que ce soit le divorce ou la contraception". Et s'imagine marcher dans les pas de saint Dominique, ermite du XIIIème siècle qui a fondé son ordre.

"Lui prêchait dans la rue, moi je prêche sur les réseaux sociaux. Lui vivait de mendicité. Moi, les gens me donnent de l'argent via Tipee."

Le frère Paul-Adrien

à franceinfo

D'autres influenceurs catholiques ont choisi de se servir des réseaux pour lever le voile sur leur parcours religieux sinueux. Depuis l'Orne où il dirige un collège privé, le frère Benjamin répond au téléphone pendant son footing. Ce moine, dont l'ordre est dédié à l'éducation des jeunes, dit "s'en foutre" de choquer, par son franc-parler "des gens bien cathos", lui qui a été longtemps "paumé dans sa foi". Ordonné à 33 ans, il confesse aux 20 000 abonnés qui le suivent sur Instagram que prier n'est "toujours pas un kiff" pour lui. Dans ses prêches tournés en format selfie, le frère Benjamin affiche un sourire d'une blancheur immaculée et une immuable mèche de surfeur. Sa communauté lui est fidèle depuis qu'il a débarqué sur les réseaux sociaux, auréolé de son passage dans l'émission "C'est mon choix" où, sans sa soutane, les participants lui attribuaient, au jugé, pas de moins de 500 conquêtes.

Sa médiatisation a entraîné une vague de "milliers de messages" sur son compte Facebook. "Des gens me confiaient leur vie, étaient bouleversés, demandaient comment se faire baptiser", se remémore-t-il. "Or, toutes les phrases que j'ai prononcées [sur le plateau de l'émission] sont inscrites quasi telles quelles dans l'Evangile. Je me suis dit que les gens étaient encore touchés par le message de Jésus".

Frère Benjamin creuse son sillon virtuel, bien aidé par ses reprises de chansons : "Pour être mis en avant par l'algorithme, je fais des 'covers' pour qu'il y ait des gens qui ne soient pas chrétiens atterrissent sur mon compte. Parce qu'ils trouvent ça marrant, un prêtre qui chante". Ses deux secrétaires lui font remonter les sujets prisés par ses fans : il développe volontiers sur "l'exorcisme" qui "intéresse beaucoup", la disparition du petit Emile à l'invitation de CNews, ou prodigue des conseils pour mieux-vivre, à la manière d'un coach en développement personnel.

"Une nouvelle forme d'évangélisation" qui s'assume

Cette nouvelle vocation d'influenceur peut aussi être dictée par les fidèles. "Les jeunes m'ont dit que pour poster mes photos de montagne, Facebook devenait has been, qu'il fallait être sur Instagram", commente le père Gaspard. Alpiniste, ex-militaire et ingénieur diplômé, il organise des camps pour adolescents en Savoie et s'est créé une présence en ligne en constatant le temps passé sur les réseaux par ses ouailles. "Ils ont ensuite voulu que je publie en vidéos les petites catéchèses que je leur faisais." Ce prêtre diocésain s'est d'abord adapté au format – moins d'une minute – puis a trouvé sa patte. En randonnée, un jeune lui pose une question, qui peut aller de la garde-robe du prêtre à la question du suicide, et lui répond spontanément.

Les jeunes côtoyés par le père Gaspard n'hésitent pas à le conseiller sur la manière de gagner en notoriété. Ce sont eux qui lui ont appris que "ce qui est important pour l'algorithme, c'est la régularité", le poussant à passer à une publication tous les deux jours. Le but est que "tout le monde s'y retrouve, sans que ce soit chiant". Tous les influenceurs interrogés l'assument : oui, ils s'adonnent à "une nouvelle forme d'évangélisation" qui fonctionne selon eux, sans qu'ils soient toutefois en mesure de le mesurer quantitativement.

A vue d'œil, le père Matthieu estime que sa communauté en ligne comporte un quart d'abonnés chrétiens pratiquants, une moitié baptisée et le reste réparti entre agnostiques et croyants d'autres religions. Le père Gaspard déclare ne pas se fier au nombre d'abonnés (54 000 sur TikTok) pour mesurer son influence, "car que les jeunes ont un peu honte d'être abonné à un prêtre". "Mais en regardant une première vidéo, ils vont finir par en consulter plusieurs, grâce à l'algorithme et petit à petit, ça chemine dans leur esprit".

Ce missionnariat virtuel semble damer le pion à des institutions religieuses à la popularité "en berne", tacle le frère Paul-Adrien. Celui-ci en est persuadé : "dans énormément de paroisses, il y a des gens qui ont retrouvé le chemin de la foi grâce à mes vidéos ou à celles d'autres influenceurs". A l'instar du père Gaspard, ces vidéastes catholiques se disent "un peu débordés" par les demandes de conversion qui leur parviendraient "tous les jours".

Des vedettes qui s'émancipent du discours officiel

Assaillis par les demandes de selfies lors des Journées mondiales de la Jeunesse organisées durant l'été à Lisbonne (Portugal), ces influenceurs sont presque devenus des stars. Cette affirmation de soi face caméra n'est pourtant "pas du tout dans le schéma catholique", reconnaît le frère Paul-Adrien avant de lancer, presque effronté : "Pour une fois que les gens reconnaissent un prêtre pour de bonnes choses, plutôt que pour des affaires qui défraient la chronique, ça me semble très bien". Le père Gaspard synthétise la ligne de crête sur laquelle il évolue : il est un "personnage public", oui, mais sans chercher à "attirer à soi". Leur positionnement place l'Eglise catholique dans une situation d'équilibre fragile, juge Isabelle Jonveaux, sociologue des religions à l'Institut suisse de sociologie pastorale de Lausanne (Suisse). 

"Tout le paradoxe pour l'Eglise, c'est que ces prises de parole représentent un risque et d'autre part, cela permet aussi d'atteindre un public qui se détournerait autrement de l'institution."

Isabelle Jonveaux

sociologue des religions

Interpellés par leurs abonnés sur des sujets de société, ces apôtres du numérique en viennent à se positionner personnellement. Interrogé sur l'avortement, le père Gaspard soutient, en utilisant le mot-dièse #provie cher aux anti-IVG, qu'un fœtus "dès qu'il est conçu" est "en lien avec sa mère". "On doit s'émerveiller devant la vie, on ne doit pas être dans cette culture de mort", pose-t-il. En s'exposant ainsi, la polémique n'est jamais loin.

Le père Matthieu en fait les frais, depuis qu'une de ses vidéos est devenue virale en août 2021. "Est-ce qu'en étant gays, nous sommes toujours chrétiens ?", l'interroge un abonné. Avec un regard doux adressé à la caméra, le curé de Joigny assure à ses "amis" virtuels : "Il n'est marqué strictement nulle part, ni dans la Bible, ni dans le catéchisme de l'Eglise, qu'être homosexuel ou pratiquer l'homosexualité, c'est péché"Cette courte vidéo récolte 190 000 "j'aime" et provoque un tollé dans la communauté catholique. Le frère Paul-Adrien prend la tête de la fronde et publie une vidéo acerbe en guise de réponse. 

Cette figure de proue des influenceurs catholiques est rapidement suivie par la Conférence nationale des évêques de France, dénonçant dans un tweet l'attitude du père Matthieu. Deux ans après la polémique, le curé rebelle assume ses propos : "Les voies de l'Eglise induisent des approches différentes, et je crois que c'est très sain", expose le père Matthieu.

Le ton est pourtant devenu moins libre au fil des mois. Après la polémique dont il a été l'objet, le père Matthieu a changé de format, préférant désormais célébrer les saints du jour sur fond de soleil levant. Même le frère Paul-Adrien soumet désormais ses vidéos à un "référent théologique" adoubé par son ordre avant leur diffusion. "Je pourrais le vivre comme une certaine forme de hiérarchie ou de contrôle, mais pas du tout", balaie le youtubeur, qui salue une "aide" bienvenue. Le frère Paul-Adrien a ainsi dû revoir sa copie à six reprises, avant de publier celle sur les personnes transgenres et "réécrire" celles consacrées aux "scandales dans l'Eglise".

Un contrôle de leur hiérarchie "en confraternité"

Les influenceurs peuvent désormais solliciter le "pôle influenceurs" de la Conférence des évêques de France pour "se prémunir d'un bad buzz", assure son responsable. En particulier quand ces missionnaires numériques se confrontent à d'autres prosélytes religieux. Le frère Paul-Adrien n'hésite ainsi pas à produire des vidéos sur l'islam et à "répondre" à certains vidéastes musulmans qui propageraient, selon lui, des mensonges au sujet de la bible. 

"Il serait impossible pour l'Eglise de ne pas être sur les réseaux sociaux et qu'il n'y ait pas d'influenceurs catholiques, décrypte Isabelle Jonveaux. D'un point de vue communication et marketing, ce serait une erreur : d'autres le font et c'est là où les gens sont."

Cumulant les likes et les vues, ces influenceurs accèdent à une forme d'autorité "que leur renvoie leur public", continue la sociologue, mais sans qu'elle soit "forcément reconnue par l'Eglise". Supérieur du père Matthieu, Hervé Giraud s'est rendu à Rome à plusieurs reprises pour demander "une régulation" de ces comptes et ceux de laïcs férus de religion. L'archevêque de Sens-Auxerre a également participé à une réunion internationale au Vatican sur ce sujet. S'il se défend de vouloir "faire le gendarme" parmi les influenceurs, le prélat souhaite s'assurer qu'ils rentrent bien dans les dogmes de l'Eglise.

"Il faut faire attention à ce qu'on dit, parce qu'on fait de la communication."

Le frère Paul-Adrien

à franceinfo

Parmi les pistes évoquées, un label pourrait être apposé sur les contenus validés par l'Eglise de France ou l'intronisation d'un "e-evêque", chargé par Rome de "s'immerger dans ce monde-là", détaille Hervé Giraud. Représentants de leur communauté religieuse ou de leur paroisse, ces influenceurs catholiques français aspirent aujourd'hui à se regrouper afin d'échanger "en confraternité" sur les vidéos publiées et se prémunir de prendre "la grosse tête". Le frère Paul-Adrien est ainsi parvenu à rassembler les plus médiatiques d'entre eux à au moins deux occasions, dont la dernière, mi-septembre à Paris. Tous étaient invités, à l'exception du père Matthieu, toujours écarté par ses pairs après ses propos tolérants envers l'homosexualité. 

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