Projet Pegasus : la mise sur écoute du roi du Maroc ne devrait pas fragiliser son pouvoir, selon un historien
Pierre Vermeren a estimé mardi sur franceinfo que le régime est "hyper sécurisé" et que la mise sur écoute du roi est "quelque chose de classique".
Le pouvoir marocain ne devrait pas être fragilisé par la révélation de la mise sur écoute du roi Mohammed VI, a estimé mardi 20 juillet Pierre Vermeren, professeur d’histoire contemporaine du Maghreb à l’Université Paris-I Panthéon-Sorbonne. Il réagissait ainsi aux informations dévoilées par le projet Pergasus, conduit par un consortium de journalistes emmené par Forbidden Stories et dont Radio France fait partie, selon lesquelles le numéro de téléphone du roi figure dans la liste des personnes susceptiques d'être attaquées par le logiciel espion de l'entreprise israélienne NSO.
Selon celui qui est aussi auteur d'un livre sur le Maroc, "c'est un régime autoritaire, qui repose sur l'information, qui est menacé par toute une cohorte d'islamistes depuis longtemps et qui est donc hyper sécurisé". La liste sur laquelle est inscrite le nom du roi mentionne par ailleurs un grand nombre de membres de la famille royale.
franceinfo : Comment expliquer ce paradoxe : le roi du Maroc, un pays qui a beaucoup espionné via NSO, lui-même ciblé par un logiciel espion ?
Pierre Vermeren : C'est un pouvoir extrêmement centralisé. Ceux qui sont dans l'entourage immédiat du roi, que ce soit du point de vue familial, de ses conseillers, institutionnel, se livrent une bataille permanente pour être au plus près, pour être celui qui va faire passer les messages. En réalité, on est donc au cœur de la sécurité de l'Etat. Faut-il rappeler qu'en Europe ou dans le monde occidental, de nombreux chefs d'État ont été mis sur écoute ? Pas forcément par leurs propres services mais c'est quelque chose de classique.
Peut-on expliquer cet espionnage du roi Mohammed VI par le rapprochement récent du Maroc avec Israël ?
Ce rapprochement a été officialisé récemment mais, en réalité, il remonte à l'indépendance du pays dès les années 60. Hassan II et son ministre de la Défense Mohamed Oufkir avaient des relations de proximité, pour ne pas dire privilégiées, avec certains dirigeants d'Israël où vit une très grosse communauté juive marocaine qui était la première communauté du pays jusqu'à l'arrivée des Russes. Ces liens ont donc persisté pour des raisons religieuses, économiques et sécuritaires. Israël et le Maroc ont toujours fait partie de la grande alliance occidentale avec l'Angleterre, les Etats-Unis et la France dans le système depuis la guerre froide. Ça n'a jamais changé quand on est passé à la phase de la lutte antiterroriste avec en arrière fond, bien sûr, les Émirats et l'Arabie Saoudite. C'est alors une officialisation qui a eu lieu à la fin de l'année dernière quand les Etats-Unis ont validé la "marocanité" du Sahara, ce qui est une cause essentielle pour le Maroc. En échange, il y a eu une reconnaissance d'Israël par le Maroc. Ce n'était pas évident au début du règne de Mohammed VI car il y avait une crise autour de cette représentation diplomatique qui se trouvait à Rabat. Mais là, on est passé à autre chose. C'est assez complexe, mais c'est assez cohérent avec la longue durée historique.
Est-ce que la révélation de cet espionnage peut fragiliser le roi du Maroc ?
Non, parce que ces services sont directement rattachés au pouvoir royal, en tout cas les services de renseignement extérieur. Pour le service de renseignement intérieur, ce n'est pas tout à fait le cas mais on est dans l'hyper proximité du souverain : on peut donc aussi imaginer que c'est aussi un écran de fumée en disant "voyez même le roi est sur écoute". Mais encore une fois, c'est un régime autoritaire, qui repose sur l'information, qui est menacé par toute une cohorte d'islamistes depuis longtemps et qui est donc hyper sécurisé. Les Marocains, avec les Israéliens comme les Saoudiens, comme les Egyptiens, font partie de cette grande alliance mondiale de lutte contre les réseaux salafistes. On peut donc imaginer qu'il y a une cohérence par rapport à toute cette période que l'on traverse depuis quelques années. Je ne pense pas qu'on en soit encore là.
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