Taxer les géants du numérique : six questions sur le projet du gouvernement
Après sa présentation en Conseil des ministres le 6 mars, le projet de loi sur cette taxe, qui est censée faire de la France un pionnier en matière d'imposition des Gafa, est en débat à l'Assemblée nationale.
Le projet de taxer davantage Google, Facebook et d'autres géants du numérique se précise. Après sa présentation en Conseil des ministres, le 6 mars, la taxe sur les géants du numérique est débattue à l'Assemblée nationale, à partir de lundi 8 avril et jusqu'au mercredi 10. Le 3 mars, le ministre de l'Economie et des Finances, Bruno Le Maire, avait annoncé dans un entretien au Parisien que ce projet de loi entrerait en vigueur "dès cette année". En attendant d'hypothétiques avancées sur le sujet au niveau européen et international, ce projet de taxe devrait faire de la France un pionnier en matière d'imposition des Gafa (acronyme de Google, Amazon, Facebook et Apple).
"Simple" et "efficace" selon Bercy, "complexe" et "risquée" d'après ses détracteurs : la taxe sur les géants du numérique suscite des analyses contradictoires en fonction des acteurs concernés. En quoi consisterait cette taxe ? Comment sera-t-elle prélevée et qui sera touché ? Pourquoi l'Etat veut-il imposer davantage ces entreprises, et qu'est-il prévu au niveau européen ? Eléments de réponse.
1Pourquoi taxer les géants du numérique ?
Cette proposition de taxer davantage les Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) et autres multinationales du web en France est "un objectif de justice", estime Bruno Le Maire. "Personne ne peut accepter que les géants du numérique soient taxés 14 points de moins que les entreprises françaises, en particulier que nos PME", expliquait-il déjà dans les colonnes du Journal du dimanche fin janvier. "Qu'ils paient moins d'impôts qu'une très grosse boulangerie ou qu'un producteur de fromages du Quercy, cela me pose un problème", a-t-il répété le 3 mars au Parisien.
A l'heure actuelle, au sein de l'Union européenne, ces entreprises ont la possibilité de déclarer l'intégralité de leurs revenus européens dans un seul Etat membre. Beaucoup le font dans des pays à plus faible taxation, tels que l'Irlande – où se trouvent les sièges sociaux européens d'Apple, de Facebook et de Google – et les Pays-Bas. D'après Margrethe Vestager, commissaire européenne à la Concurrence, les sociétés du numérique paient environ 9% d'impôts, contre 23% en moyenne pour les autres entreprises.
2Comment les Gafa seront-ils taxés en France ?
Les entreprises du numérique concernées sont celles dont le chiffre d'affaires est "supérieur à 750 millions d'euros" à l'échelle mondiale et à "25 millions d'euros en France". "Si ces deux critères ne sont pas réunis, elles ne seront pas imposées", a assuré Bruno Le Maire. Celles qui paient déjà leurs impôts en France ne seront pas doublement imposées : "Le montant acquitté sera déductible du résultat comptable sur lequel est calculé l'impôt sur les sociétés", indiquait dans Le Parisien le ministre.
Bruno Le Maire expliquait en janvier que cette taxe "sera applicable [rétroactivement] à compter du 1er janvier 2019", "et son taux sera modulé en fonction du chiffre d'affaires avec un maximum de 5%". Finalement, l'idée du projet de loi, tel que présenté à l'Assemblée, est plutôt d'imposer ces entreprises à hauteur de 3% du chiffre d'affaires réalisé en France sur les publicités en ligne, la vente à des tiers des données personnelles et l'"intermédiation" (mise en relation, par des plateformes, entre entreprises et clients).
3Quelles sont les entreprises concernées ?
La taxe Gafa devrait s'appliquer à une trentaine de groupes comme Meetic, Amazon, Airbnb, Instagram ou encore la française Criteo et rapporter 400 millions d'euros en 2019, puis 650 millions en 2020-2022. On n'en sait pas davantage.
Certains médias, comme Le HuffPost, ont cherché à obtenir la liste de toutes ces entreprises : impossible. "Quand on demande à l'entourage du ministre, il se réfugie derrière 'le secret fiscal'. Il précise aussi que tous les groupes reçus début mars à Bercy (Amazon, eBay, Facebook, Google, Microsoft, Snapchat, Twitter, Criteo, Solocal, Fnac Darty, Blablacar, Cdiscount, Orange, Se Loger, Spotify) ne seront pas touchés", détaille Le Huff Post. "Pour prévoir qui sera effectivement concerné, il faut donc s'en remettre pour le moment aux évaluations réalisées par des cabinets indépendants", ajoute le site, qui cite une étude publiée dans Les Echos le 20 mars.
Le 3 mars, Bruno Le Maire parlait d'"une trentaine de groupes (...) touchés" par cette nouvelle taxe. "Ils sont américains [Google, Facebook, Amazon], mais aussi chinois, allemands, espagnols ou encore britanniques. Il y aura également une entreprise française [NDLR : Criteo] et plusieurs autres sociétés d'origine française, mais rachetées par des grands groupes étrangers", détaille-t-il.
4Qu'est-il prévu au niveau européen ?
La Commission européenne a présenté il y a près d'un an, en mars 2018, un projet de taxation des géants du numérique en Europe. Elle propose tout d'abord une "nouvelle norme légale", "la présence numérique", qui permettra de taxer une entreprise même en l'absence de présence physique dans un pays, explique le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, dans Le Figaro (article payant). "On considérera qu'une plateforme a une présence imposable dans un Etat si elle remplit dans l'année l'un des trois critères suivants : sept millions d'euros de chiffre d'affaires, 100 000 utilisateurs ou 3 000 contrats ou comptes créés."
La commission propose également une taxe "provisoire" de 3% sur le chiffre d'affaires de ces entreprises, prélevée "sur une base déclarative", "jusqu'à ce que se mette en place l'imposition des profits du numérique", poursuit Pierre Moscovici dans Le Figaro. Objectif : taxer les revenus échappant aujourd'hui totalement à l'impôt, tels que "les données privées revendues à des fins publicitaires" ou "les activités de 'place de marché'", dès lors qu'une société numérique facilite des transactions entre ses utilisateurs. Selon lui, "une centaine d'entreprises sont concernées, américaines certes, mais aussi européennes et asiatiques".
Certains des revenus de ces géants du numérique ne seront pas concernés par cette taxation, a précisé le commissaire européen. Les revenus d'Amazon déjà soumis à la TVA – la vente de marchandises passant par des entrepôts européens – sortent ainsi du périmètre de ce projet de taxe.
5Ce projet de taxe européenne verra-t-il le jour ?
C'est peu probable. "Il n'y aura pas d'accord sur le projet de directive européenne" de taxation des géants du numérique au sommet du 12 mars, avait reconnu Bruno Le Maire le 28 février. Si la France soutient ce texte, plusieurs membres de l'UE s'opposent ouvertement à l'instauration d'une telle taxe. L'Irlande, qui accueille plusieurs sièges sociaux européens de Gafa, a dit non à une taxe de 3% du chiffre d'affaires de ces géants du numérique, créateurs d'emplois et d'activité sur son territoire. Le Danemark et la Suède ont également critiqué ce projet. L'Allemagne, si elle se montre plus encline à un compromis, craint quant à elle des sanctions américaines à l'encontre de son industrie automobile si les Gafa étaient davantage taxés.
6Des pays taxent-ils déjà les Gafa ?
Parmi les pays européens, l'Autriche s'est engagée fin décembre à mettre en place une taxe sur les géants du numérique, à l'image de la France. "Outre une disposition au niveau de l'Union européenne, nous agirons également au niveau national", a annoncé le chancelier autrichien, Sebastian Kurz, dans un communiqué.
Le Royaume-Uni a de son côté annoncé au mois d'octobre l'entrée en vigueur avant 2020 d'une taxation similaire, pour les entreprises dont le chiffre d'affaires global dépasserait les 500 millions de livres (566 millions d'euros), rapportent Les Echos.
D'autres initiatives ont émergé, comme à Singapour et en Espagne. Le gouvernement espagnol du socialiste Pedro Sanchez a adopté vendredi 18 janvier un projet de loi visant à créer une taxe de 3% sur les revenus de certaines activités de ces grandes entreprises du numérique. Mais son vote est incertain, le gouvernement n'ayant pas la majorité au Parlement.
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