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Pourquoi la loi contre les fake news suscite une levée de boucliers

Accusée de menacer la liberté d'expression, la proposition de loi "pour lutter contre la manipulation de l’information" ne convainc toujours pas ses opposants. 

Article rédigé par franceinfo - Coline Vazquez
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Examinée à l'Assemblée nationale le 7 juin 2018, la loi relative à la diffusion de fausses informations continue de susciter des critiques. (NORA CAROL PHOTOGRAPHY / GETTY IMAGES)

"Inutile", "dangereuse" et même "liberticide"… Alors que le vote de la proposition de loi "pour lutter contre la manipulation de l’information" ne devrait finalement avoir lieu qu'au mois de juillet, le texte voulu par Emmanuel Macron concentre de nombreuses critiques. Franceinfo vous explique pourquoi cette loi contre les fake news rencontre autant d'opposition.

Parce que la définition d'une fausse information est jugée trop vague

L'objectif de cette loi – en réalité deux propositions de loi, l'une organique touchant à l'organisation des pouvoirs publics et l'autre ordinaire – est clair : lutter contre la diffusion des fake news en période électorale. Mais la définition même d'une fausse information fait, depuis la naissance de cette proposition de loi, l'objet de nombreuses critiques. A l'origine, le texte visait à lutter contre "toute allégation ou imputation d'un fait dépourvu d'éléments vérifiables de nature à la rendre vraisemblable". Reporters sans frontières avait manifesté son rejet d'une telle caractérisation. La rapporteure du texte, Naïma Moutchou, a finalement proposé une nouvelle définition : "Toute allégation ou imputation d'un fait, inexacte ou trompeuse, constitue une fausse information"

La proposition de loi précise également que, pour être considérée comme telle, la fausse information doit être publiée "dans le cadre d'une diffusion massive et artificielle, qui serait faite par exemple par des contenus sponsorisés ou par des robots", explique Naïma Moutchou dans un entretien au journal La Croix. Elle ajoute que "cela ne concernera que les fausses informations délibérées". Enfin, la loi ne s'appliquera qu'aux fausses informations qui sont "de nature à altérer le scrutin", puisqu'elle ne concerne que les périodes électorales. 

Des explications qui n'ont pas rassuré les détracteurs du texte. "La diffamation, je connais. Une 'fausse information', je ne sais pas ce que c'est. 'La Terre est ronde' a longtemps été une fake news. 'Dieu existe' en est peut-être une…" ironise Richard Malka, avocat spécialiste du droit de la presse interrogé par Le Figaro.

Parce que le juge des référés devra se prononcer en 48 heures seulement

En cas de suspicion de fake news, il sera possible de saisir la justice en référé, c'est-à-dire en urgence. Un juge devra alors se prononcer sur la véracité ou non de l'information, et ce en 48 heures maximum. Un délai express, abondamment critiqué par les détracteurs du projet.

Basile Ader, vice-bâtonnier du barreau de Paris, invité de franceinfo, juge cette mesure "absolument impraticable". Et de citer l'exemple du prétendu compte offshore d'Emmanuel Macron, fake news répandue sur internet pendant la campagne présidentielle : "Je vois mal un juge en 48 heures venir dire, de manière expresse, que cette information est fausse."  

D'autant plus que, pour Basile Ader, "l'effet retour peut être catastrophique". Si le juge des référés ne peut pas invalider l'information, "ceux qui l'auront mise en ligne, qui l'auront diffusée, seront prompts à dire : 'Ecoutez, voyez, le juge n'a pas dit qu'elle était fausse' !" 

Par ailleurs, on ne sait pas précisément qui pourra saisir la justice. La proposition de loi ne mentionne que "le ministère public ou toute personne ayant intérêt à agir", précisant que les seules sanctions prévues sont l'arrêt de la diffusion, le déréférencement d'un site internet ou le retrait de contenus en ligne.

Parce que la loi pourrait menacer les médias

Si la ministre de la Culture, Françoise Nyssen, a affirmé dans son discours à l'Assemblée nationale, le 7 juin, qu'"en aucun cas les articles de presse professionnels ne seraient concernés", le vice-bâtonnier Basile Ader estime que cela ne va pas de soi. "Tel que c'est rédigé, je ne vois pas que c'est exclu. C'est bien qu'elle l'annonce, mais il faudrait encore l'écrire dans la loi expressément", insiste-t-il. 

Le Syndicat national des journalistes (SNJ) a d'ailleurs exprimé, dès le début, son opposition. En mars, le SNJ affirmait que "ce texte menace la liberté d'expression et la liberté d'informer" et "peut aussi devenir un moyen d'entraver le travail des journalistes professionnels". 

Parce que le renforcement du rôle du CSA est remis en question

Au centre de la loi figure également le renforcement des missions du Conseil supérieur de l'audiovisuel (CSA), qui pourra "empêcher", "suspendre" ou "mettre fin à la diffusion de services de télévision contrôlés par un État étranger et qui portent atteinte aux intérêts fondamentaux de la Nation ou participent à une entreprise de déstabilisation de ses institutions". Une mesure qui vise notamment les médias russes Russia Today et Sputnik News, accusés par Emmanuel Macron de répandre des "contre-vérités infamantes". "Ce ne sont plus des journalistes, ce sont des organes d'influence", avait-il raillé lors d'une conférence de presse en présence de Vladimir Poutine, le 29 mai 2017. 

A nouveau, le vice-bâtonnier Basile Ader émet des réserves : "Je ne vois pas comment, en 24 heures, le CSA pourrait nous dire que telle nouvelle est fausse, telle nouvelle n'est pas fausse. Je veux bien qu'il soit omniscient, mais c'est très compliqué pour un juge ou une autorité administrative de dire la vérité des choses sans avoir des éléments d'information tout à fait certains." 

Parce qu'une loi existe déjà

La loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse apporte déjà des mesures pour contrôler ce qu'elle nomme les "fausses nouvelles". L'article 27 condamne "la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers". La loi précise également que "porter atteinte à l'honneur ou à la considération" d'une personne relève de la diffamation. 

Pour Naïma Moutchou, la rapporteure, il faut faire une distinction entre "fausse nouvelle" et "fausse information", comme elle l'explique sur Europe 1. Mais pour l'avocat Richard Malka, "les dispositifs nécessaires existent" déjà. Un avis partagé par Basile Ader : "Ce qu'on veut mettre en place est déjà en place." Selon le vice-bâtonnier de Paris, "on a une loi très ancienne qui a été régulièrement corrigée, on y a ajouté des incriminations. Elle fait ses preuves." Et de conclure, cinglant : "C'est pour moi, vraiment, une loi de circonstance. (...) Au mieux, c'est une loi inutile."

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