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Mais que font vos ados sur Snapchat ?

Article rédigé par Vincent Matalon
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Très prisé des adolescents et des jeunes adultes, Snapchat n'est que très peu utilisé par les plus de 35 ans. (LUCAS JACKSON / REUTERS)

Le service de partage de photos et de vidéos éphémères sur mobiles, très utilisé par les moins de 25 ans, est souvent bien mystérieux pour les adultes.

Vidéo d'ados en pleins ébats diffusée lors de la soirée du réveillon du Nouvel An, stagiaires publiant des images de maltraitances dans une maison de retraite... En l'espace de quelques semaines, le réseau social Snapchat a été cité à plusieurs reprises dans des faits-divers particulièrement sordides. Et si vous avez sous votre toit un(e) adolescent(e) ou un(e) jeune adulte, cela vous a peut-être fait lever un sourcil.

Normal : lancée à la fin 2011, l'application au logo représentant un petit fantôme est très, très populaire chez les jeunes. Et presque exclusivement chez eux : selon les chiffres communiqués par Snapchat aux annonceurs désireux d'y afficher de la publicité, seuls 14% des utilisateurs américains du service sont âgés de plus de 35 ans. Et les moins de 25 ans représentent 60% des adeptes.

Pour mieux cerner les différents usages de cette application de partage de photos et vidéos éphémères disponible sur mobiles et tablettes, francetv info a interrogé de nombreux utilisateurs, et leur a demandé de partager ce qu'ils s'envoyaient. Voici ce que font vos ados sur Snapchat.

Ils se parlent (sans arrêt)

Cela peut vous sembler curieux, mais une bonne partie des adolescents et des jeunes adultes utilisent quotidiennement Snapchat comme d'autres s'envoient des SMS ou des messages sur WhatsApp. Outre l'envoi de photos et de vidéos éphémères, l'application permet, en effet, depuis le printemps 2014, de s'échanger des messages écrits, qui disparaissent eux aussi après lecture. 

Jongler entre ces différents usages se fait de manière naturelle pour ces "snapchatteurs" intensifs. Valentin, élève de troisième à La Crau (Var), explique ainsi "envoyer quelques messages écrits au milieu de photos et de vidéos" à ses amis. Jade, 14 ans, préfère, pour sa part, se filmer directement pour s'adresser à ses copines. "C'est plus rapide d'envoyer une vidéo de 10 secondes que d'écrire un long SMS", explique cette collégienne de Pithiviers (Loiret). Les deux ados ajoutent que Snapchat leur permet de garder le contact avec des amis privés de téléphone par leurs parents, mais qui possèdent une tablette connectée à internet.

Exemple de "snap" personnel envoyé par des amies à une jeune utilisatrice. (SNAPCHAT)

Ne croyez pas pour autant que votre enfant passe ses journées à envoyer des selfies à tous ses camarades. Là où les adolescents peuvent compter plusieurs centaines de contacts sur Facebook, ils réservent Snapchat et leurs images du quotidien à un cercle d'amis bien plus restreint. Manon, élève de seconde dans la périphérie de Montpellier (Hérault), explique ainsi envoyer quotidiennement des "snaps" à deux ou trois personnes, tandis que Valentin communique essentiellement avec quatre de ses amis.

Montrer sa tête plusieurs fois par jour à ses contacts peut vous paraître étrange, mais rassurez-vous, c'est tout à fait normal. "S'envoyer des images, c'est une façon de ne pas se perdre de vue, de maintenir une relation fusionnelle, explique à francetv info Sophie Jehel, maîtresse de conférences à l’université Paris-8 et spécialiste des pratiques médiatiques des adolescents, qui a mené de nombreux entretiens sur l'utilisation de Snapchat par les jeunes. C'est une pratique bien plus essentielle lorsque l'on est adolescent qu'adulte."

Ils se la pètent (parfois)

Outre les "snaps" privés, vos enfants peuvent également envoyer leurs images dans leur "story" personnelle, où elles sont accessibles de manière illimitée pendant 24 heures à tous les utilisateurs abonnés à leur compte. Et là où les correspondances privées sont utilisées pour les conversations du quotidien, les "stories" leur permettent d'exhiber des scènes dont ils tirent une certaine fierté.

Moments forts d'un voyage, photos de groupe mises en scène, fringues ou accessoires de valeur... Tout est bon, ou presque, pour se montrer sous son meilleur jour. Mais si l'envie vous prenait de créer un compte Snapchat pour épier discrètement la "story" de votre progéniture, sachez que la plupart des adolescents interrogés par francetv info sont sur leur garde. "Ma mère s'était inscrite, je l'ai bloquée immédiatement", sourit Valentin, le collégien varois. Jade, elle, explique avoir trouvé "dans les paramètres des 'stories' un réglage qui permet d'en interdire l'accès aux utilisateurs que l'on veut". Tout est déjà prévu.

Photo publiée dans la "story" d'un utilisateur de Snapchat. (SNAPCHAT)

Cliché d'une montre publié dans la "story" d'un autre utilisateur. (SNAPCHAT)

Il reste toutefois possible d'aller encore plus loin dans l'affichage de son quotidien en envoyant photos ou vidéos dans une "live story" locale. Cette fonctionnalité, ajoutée à l'été 2014, a pour objectif de montrer ce qu'il se passe dans une ville ou lors d'un événement particulier. Elle regroupe des contenus triés par les équipes de Snapchat en fonction de la localisation des utilisateurs. Les Franciliens peuvent ainsi envoyer leurs images à la "story" collective "Paris".

Extrait de la "live story Paris" du 2 février 2016. (SNAPCHAT)

Cela ne va pas sans poser un problème de confidentialité que les plus jeunes ignorent. Car contrairement aux "snaps" classiques, qui sont conservés sur les serveurs de Snapchat jusqu'à consultation par tous les destinataires, puis effacés, les images envoyées dans les "stories" collectives peuvent être conservées sans limite de temps par l'application. 

Ils se rapprochent de leurs idoles (tout le temps)

Snapchat ne sert pas qu'à communiquer avec ses amis. Tous les adolescents interrogés par francetv info assurent s'être abonnés aux comptes de jeunes stars de YouTube ou de la chanson. A travers l'écran de leur smartphone, ils suivent le quotidien de leurs vedettes dans leurs "stories", au milieu de celles de leurs potes. Ce qui crée un sentiment de proximité bien supérieure aux images formatées produites sur YouTube ou à la télévision.

Wilhem, jeune humoriste qui réunit plus d'un million de fans grâce à ses vidéos publiées sur Facebook, est très friand de cet outil. "J'ai configuré mon compte pour que tout le monde puisse m'envoyer des messages privés, et j'essaie d'y répondre aussi souvent que possible. C'est comme si Facebook était ma scène, et Snapchat le café que l'on partage avec le public après le spectacle. Les échanges sont détendus, sans doute parce qu'ils s'effacent", juge-t-il.

Les jeunes rappeurs Bigflo et Oli, qui publient dans leurs "stories" les coulisses de leur tournée, ne disent pas autre chose. "C'est le réseau le moins sérieux, sur lequel on se sent le plus libre. On entre vraiment dans la vie des gens, raconte Bigflo à francetv info. Certains fans nous le disent directement, d'ailleurs. Il y a un mois, des Américains étaient venus nous aider au studio, et nous faisions plein de blagues sur 'Snap'. Quand ils sont partis, quelqu'un nous a dit : 'C'est dommage, j'ai passé une super semaine avec vous !'."

Bigflo (à gauche) et Oli, dans l'une de leurs "stories", publiée jeudi 4 février 2016. (SNAPCHAT)

Ils se charrient (souvent)

Autre sport national sur Snapchat : se moquer de ses copains en gardant une copie d'un "snap". Sur la plupart des smartphones, une simple combinaison de touches permet de réaliser une capture d'écran, et donc de sauvegarder sur son appareil une photo normalement destinée à être éphémère. Lorsque cette manipulation est effectuée, l'application avertit l'utilisateur.

Bien qu'elle soit contraire à la philosophie de Snapchat, cette pratique surnommée "screen" est très répandue. "Je le fais dès que je reçois un 'dossier' [un selfie ou une photo drôle et un peu ridicule]", s'esclaffe François, élève de troisième à Lisieux (Calvados). "C'est une sorte de taquinerie, je 'screene' les photos un peu moches, et je les ressors plus tard à mes amis pour rire", ajoute Manon, la lycéenne héraultaise.

Un selfie capturé sur Snapchat. (SNAPCHAT)

Il faut dire qu'en proposant aux utilisateurs d'ajouter des filtres déformants ou humoristiques sur leur visage, Snapchat pousse un peu au crime. 

Exemple de filtre proposé par Snapchat, essayé avec courage par francetv info. (SNAPCHAT)

Les jeunes utilisateurs que nous avons interrogés l'assurent : c'est cette possibilité de voir leurs images capturées par leurs amis qui les dissuade d'envoyer des clichés trop osés. "Avant d'envoyer un 'snap', je me demande si j'ai confiance en la ou les personnes qui vont le recevoir, s'ils vont 'screener' ou pas, ou bien s'ils ont un iPhone 'craqué', pour capturer le snap sans que je le sache", raconte Valentin.

Ils dérapent (rarement)

Capturer des images éphémères à l'insu de leurs émetteurs est à la portée de n'importe quel utilisateur un peu bidouilleur. Des applications non-officielles, disponibles sur les iPhones déverrouillés, mais aussi sur n'importe quel téléphone Android, proposent cette fonctionnalité, pourtant explicitement interdite par les conditions d'utilisation de Snapchat.

C'est justement grâce à des images volées et massivement relayées sur Twitter par des adolescents que lors de la préparation de cet article, francetv info a découvert l'existence d'un certain "Mojito". Chaque jour ou presque, ce jeune Francilien utilise les "stories" de Snapchat pour se vanter d'être entouré de ce qu'il appelle des "keh" (diminutif de kehba, terme arabe qui désigne une prostituée). On peut l'y voir répéter, comme un slogan : "Ouais la keh à Mojito", tout en simulant des actes sexuels avec des jeunes femmes en exhibant des billets, quand il ne les fesse pas à l'aide de sa ceinture.

Capture d'écran de la "story" Snapchat du fameux "Mojito". (SNAPCHAT)

Un mauvais goût qui ne surprend pas la spécialiste, Sophie Jehel. "Certains jeunes se sentent protégés par leur pseudonyme et le contrôle de la durée d'exposition des images. Ils versent donc parfois dans la revendication, la provocation, voire quelque chose d'un peu plus délinquant."

Mais ce sentiment d'impunité, conforté par le caractère volatile des messages, n'empêche pas la justice de se pencher sur certains cas. Au début de l'année, deux hommes ont ainsi été mis en examen et placés en détention provisoire à Perpignan (Pyrénées-Orientales) après la publication d'images de viol sur Snapchat. 

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