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Attaqué sur Twitter, accusé de "collabeurer", Amine El Khatmi se serait "bien passé d'être insulté pendant cinq jours"

Ce jeune élu socialiste d'Avignon (Vaucluse) a reçu de nombreux messages injurieux sur les réseaux sociaux, après avoir critiqué la prestation d'une militante sur le plateau de l'émission "Des paroles et des actes".

Article rédigé par Fabien Magnenou
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6 min
Le débat après l'émission "Des paroles et des actes" sur France 2, jeudi 21 janvier, a viré au tollé contre Amine El Khatmi. (Photo d'illustration) (ALEXANDR KRYAZHEV / RIA NOVOSTI / AFP)

Voilà plus d'une semaine que l'affaire fait rage sur les réseaux sociaux. Amine El Khatmi, 27 ans, adjoint au maire PS à la ville d'Avignon (Vaucluse), s'apprête à porter plainte pour des injures reçues sur Twitter et pour la divulgation de son adresse postale, ainsi que celle de sa mère. "Je suis serein, je n'ai pas peur, assure-t-il, contacté par francetv info. Je rassemble encore les preuves mais il y a eu beaucoup de comptes et de messages supprimés." Il accuse certaines personnalités d'avoir entraîné ces réactions hostiles à son encontre, sur fond de communautarisme et de thèses racialistes.

L'affaire commence le vendredi 22 janvier, au lendemain de la prestation controversée de Wiam Berhouma dans l'émission "Des paroles et des actes", sur France 2. Après avoir découvert les images, Amine El Khatmi se dit "affligé" par cette longue diatribe, prononcée en présence d'Alain Finkielkraut. C'est le jeu sur les réseaux sociaux, sa critique est à son tour critiquée. Et les insultes pleuvent. Il est qualifié de "copain PS, tendance harki". "Couché le chien", glisse un autre. "Alors tu collabores ?", lui demande-t-on. L'élu retweete de nombreux messages qui lui reprochent de trahir la communauté musulmane avec des noms plus ou moins fleuris. "J'en ai reçu plusieurs centaines", dit-il. Un véritable tollé, sur fond d'une prétendue collaboration d'un musulman avec l'Etat.

L'avocat Sefen Guez Guez, proche du Comité contre l'islamophobie, l'affuble même du surnom de "collabeur". L'avocat plaide aujourd'hui l'humour, après avoir effacé son message : "Je trouvais ce mot-valise rigolo, aucune référence à la Collaboration avec un grand C, période sombre de l'histoire française." Joint par francetv info, il reproche au jeune homme d'être dans "une logique de récupération politique, en retweetant tous les messages [hostiles] pour faire monter la sauce." Sefen Guez Guez exhume une critique des contrôles au faciès rédigée sur Facebook par l'élu, en 2009 : "Il a changé son discours, depuis."

"Un buzz orchestré ? Je me serais bien passé des insultes"

Amine El Khatmi est remonté contre Sihame Assbague, déjà invitée sur le plateau de David Pujadas. Face à Alain Juppé, elle avait dénoncé un "racisme institutionnel" en France, ce qui lui avait valu un portrait dans Les Inrocks. Le soir de DPDA, elle a longuement salué la prestation de Wiam Berhouma : "Elle a été calme et construite, mais comme c'est une femme (non-blanche en plus), vous avez vu de l'agressivité et de l'insolence", écrit-elle sur Twitter.

Choqué par ce dernier message, Amine El Khatmi l'interpelle à plusieurs reprises, la qualifiant de "dangereuse" pour les principes républicains et dénonçant "sa bande". En retour, il obtient simplement un cœur"Je ne sais même pas pourquoi vous m'appelez, explique-t-elle, contactée par francetv info. Il m'a trollée. Ses attaques sont une mise en scène médiatique à des fins de buzz, pour déplacer le débat sur le terrain entre communautarisme et la République." Dans les échanges consultés sur Twitter, Sihame Assbague ne s'est jamais départie de son calme. 

"Le buzz orchestré ? s'étrangle Amine El Khatmi. Me faire insulter pendant cinq jours de sous-merde, de 'collabeur', de serpillière, je m'en serais bien passé. Personne ne cherche ça." Le jeune homme se plaint d'être la cible des adeptes d'une "vision racialiste de la société", qui se posent "en victimes et considèrent qu'ils doivent se défendre sous l'angle identitaire". Il défend un modèle républicain et dénonce un modèle communautariste. "Moi, musulman pratiquant, je réserve l'expression de ma foi à ma vie privée."

Amine El Khatmi est également fâché contre Alkanz, autre utilisateur influent venu prendre la défense de Sihame Assbague : "Filez, les khobzistes [opportuniste au crochet du système] de votre espèce, ça ne mérite pas qu'on leur consacre du temps. Allez du balai !" Lors de l'entre-deux-tours aux régionales, ces deux personnalités ont lancé le mot-dièse #PasDeJusticePasDeVoix, pour dénoncer les supposées "politiques racistes qui sont menées par les gouvernements socialistes et Les Républicains".

Des réactions de tous bords : #JesoutiensAminelElKhatmi

Amine El Khatmi, lui aussi, parvient à mobiliser des soutiens. Un premier article de presse est consacré à l'affaire, sur le site du magazine Causeur. Six jours après l'émission politique, le délégué interministériel à la lutte contre le racisme et l'antisémitisme (DILCRA) rédige ensuite un message de soutien, pour dénoncer "une campagne de haine d'une violence inacceptable sur les réseaux sociaux". En revanche, Amine El Khatmi déplore toujours le silence du Parti socialiste : "Il y a sûrement un malaise, mais il faut poser la question au bureau national."

Des acteurs politiques – comme l'écologiste François de Rugy ou les socialistes Yann Galut et Jérôme Guedj – rejoignent la mobilisation en ligne, mercredi et jeudi, regroupés derrière le mot-dièse #JesoutiensAmineElKhatmi. Le lendemain, la ministre de l'Education nationale Najat Vallaud-Belkacem juge "inacceptables" les menaces adressées au jeune homme.

Selon la cartographie établie par Nicolas Vanderbiest, spécialiste des phénomènes d'influence sur les réseaux sociaux, Amine El Khatmi a finalement reçu davantage de soutiens que d'insultes.

Des mouvements liés à des leaders conscients ou non

"Si Sihame Assbague vous dit qu'elle n'est pour rien dans l'affaire, c'est normal, explique le chercheur. Mais il y a aussi son réseau, qui assiste à l'échange et intervient, et là c'est tout autre chose. C'est un foutoir sans nom." Nicolas Vanderbiest a déjà observé les parties à l'œuvre dans ce dossier, très sensible à l'influence de Sefen Guez Guez (@IbnSalah), Alkanz, Marwan Muhammad – ancien porte-parole du Comité contre l'islamophobie – et Sihame Assbague.

Ces leaders d'opinion peuvent susciter du "buzz", parfois à leur insu, d'autres fois en toute connaissance de cause. Et Nicolas Vanderbiest d'analyser  : "Une personne se sent visée par une meute organisée, alors qu'elle est en fait confrontée à beaucoup de comptes individuels qui ne se concertent pas entre eux, venus pour un seul message. En face, vous avez des comptes comme celui d'Alkanz, qui n'ont mis qu'un tweet et qui se désintéressent plus ou moins du sujet."

"Alkanz a peu écrit dans cet échange mais il se retrouve partie prenante. Il compte 38 400 abonnés ; il est logique d'en trouver 200 ou 300 personnes qui vont réagir. Même sans vouloir lancer une mobilisation, il le fait", explique le chercheur. A la lumière de ses premières observations sur le mouvement, Nicolas Vanderbiest estime toutefois qu'il n'y a "pas eu d'acharnement de la part des pro-Assbague, sauf de rares exceptions". Après avoir tweeté cette analyse – et obtenu une réponse de Sihame Assbague – le chercheur a été, à son tour, pris à partie par un anonyme.

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