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"Achats plaisir" ou "argent bien dépensé" : comment est utilisée l'allocation de rentrée scolaire ?

Les études réalisées par les Caisses d'allocations familiales montrent que cette aide sociale, versée mardi à plus de trois millions de foyers, est essentiellement dépensée par les bénéficiaires en achats de fournitures scolaires et de vêtements pour leurs enfants.

Article rédigé par Benoît Zagdoun
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Mardi 16 août, la journaliste Anne-Claire Le Sann, présente sur le plateau du 19/20, explique que le panier moyen des fournitures scolaires a augmenté cette année. (NICOLAS GUYONNET / HANS LUCAS / AFP)

Près de 470 euros pour un enfant de 6 à 10 ans, un peu plus de 490 pour un jeune âgé de 11 à 14 ans et environ 500 pour un adolescent entre 15 et 18 ans. Comment cette allocation de rentrée scolaire (ARS), versée sur l'ensemble du territoire français mardi 18 août, est-elle dépensée par les plus de trois millions de familles aux revenus modestes qui en bénéficient ?

Le débat revient chaque année. Pour l'entrepreneur Rafik Smati, cela ne fait aucun doute : l'ARS, certes "légitime", "est souvent affectée à des achats plaisir", comme les télévisions ou les smartphones, liste-t-il dans un tweet posté dimanche 16 août. Il propose une "solution" : le versement de l'ARS sous forme de "chèques-rentrée valables uniquement sur des produits vestimentaires et éducatifs".

Sautant sur l'occasion, le député LR du Pas-de-Calais Pierre-Henri Dumont a rappelé dans un tweet qu'il a déposé en février une proposition de loi en ce sens. Le texte qu'il a cosigné plaide pour "un contrôle plus approfondi de l'attribution de l'ARS" et offre, afin d'"éviter la fraude", de la transformer en "bons d'achats", remis en échange d'un "justificatif de scolarité", les communes se chargeant de donner aux familles "un trousseau" de fournitures scolaires. L'allocation de rentrée scolaire serait-elle détournée de son but premier par les bénéficiaires ?

Des achats de fournitures et de vêtements surtout

Pour répondre à la question, les Caisses d'allocations familiales (CAF) ont mené plusieurs études sur l'utilisation de l'ARS dans les années 1990, 2000 et 2010. La dernière disponible remonte à 2013. La Caisse nationale des allocations familiales (Cnaf) a commandé à l'institut de sondage OpinionWay une enquête (PDF) auprès d'un échantillon représentatif de quelque 2 000 bénéficiaires. Ces enquêtes ont toutefois leurs limites : elles reposent sur la sincérité des déclarations des personnes interrogées.

 

Parmi les sondés de 2013, 95% déclarent avoir utilisé leur ARS pour acheter des fournitures scolaires et 89%, des vêtements pour leurs enfants. Viennent ensuite les dépenses d'assurance, de cantine ou de transport (42%), les achats d'affaires de sports ou de loisirs (35%), les inscriptions à des activités extra-scolaires (32%), le mobilier de bureau pour les enfants (13%), l'équipement informatique (8%) et d'autres dépenses liées à la rentrée (6%). La précédente étude de la Cnaf (PDF) – un questionnaire avait été envoyé, en 2002, aux 25 000 bénéficiaires de l'ARS, sur un échantillon représentatif de 10 CAF – livrait des conclusions similaires.

Une aide limitée par rapport au coût d'une rentrée

Dans le sondage de 2013, les bénéficiaires de l'ARS interrogés déclarent avoir dépensé en moyenne 310 euros en matériel scolaire et 308 euros en vêtements pour leurs enfants. Ils évaluent le coût moyen de la rentrée à 1 263 euros. Ce budget augmente avec le nombre d'enfants, passant en 2013 de 882 euros pour un enfant à 1 195 euros pour deux enfants et à 1 549 euros pour trois enfants. Il croît aussi avec le niveau scolaire : de 1 291 euros pour l'école élémentaire, il grimpe à 1 439 euros pour le collège et 1 669 euros pour le lycée. Des dépenses que l'ARS est loin de couvrir. Pour la rentrée 2013, l'allocation s'élevait à 356,20 euros pour les enfants de 6 à 10 ans, à 375,85 euros pour ceux de 11 à 14 ans et à 388,87 euros pour les 15-18 ans.

Il faut remonter à 1994 et à une étude commune (PDF) des CAF d'Isère et de Saône-et-Loire – les premières à avoir étudié l'utilisation de l'ARS – pour trouver la trace très marginale d'un usage de cette aide à d'autres fins que la consommation. Parmi les familles bénéficiaires de ces deux départements, 4% répondaient alors ne pas avoir affecté cette allocation à un quelconque budget, 1,8% déclaraient l'avoir épargnée, 1,5% avaient remboursé des dettes grâce à cette somme et 1,3% payé leurs impôts.

"De l'argent bien employé"

"Il ne s'agit pas de dire que ça ne peut pas arriver. C'est une possibilité laissée par le fait que cette allocation est versée en argent liquide. Mais on n'a pas de source, pas d'étude, pas de rapport qui auraient observé sur le terrain un tel usage de cette allocation, qui dirait que c'est massif, que ça pose problème ou que l'ARS fonctionne mal et n'est pas efficace", objecte le sociologue Denis Colombi, auteur d'Où va l'argent des pauvres ? (éd. Payot et Rivages). Ne reste que les on-dit.

Alors que "20% des enfants vivent dans la pauvreté" et que "les familles avec deux enfants ont en moyenne un niveau de vie plus bas de 20% par rapport aux familles sans enfant", Henri Sterdyniak, chercheur à l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE) et membre du collectif des Economistes atterrés, invite à voir l'ARS comme un coup de pouce supplémentaire aux ménages modestes, à savoir les familles nombreuses, à un seul revenu ou monoparentales. L'économiste estime que l'ARS "n'est pas un gaspillage", mais au contraire "de l'argent bien employé". Une famille avec un enfant ne perçoit en effet aucune allocation familiale, une avec deux enfants touche un peu moins de 132 euros et celle avec trois enfants 301 euros, comme le rappelle la CAF

Le montant de l'ARS compense en quelque sorte le faible niveau des allocations familiales en France.

Henri Sterdyniak, membre des Economistes atterrés

à franceinfo

Dans ce contexte, "si l'argent de l'ARS sert dans certains cas à acheter des produits de marque aux enfants, alors qu'ils pourraient avoir moins cher, c'est une petite compensation par rapport aux difficultés de l'existence", juge l'expert. De même, avance-t-il, "il n'est pas scandaleux que dans certains cas l'argent de l'ARS serve à acheter un appareil électroménager devenu indispensable. Les enfants ont besoin que leurs parents aient une machine à laver le linge, un frigidaire, une télévision ou un téléphone portable et un ordinateur à la maison, comme on l'a vu avec la crise sanitaire." Par conséquent, "on ne peut pas discriminer, en disant que telle dépense est totalement inutile et telle autre, utile", tranche-t-il.

"Une question de morale sociale"

Vouloir déterminer une bonne utilisation d'une allocation revient à débattre d'un usage convenable de l'argent, ce qui soulève "une question de morale sociale", analyse Louis Maurin, le directeur de l'Observatoire des inégalités. "Puisqu'on ne peut pas disposer du détail de leur budget et de leurs différents postes de dépenses, cela revient à nier aux pauvres le droit d'avoir des dépenses autres qu'essentielles". 

Au travers de l'argent, on essaie de contrôler le mode de vie des pauvres.

Denis Colombi, sociologue

à franceinfo

Pointer les dépenses superflues des ménages modestes va à l'encontre d'"une vieille loi économique en matière de dépenses inutiles", souligne Louis Maurin. "Plus le revenu s'élève, moins l'euro supplémentaire sert à financer des dépenses de base", rappelle-t-il. "La meilleure façon de réduire la pauvreté, c'est de donner de l'argent aux pauvres, sous forme liquide, parce que ce sont eux qui savent de quoi ils ont besoin pour essayer d'améliorer leur situation. Peut-être faut-il aussi accepter de leur faire confiance", rappelle le sociologue Denis Colombi, citant les travaux de la prix Nobel d'économie Esther Duflo.

Une aide "pleinement conforme" à son but

Répondant à une question de la sénatrice ex-PS de Marseille Samia Ghali, qui plaide elle aussi pour un meilleur contrôle de l'ARS, le ministère des Solidarités avait déclaré que l'utilisation de cette allocation était "pleinement conforme aux finalités pour lesquelles elle a été mise en place". Il avait en outre rétorqué que son versement sous forme de bons d'achat "n'apporterait pas de garantie supplémentaire", faisant au contraire valoir que cette modalité poserait bien des difficultés.

Il faudrait d'abord, égrenait le ministère, arrêter une liste de biens achetables avec ces chèques et de commerces et enseignes partenaires. Les commerçants se retrouveraient alors chargés de contrôler la conformité des paniers. Un tel processus nécessiterait enfin "un nouveau circuit financier" entre l'Etat et les commerces, ce qui impliquerait "des investissements coûteux". Mais surtout, le ministère rappelait qu'"aucune étude sérieuse ne prouv[e] que l'ARS est effectivement utilisée par les familles à d'autres fins que les dépenses de rentrée scolaire".

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