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Cinq questions sur les élections territoriales en Polynésie française, qui opposent autonomistes et indépendantistes

Les Polynésiens sont appelés aux urnes, dimanche, pour renouveler leur Assemblée. Les indépendantistes pourraient réaliser une percée dans les archipels.
Article rédigé par Thibaud Le Meneec
France Télévisions
Publié
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Le bâtiment de l'Assemblée de Polynésie française, située à Papeete, sur l'île de Tahiti, le 16 octobre 2021. (VAIKEHU SHAN / HANS LUCAS / AFP)

L'avenir politique de la Polynésie française va-t-il basculer en ce printemps 2023 ? Les habitants des cinq archipels, composés de 118 îles, sont appelés aux urnes dimanche 16 avril pour le premier tour des élections territoriales. Renouvelée au terme du second tour, dimanche 30 avril, l'Assemblée de Polynésie, une instance législative autonome, devra désigner le prochain président de cette communauté d'outre-mer. Franceinfo vous explique pourquoi, à 16 000 km de l'Hexagone, ces élections territoriales sont déterminantes pour le futur de la Polynésie française.

Pourquoi les Polynésiens votent-ils ?

Les dimanches 16 et 30 avril, les électeurs de Polynésie française votent pour les élections territoriales de cette communauté d'outre-mer française au statut particulier. Lors de ce scrutin à deux tours, les électeurs doivent désigner pour cinq ans les nouveaux membres de l'Assemblée de Polynésie française, une chambre composée de 57 élus. "Ces élus élisent ensuite le président de l'Assemblée, puis le président de la Polynésie, qui est la clé de voûte des institutions", explique Sémir Al Wardi, politologue spécialiste de cette communauté ultra-marine. 

Dans ce territoire autonome, les institutions locales exercent un pouvoir important. "L'autonomie engendre des compétences élargies et la compétence de droit commun y est inversée : on donne quelques compétences à l'Etat, comme les matières régaliennes [justice, défense, politique étrangère, sécurité...] et tout le reste est forcément d'attribution polynésienne", explique Arnaud Busseuil, auteur d'une thèse sur l'autonomie polynésienne.

Les représentants de l'Assemblée locale élaborent notamment ce qu'on appelle les "lois du pays", qui relèvent du domaine de la loi. Le président de la Polynésie joue un rôle prépondérant. "Il a des leviers plus puissants qu'un président de conseil régional. Pendant cinq ans, il décide de tout en Polynésie", résume à gros trait Sémir Al Wardi. 

Quels sont les partis politiques en lice pour ce scrutin ?

Il y a actuellement deux grandes forces politiques dans le paysage polynésien : les autonomistes du Tapura et les indépendantistes du Tavini. Les archipels sont dirigés par les autonomistes depuis 2014, date à laquelle Edouard Fritch, ancien protégé de Gaston Flosse, a accédé au pouvoir. A 71 ans, il se représente d'ailleurs pour un troisième et dernier mandat, mais son parti, soutien d'Emmanuel Macron, s'est divisé depuis plusieurs années. Certains dissidents ont décidé de porter leur propre liste aux élections territoriales, ce qui pourrait affaiblir le Tapura. "Cela va diviser les voix qui pourraient aller aux autonomistes", anticipe Arnaud Busseuil.

En face, les indépendantistes du Tavini, menés par l'ancien président Oscar Temaru, souhaitent profiter des divisions de leurs adversaires pour faire accéder le député Moetai Brotherson, membre de la Nupes, à la fonction de président de la Polynésie française. 

En quoi cette élection est-elle importante pour l'avenir de ces archipels ?

Cette année, "l'élection est particulièrement incertaine et cela redonne de l'engouement à la vie politique", expose Arnaud Busseuil. Les autonomistes au pouvoir, en plus de leurs divisions internes, sont ressortis "impopulaires de la crise sanitaire", poursuit le spécialiste, rejoint par Sémir Al Wardi.

"Le pouvoir en place a commis des erreurs mal vécues par les Polynésiens, qui lui a reproché de ne pas respecter les lois qu'il imposait à la population. Une certaine rancœur est restée."

Sémir Al Wardi, politologue spécialiste de la Polynésie française

à franceinfo

De l'autre côté, les indépendantistes veulent retrouver le pouvoir, qu'ils ont abandonné en 2013 à la fin du mandat d'Oscar Temaru. Le Tavini espère réitérer sa performance des élections législatives de juin 2022, lorsqu'il avait remporté ses duels face aux autonomistes dans les trois circonscriptions des archipels.

"En 2022, les indépendantistes n'avaient pas fait campagne sur l'indépendance, mais sur les problématiques socio-économiques, ce qui est assez novateur. Ils continuent dans cette voie cette année."

Arnaud Busseuil

auteur d'une thèse sur l'autonomie polynésienne

S'ils l'emportaient, les partisans de Moetai Brotherson oseraient-ils engager franchement ce territoire ultra-marin sur la chemin de l'indépendance ? "Lorsqu'ils étaient au pouvoir, les indépendantistes n'ont pas fait évoluer les statuts de la Polynésie française. Aujourd'hui, ce n'est pas un discours qui revient localement. Et on note une forme d'atténuation sur cette question, souligne Arnaud Busseuil. A court terme, il y a peu de chances de voir le statut de la collectivité évoluer, car les responsables sont beaucoup plus dans des relations de confiance avec l'Hexagone."

"Ils sont dédiabolisés et ont mis de l'eau dans leur vin. Le Tavini ne qualifie plus l'Etat de 'colonial' mais le considère comme un partenaire", abonde Sémir Al Wardi. Si l'indépendance reste un objectif à long terme, "les différences entre indépendantistes mous et autonomistes durs sont ténues".

Comment se déroule le vote ?

Pour ces élections territoriales, les archipels, peuplés d'environ 280 000 habitants, sont divisés en huit sections, dont trois situés sur la seule île de Tahiti (qui compte 190 000 habitants). Au premier tour, dans chaque section, si une des sept listes en lice l'emporte, elle bénéficie d'une prime majoritaire, avec le reste des sièges proportionnellement répartis. Pour se qualifier au second tour, il faut rassembler au moins 12,5% des voix. Entre 5% et 12,5%, une liste peut fusionner avec une autre. "L'objectif est de faire voter massivement, dès le premier tour justement, pour que la population vienne s'exprimer, et avoir le meilleur taux de participation dès le premier tour", déclarait auprès de Polynésie La 1ère l'autonomiste du Tapura Tepuaraurii Teriitahi.

Mais attention aux faux semblants : en Polynésie française, après le deuxième tour, tout n'est pas réglé. Des négociations ont souvent lieu entre les différents partis pour désigner le président et son exécutif, qui émane directement de l'Assemblée. "C'est un véritable troisième tour", prévient Arnaud Busseuil à propos de ces discussions. Et parfois, des surprises peuvent survenir. "En 2008, c'est le candidat arrivé troisième qui s'est retrouvé président de la Polynésie", illustre-t-il.

Quels sont les principaux thèmes abordés dans cette campagne ?

"Il a été beaucoup question des services publics, avec l'enjeu de les rapprocher de la population", observe Arnaud Busseuil à propos de ces dizaines d'îles peu ou mal desservies par les transports, avec une fracture numérique importante. Cela se retrouve aussi dans les problématiques d'emploi. "Le taux de chômage est élevé et le Tavini tente de se placer sur ces questions. Le taux de pauvreté est aussi très fort, avec des inégalités qui se situent presque au même que le Brésil", déplore le professeur.

En revanche, le rapport au nucléaire fait relativement consensus aujourd'hui. Les listes indépendantistes et autonomistes s'accordent sur la nécessité d'indemniser les Polynésiens des conséquences des essais nucléaires menés par Paris entre 1966 et 1996

Et le rapport au pouvoir central de l'Hexagone ? "Avant, on se positionnait par rapport à la France, qu'on soit autonomiste ou indépendantiste. Aujourd'hui, ce discours passe au second plan. On va vers un antagonisme classique qu'on retrouve dans de nombreuses démocraties", conclut Sémir Al Wardi.

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