Crise en Nouvelle-Calédonie : quelle est la situation dans l'archipel, où le couvre-feu est allégé depuis lundi ?

Deux mois après le début des émeutes, des tensions persistent sur le territoire, où plusieurs actes de malveillance et de vandalisme ont été recensés ces derniers jours.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié
Temps de lecture : 9min
Un homme brandit un drapeau kanak le jour de la fête nationale française, à Nouméa (Nouvelle-Calédonie), le 14 juillet 2024. (DELPHINE MAYEUR / AFP)

Un "retour progressif à la vie normale". C'est dans cet objectif que vient d'être "assoupli" le couvre-feu instauré en Nouvelle-Calédonie depuis la mi-mai, au moment où des émeutes avaient éclaté en réaction au vote de l'Assemblée nationale sur le dégel du corps électoral. Depuis lundi 22 juillet, l'interdiction de circuler est effective de 21 heures à 5 heures, et non plus de 20 heures à 6 heures. Des établissements scolaires rouvrent petit à petit. Dans les écoles de Nouméa, le service de garderie reprend ses horaires habituels, précise Nouvelle-Calédonie La 1ère, qui recense plusieurs changements au sein des services publics. Par exemple, l'envoi de colis postaux peut reprendre.

Le projet de loi à l'origine de la contestation a été suspendu mi-juin par Emmanuel Macron, trois jours après sa décision de dissoudre l’Assemblée. Pourtant, sur le "Caillou", surnom de ce territoire, le quotidien continue d'être émaillé de fortes tensions entre indépendantistes et loyalistes. Ainsi, "afin de poursuivre les efforts de sécurisation", "les mesures de vente et de transport d'armes et de vente d'alcool ainsi que le couvre-feu seront prolongées sur l'ensemble du territoire jusqu'au lundi 29 juillet", a annoncé, vendredi, le haut-commissaire de la République, dans son dernier point de situation. Louis Le Franc évoque "plusieurs actes de malveillance" récemment commis, "notamment un départ de feu" dans une salle de sport à Nouméa.

Des sites mémoriel et religieux pris pour cible

C'est dans ce contexte que le mausolée du grand chef kanak Ataï a été vandalisé, dans la nuit de dimanche à lundi. Le crâne de cet homme, décapité au cours de la révolte kanake de 1878, devenu au fil du temps le symbole de la résistance à la colonisation, a été dérobé, ainsi que celui de son sorcier. "Je n'ai pas de mots, je suis très touché", a commenté, auprès de l'AFP, Berger Kawa, descendant d'Ataï, qui a œuvré toute sa vie pour faire revenir les restes de son ancêtre en Nouvelle-Calédonie, à laquelle ils ont été restitués en 2014. Une enquête, confiée à la gendarmerie, est ouverte, a précisé, dans un communiqué, la maire de la commune de La Foa, où se trouve le mausolée. Le haut-commissaire, qui a condamné "un acte d'une grande gravité", a annoncé "un dispositif de sécurité pour garantir l'intégrité des lieux de culte".

Car, dans le même temps, deux églises et un presbytère catholiques ont été pris pour cible. D'abord, le 16 juillet, un incendie volontaire a entièrement détruit l'église de la mission de Saint-Louis, berceau du catholicisme dans l'archipel. Puis, dans la nuit de jeudi à vendredi, l'église de Vao, sur l'île des Pins, a été ravagée en partie par les flammes. La nuit suivante, la maison d'un prêtre, située à proximité de l'église de Thio-Mission, sur la Grande Terre, a totalement brûlé, sans faire de victime.

"Un semblant d'apaisement et d'accalmie"

"On voit qu'il y a des actions isolées d'un bord, et de l'autre. Qui est derrière ces exactions ? A qui cela profite ?", s'interroge la présidente de l'Union syndicale des travailleurs kanaks et des exploités (USTKE), Mélanie Atapo. Interrogée par franceinfo, elle résume en quelques mots la situation actuelle en Nouvelle-Calédonie : "Un semblant d'apaisement et d'accalmie." Si des barrages ont été levés dans les quartiers nord du grand Nouméa, elle constate que d'autres reviennent.

"La mobilisation continue, les arrestations aussi", observe la présidente de l'USTKE, qui nourrit un "sentiment de consternation et de gâchis" vis-à-vis de la gestion de la crise calédonienne. Au total, depuis le 13 mai, plus de 2 000 personnes ont été interpellées, et huit civils ainsi que deux gendarmes sont morts. "Le déploiement des forces de l'ordre au quotidien n'apaise pas la jeunesse", regrette Mélanie Atapo. Or, il se poursuit. "Les forces de l'ordre progressent dans la sécurisation du territoire", a assuré Louis Le Franc vendredi. Le 11 juillet, il avait annoncé sur le réseau social X l'arrivée de 10 blindés Centaure au profit de la gendarmerie.

"Une économie qui est en train de s'écrouler"

En parallèle, cinq jours plus tard, le haut-commissaire a promis que l'Etat mettait en œuvre "des mesures financières exceptionnelles", pour faire face "aux conséquences de la crise sur les entreprises du territoire et leurs salariés". De nombreux supermarchés, commerces et locaux d'entreprises ont été détruits pendant les émeutes, qui ont poussé Emmanuel Macron à déclarer l'état d'urgence pendant douze jours. "On a une économie qui est en train de s'écrouler", a affirmé lundi Xavier Benoist, président de la Fédération des industries de Nouvelle-Calédonie. L'archipel "n'a plus de recettes fiscales", s'est-il alarmé auprès de Nouvelle-Calédonie La 1ère.

Lors de la dernière assemblée générale de l'USTKE, vendredi, Mélanie Atapo a estimé que 700 entreprises étaient directement touchées et 1 210 indirectement. A Nouméa, 98% des entreprises sont concernées selon ses calculs. Elle recense également 3 800 à 4 000 ruptures de contrats de travail dans le secteur privé. "Mais notre priorité, ce sont nos adhérents qui se retrouvent au chômage partiel. On recense 500 salariés, donc 500 familles directement impactées", expose la responsable syndicale. Pour leur fournir les produits de première nécessité, l'USTKE lance, le 9 août, une opération de banque alimentaire, avec un appel national et international. "Il faut s'inscrire dans la reconstruction en prenant en compte cette jeunesse qui s'est révoltée. Il y a peu de Kanaks parmi les cadres supérieurs. C'est ce ras-le-bol qui a explosé la nuit du 13 mai", considère-t-elle.

"Des antagonismes encore indépassables"

"Aujourd'hui, un emploi sur quatre a disparu. Alors les départs sont massifs. Mais ce ne sont pas les Kanaks qui partent. Ceux qui s'en vont ne se sont jamais sentis Calédoniens", estime, pour sa part, Mathias Chauchat, professeur de droit public à l'université de la Nouvelle-Calédonie. Un mouvement qui se concrétise, de façon surprenante, par la multiplication de vides-grenier, comme l'a constaté Nouvelle-Calédonie La 1ère. Néanmoins, tous ne sont pas sur le départ : parmi les métropolitains venus se construire un avenir en Nouvelle-Calédonie ou les descendants de colons, certains s'unissent pour rester, en tant que Français.

La plupart vivent dans la province Sud, la plus importante en termes de population et de richesses, dirigée par les loyalistes, tandis que la province Nord et la province des îles Loyauté sont gouvernées par les indépendantistes. Dans un discours prononcé le 14 juillet et diffusé en direct sur les réseaux sociaux, Sonia Backès, présidente loyaliste de la province Sud, a prôné "l'autonomisation" de ces provinces, en "entités distinctes, mais complémentaires". Car l'ex-secrétaire d'État à la Citoyenneté constate "des antagonismes encore indépassables", "au même titre que l'huile et l'eau ne se mélangent pas". Elle estime que "le projet d'une Nouvelle-Calédonie institutionnellement unie et fondée sur un vivre ensemble", est "révolu", suscitant l'indignation de plusieurs partis politiques de Nouvelle-Calédonie, indépendantistes ou non.

"Il y a un fond de décolonisation derrière tout ça, avec des tensions dans la société calédonienne qui s'exercent dans la négation des symboles de l'autre. C'est la fin d'une Nouvelle-Calédonie à la française, qui était déjà en voie de basculement", analyse Mathias Chauchat, qui assure qu'"on va vers l'indépendance". Pour le professeur de droit public, les élections provinciales, prochaines échéances électorales sur l'archipel, prévues au plus tard le 15 décembre, seront cruciales.

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