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Mayotte : que sait-on de l'opération "Wuambushu" contre l'immigration illégale censée débuter avant la fin avril ?

Si aucune communication officielle n'a été faite de la part du gouvernement ou du chef de l'Etat concernant cette opération, de nombreuses organisations et élus locaux se sont déjà exprimés sur ce sujet ultra sensible.
Article rédigé par franceinfo
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Des bidonvilles à Koungou, sur l'île de Mayotte, le 19 février 2023. (MARION JOLY / AFP)

Que se prépare-t-il à Mayotte ? Une mystérieuse opération baptisée "Wuambushu" semble se préciser dans ce département français situé dans l'océan Indien et confronté à une délinquance galopante sur fond de crise migratoire. Le gouvernement comorien a demandé à la France, lundi 10 avril, de renoncer à ce projet d'expulsions qui viserait des migrants originaires des Comores. Voici ce que l'on sait de cette opération encore très floue mais déjà largement commentée.

L'opération vise à expulser des migrants comoriens

L'exécutif entretient le plus grand flou sur cette opération, baptisée "Wuambushu" ("reprise" en mahorais). A ce jour, ni le ministre de l'Intérieur Gérald Darmanin, ni le président de la République n'ont confirmé officiellement la tenue de cette opération d'expulsions, de destruction de logements illégaux et d'arrestations. Cependant, Le Canard enchaîné a révélé de nombreux éléments de cette opération dès la fin du mois de février. "Un demi-millier de gendarmes et de policiers s'apprêtent à envahir l'archipel. (...) Leur mission ? Mettre fin à l'immigration illégale et mater les délinquants à la machette", écrit l'hebdomadaire satyrique dans son édition du 22 février 2023.

Le journal impute la conception de cette vaste opération, qui prévoit également la destruction de bidonvilles, à Gérald Darmanin, qui aurait obtenu la validation du chef de l'Etat en février, lors d'un Conseil de défense, selon une source proche du dossier à l'AFP. Elle devrait commencer autour de la fin du ramadan, le 21 avril. Selon La 1ère, des renforts et du matériel sont déjà arrivés à Mayotte en vue de l'opération.

Mi-mars, Emmanuel Macron a exprimé auprès de son homologue comorien, le colonel Azali Assoumani, son "inquiétude" face à l'immigration clandestine en provenance des Comores. On estime ainsi qu'un quart de la population de Mayotte se trouve en situation irrégulière, selon l'AFP. En 2022, 571 embarcations transportant 8 000 migrants ont été interceptées en mer et 25 380 personnes ont été reconduites à la frontière, très majoritairement vers les Comores. Mayotte connaît également "une délinquance hors norme", selon l'Insee, qui a notamment relevé en 2021 un taux de vols trois fois plus élevé que dans l'Hexagone.

Les policiers sur place "sont en attente"

L'opération "Wuambushu" est attendue par des policiers sur place. Le syndicat CFDT Alternative Police a ainsi apporté son soutien à cette "opération coup de poing" par la voix de son représentant local, lundi 10 avril, sur La 1ère. "Les policiers mahorais sont en attente de cette opération, affirme ainsi Abdel Aziz Sakhi. Il nous faut du matériel adéquat et de l'entraînement à de nouvelles techniques d'intervention pour faire baisser la délinquance." "C'est une opération de grande envergure, sans précédent", s'est-il encore félicité.

Selon plusieurs syndicats de police, des membres de la compagnie de CRS 8 vont être déployés à Mayotte, rapporte La 1ère. Il s'agit d'une force d'intervention spéciale créée en 2021 pour pouvoir être déployée "en cas de troubles graves à l'ordre public et de violences urbaines", selon le ministère de l'Intérieur. Composée de 200 CRS, elle a récemment été déployée à Rennes lors des manifestations contre la réforme des retraites et à Marseille à la suite de violences sur fond de trafic de drogue. Des équipes régionales d'intervention et de sécurité devraient également se rendre sur place, selon La 1ère. Il s'agit d'unités d'intervention de l'administration pénitentiaire chargées d'intervenir en cas de tensions dans un établissement pénitentiaire.

Le président comorien y est opposé

Avant même l'officialisation de l'opération, les Comores en appellent à la France. "Le gouvernement comorien a appris avec étonnement la nouvelle du maintien du projet gouvernement français (...) visant à procéder, dans l'île comorienne de Mayotte, à la destruction de bidonvilles, suivies de l'expulsion de tous leurs occupants sans-papiers, vers l'île d'Anjouan", l'île de l'archipel des Comores la plus proche de Mayotte, a annoncé un communiqué de la présidence comorienne publié lundi 10 avril. Les autorités comoriennes demandent donc aux autorités françaises "d'y renoncer".

Cette prise de position était attendue sur place. Des organisations de la société civile comorienne ont tenu une conférence de presse, mercredi 5 avril, pour alerter sur ce qu'elles considèrent comme un "massacre à venir". "Nous comptons saisir les organisations internationales pour les informer du massacre que la France veut perpétrer sur l'île comorienne de Mayotte", a réagi Youssouf Attick Ismael, le président du Comité Maore, une organisation  (proche du pouvoir de Moroni) qui considère que Mayotte appartient aux Comores.

Les avis sont partagés chez les Mahorais

Cette opération aux contours flous suscite déjà de nombreuses réactions sur place. Les personnels de santé de l'île ont aussi rappelé, dans un communiqué, "les conséquences dramatiques" des précédentes interventions de grande ampleur en matière de lutte contre l'immigration.

A l'inverse, cinq collectifs mahorais ont cosigné un courrier à l'attention de Gérald Darmanin, lundi 10 avril, demandant la poursuite de l'opération "Wuambushu" et dénonçant "les motivations politiques" des opposants à cette opération, selon La 1ère. "Je veux que cette opération aille jusqu'au bout, car au final, c'est la paix civile qui est en jeu", a écrit Mansour Kamardine, le député LR de Mayotte, dans un communiqué.

Même message du côté de la députée mahoraise Estelle Youssouffa, qui a estimé lors d'une conférence de presse diffusée sur Facebook que cette opération est "notre dernière chance de rétablir l'ordre et la sécurité. On ne recule pas, on tient bon, on ne baisse pas la tête, on ne plie pas !"

Les organisations humanitaires craignent le pire

Plusieurs organisations nationales et internationales ont dénoncé l'opération. Le président de la Commission nationale consultative des droits de l'homme, Jean-Marie Burguburu, a ainsi écrit à Gérald Darmanin pour l'exhorter à "renoncer" à ce projet, considérant le risque d'"aggravation des fractures et des tensions sociales dans un contexte déjà très fragilisé (...) et l'atteinte au respect des droits fondamentaux des personnes étrangères dans le cadre d'expulsions massives".

L'Unicef a également fait part de son inquiétude quant au respect des droits des enfants étrangers dans le cadre de cette opération, dans un communiqué publié le 31 mars 2023. L'agence onusienne redoute que l'augmentation du nombre d'interpellations lors de l'opération "implique mécaniquement une augmentation du taux d'erreurs dans la procédure d'éloignement", ce qui pourrait entraîner un nombre plus important d'enfants isolés à Mayotte.

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