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Les Femen doivent-elles aller se rhabiller ?

Ces militantes aux seins nus ont été très critiquées après leur dernière action à Notre-Dame de Paris. Desservent-elles le combat féministe, comme le sous-entend Bertrand Delanoë ?

 
Article rédigé par Ariane Nicolas, Clément Parrot
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
Des militantes féministes de l'organisation Femen célèbrent la démission du pape devant la cathédrale Notre-Dame à Paris, le 12 février 2013. (JOEL SAGET / AFP)

Pour réagir à la démission du pape, les Femen ont investi la nef de Notre-Dame de Paris au cri de "Dégage homophobe !", mardi 12 février. Depuis, les condamnations s'accumulent. Le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, a confié "sa consternation" et condamné "une provocation inutile". "Je réprouve un acte qui caricature le beau combat pour l'égalité femmes-hommes", a déclaré le maire de Paris, Bertrand Delanoë. Dans un tweet, le député UMP Lionnel Luca  a joué la provocation en invitant les Femen à reproduire cette action dans une mosquée.

Une paire de seins nus et des slogans hurlés très forts : tout le monde a vu au moins une fois, dans les médias, des Femen en action. Ce groupe de féministes à la poitrine dénudée, qui a fait son apparition en Ukraine en 2008, s'est implanté en France en septembre 2012. Depuis, elles multiplient les apparitions "coup de poing". Mais à force d'investir tous les terrains, leur combat semble s'être un peu perdu dans la nature. Les Femen, qui n'ont pas répondu aux sollicitations de francetv info, devraient-elles aller se rhabiller et fermer boutique ?

Un message de plus en plus brouillé

En Europe de l'Est, les Femen sont avant tout connues pour leur combat contre le tourisme sexuel, les violences domestiques et le joug religieux, qui a notamment conduit à l'emprisonnement des Pussy Riot en Russie. Très actives en Ukraine, elles sont également intervenues en Biélorussie, risquant leur vie pour demander plus de démocratie dans ce pays qui reste une dictature. En décembre 2011, trois d'entre elles ont été violentées par le KGB local avant d'etre reconduites à la frontière, manu militari.

Leur livre référence, écrivait Libération, est La Femme et le socialisme, d'August Bebel. En France, elles sont sur tous les fronts, mais qui peut vraiment dire quel message elles défendent lorsqu'elles se déplacent ? On les a vues topless sous les fenêtres de l'appartement parisien de Dominique Strauss-Kahn, topless au forum de Davos, en Suisse, topless devant La Vénus de Milo du Louvre, topless contre la Manif pour tous, topless au procès des tournantes, topless dans le quartier de la Goutte-d'Or, à Paris, contre l'intégrisme, notamment musulman, etc. Frôlerait-on l'overdose de tétons, et des messages qui leur sont associés ?

Contactée par francetv info, Alice Coffin, militante féministe engagée dans plusieurs associations, refuse cette idée de la confusion du discours : "elles martèlent un message, en s'inscrivant dans l'actualité". Pour elle, "les Femen déclinent leur combat contre le sexisme qui est partout".

Une méthode "guerrière" contestée

Les Femen ne sont pas des féministes comme les autres, et pas seulement parce qu'elles se peinturlurent le corps de slogans. Leur militantisme passe aussi par une forme de violence. Plus "punkettes" que "chiennes de garde en talons", elles n'hésitent pas à se frotter physiquement aux intégristes catholiques de Civitas en novembre, lors d'une manifestation autorisée par la préfecture. Elles leur ont projeté de la fumée de "sperme sacré", et certaines ont ensuite été poursuivies et violentées. Civitas a porté plainte. Pas elles.

A Paris, leur local installé à l'été 2012 se veut "un camp d'entraînement international" formant des "soldats". "Exercices psychologiques, théoriques, sportifs : le programme est chargé", détaillait LibérationLe blogueur Thomas Loire désapprouve cette logique guerrière des Femen"Là où le bât blesse, ce sont leurs méthodes, d’une violence, d’une immaturité et d’une irresponsabilité sidérante."

Il s'agit avant tout d'une "violence symbolique", répond Marie Donzel, blogueuse pour francetv info, "elles utilisent l'irrespect et l'irrévérence, même si ce n'est pas mon mode de communication, je le respecte."  Alice Coffin, qui partage cet avis, soulève "l'urgence du combat féministe" et constate par ailleurs l'efficacité de la méthode des Femen.

Des actions contre-productives ?

Libres car dénudées : cette devise implicite sert-elle vraiment leur cause ? Tout le monde n'est pas de cet avis. "Leur manière d’attirer les regards mâles est explicite, dénonce une tribune publiée sur Agora Vox. Elles utilisent à leur compte ce qu’elles prétendent condamner : exposition marchande du corps féminin, femmes regardées pour leur corps et non pas pour ce qu’elles ont dans la tête". Un avis partagé par d'autres féministes comme A. Ginva, qui évoque une déshumanisation du combat féministe.

Si Marie Donzel s'étonne "qu'on mette les petits seins, les ventres plats en avant alors que les mamelles ayant trop allaité ne sont pas sur l'affiche", elle ne va pas juqu'à penser que les Femen desservent la cause féministe, comme certains l'affirment. La blogueuse met en garde contre une dérive vers un "féminisme 'soft' qui ne serait même plus du féminisme".

Autre critique formulée, les Femen ne s'occuperaient pas des "vrais" dossiers : la parité en politique, l'égalité salariale, les crèches d'entreprises... Ces militantes, souvent jeunes et célibataires, oublieraient une partie de la population. Alice Coffin balaie l'argument en invoquant le principe d'une continuité des combats : "pour moi tout est lié, quand on tape sur l'Eglise catholique qui est une institution sexiste, on aide à terme les autres dossiers, comme l'égalité salariale".

Marie Donzel s'avoue partagée : "Même si certaines critiques me semblent fondées, je reste sensible à cette dimension activiste des Femen" Pour la blogueuse, une chose est sûre : "l'agressivité qu'elles suscitent de tous côtés me fait dire qu'elles ont touché un point très sensible"

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