La commission des Affaires sociales de l'Assemblée nationale a adopté jeudi le projet de loi de la réforme des retraites
Après trois jours d'examen, le texte doit passer en séance publique à l'Assemblée à partir du 7 septembre.
Le ministre du Travail, Eric Woerth, qui participait depuis mardi aux travaux de la commission des Affaires sociales, avait déclaré auparavant qu'il se consacrait "à fond" au dossier des retraites.
En dépit de sa prochaine audition dans l'affaire Bettencourt, il a réaffirmé être "ouvert" sur le volet pénibilité, précisant que le gouvernement poursuivrait ses négociations durant le mois d'août avec les partenaires sociaux.
La commission des Affaires sociales, présidée par Pierre Méhaignerie (UMP), a achevé en moins de trois jours l'examen du texte défendu par Eric Woerth.
Les débats, censés se tenir à huis clos mais dont la teneur a été rapportée via le réseau Twitter, ont été parfois tendus en raison des soupçons de conflit d'intérêts qui pèsent sur le ministre dans le cadre de l'enquête sur la gestion du dossier fiscal de l'héritière de L'Oréal, Liliane Bettencourt.
L'UMP a dénoncé "l'obstruction" du PS lors de ces débats, allant notamment jusqu'à comparer le patron des députés socialistes Jean-Marc Ayrault à un "flibustier". "Que ceux qui viennent nous les briser menu avec des considérations honteuses se regardent avant de venir dans le débat", a lancé le porte-parole adjoint de l'UMP Dominique Paillé à l'intention du maire de Nantes et des députés PS.
Des députés PS ont immédiatement dénoncé "un vocabulaire" de voyous" et des "propos orduriers". Egalement présente en commission, la députée UMP Valérie Rosso-Debord a
aussi dénoncé des "propos outranciers" qui "n'ont pas forcément leur place dans "le débat politique". Relevant "un certain nombre d'avancées", Mme Rosso-Debord, porte-parole de son groupe pour la réforme des retraites, s'est déclarée satisfaite "du débat".
Woerth : "discuter jusqu'au bout"
Gouvernement et majorité ont confirmé jeudi qu'ils voulaient repousser à la rentrée les mesures sur la pénibilité. Nombreux sont ceux qui, à droite comme à gauche, veulent modifier ce volet de la réforme. Le gouvernement, par la voix d'Eric Woerth, s'est engagé à "discuter jusqu'au bout" et à présenter de nouvelles propositions en septembre.
"Comme cette question doit être revue avec les partenaires sociaux, l'idée est d'examiner les amendements juste avant la séance publique en septembre", a justifié la député UMP Valérie Rosso-Debord.
"En bref, la commission est réunie pour faire tapisserie en attendant que le gouvernement prenne des décisions", a commenté pour sa part la députée Martine Billard (Parti de gauche).
Au stade actuel, la réforme du gouvernement propose de maintenir la retraite à 60 ans pour les salariés qui, du fait d'une situation d'usure professionnelle constatée, souffrent d'un taux d'incapacité physique supérieur ou égale à 20%.
Là où le ministre du Travail Eric Woerth parle d'un "droit sans précédent en Europe, qui concernera 10.000 personnes par an", la gauche et les syndicats -mais aussi une partie de la droite- déplorent un dispositif calqué sur une proposition du Medef et remplaçant la notion de pénibilité par celle d'incapacité ou d'invalidité. Face à la contestation, Nicolas Sarkozy a promis des concessions sur ce dossier, sans donner de précisions pour l'instant.
Mercredi, l'Assemblée a validé en commission le recul de 60 à 62 ans, en 2018, l'âge légal de départ en retraite. Les députés ont aussi examiné le passage progressif (de 2016 à 2023) de 65 à 67 ans pour bénéficier d'une retraite à taux plein (pension sans décote, quel que soit le nombre d'annuités).
Des mesures relativement mineures, sur le volet de la pénibilité, ont également été adoptées par la commission des Affaires sociales de l'Assemblée. Deux amendements du Nouveau centre ont été adoptés alors que l'essentiel de la discussion sur la pénibilité - concessions promises par l'exécutif mais non encore dévoilées - n'aura lieu, au grand dam de la gauche et des syndicats, que dans le cadre de l'examen du texte en séance publique, à compter du 6 septembre.
Le premier amendement prévoit que le futur Comité de pilotage des régimes de retraites devra, pour prendre en compte l'effet de l'exposition des salariés à des facteurs de pénibilité au travail, s'appuyer sur les travaux de l'Observatoire des pénibilités du Conseil d'orientation des conditions de travail, créé en 2008. Le second amendement précise qu'un décret doit préciser que cet Observatoire "est chargé d'apprécier la nature des activités pénibles dans le secteur public et le secteur privé, et en particulier celles ayant une incidence sur l'espérance de vie".
Pénibilité: "aucune pertinence" du seuil de 20% d'incapacité
François Guillon, professeur de médecine et santé au travail à Bobigny, juge sans "aucune pertinence médicale" le seuil de 20 % d'incapacité permanente retenu dans le projet de réforme des retraites. Selon ce spécialiste des pathologies professionnelles, ce projet "ne prend nullement en compte la pénibilité du travail", car il ignore la notion d'"espérance de vie sans incapacité". "Cette notion découle de constatations épidémiologiques qui montrent que pour les salariés en fin de carrière, 'l'espérance de vie sans incapacité' est très variable. Elle dépend en grande partie du type de métier, de poste ou de travaux réalisés", explique-t-il.
Alors que le projet du gouvernement se fonde sur des critères individuels d'évaluation de l'incapacité induite par le travail, cette notion s'appuie "sur des critères professionnels parfaitement maîtrisables et justes", estime le praticien. Le projet de loi "prendrait en compte la pénibilité s'il proposait que certaines personnes puissent partir en retraite sans décote à 60 ans sur des critères d'exposition à des travaux pénibles", affirme-t-il, avant de préciser: "cette modalité n'aurait rien d'original puisque elle prévaut actuellement pour les personnes ayant été exposées à l'amiante."
Au lieu de concerner les travailleurs usés, le médecin déplore que "la disposition ne s'applique en fait qu'à ceux qui, pour des causes professionnelles, subissent un handicap très lourd et en ont obtenu la reconnaissance". "Le projet du ministre n'a donc rien à voir avec la pénibilité: utiliser ce terme relève d'une erreur scientifique", s'agace-t-il, avant d'aller plus loin: "l'idée même d'user les salariés jusqu'à les retirer du monde du travail est un contre-sens préventif."
Trimestres rachetés
L'Etat va rembourser intégralement les trimestres dont le rachat par les salariés en vue de leur retraite est rendu inutile par le report programmé de l'âge légal du départ en retraite, selon un amendement du gouvernement adopté mercredi en commission à l'Assemblée.
La loi Fillon de 2003 sur les retraites permet de racheter, dans la limite de 12 trimestres, ses années d'études supérieures ou d'activité incomplète pour atténuer l'effet de la décote sur le montant de leur pension ou avancer leur âge de départ en retraite en augmentant leurs annuités. Or, ces trimestres rachetés "peuvent se révéler inutiles pour certains assurés touchés par le relèvement" progressif à 62 ans de l'âge légal de départ à la retraite et "qui travailleront donc plus longtemps que prévu". Le gouvernement accepte de remédier à cette situation en offrant la possibilité aux salariés nés après le 1er juillet 1951 de "demander le remboursement de leur rachat".
Peu d'évolution du texte en perspective
La réforme prévoit de porter de 65 à 67 ans l'âge auquel un assuré peut liquider ses droits en bénéficiant du taux plein, quel que soit le nombre d'années cotisées.
Saisie au fond, la commission des Affaires sociales, présidée par Pierre Méhaignerie (UMP), a entamé l'examin du texte mardi 20 juillet, un examen censé durer jusqu'au vendredi 23 juillet.
Le texte gouvernemental devrait peu bouger, le président Nicolas Sarkozy s'étant montré très ferme sur le sujet. "Les 62 ans, nous n'y toucherons pas", a-t-il prévenu le 12 juillet lors d'un entretien sur France 2. "L'équilibre des cotisations public-privé, c'est une question de justice. On ne peut pas y toucher", a-t-il ajouté, en précisant toutefois que "sur le reste, nous serons très à l'écoute de ce que nous diront nos interlocuteurs".
De nombreux amendements préparés par l'opposition
L'opposition de gauche a décidé de mener la bataille contre les mesures clés de la réforme et déposera de nombreux amendements pour tenter de maintenir l'âge légal à 60 ans. "Nous ne ferons pas d'obstruction. Nous allons déposer des amendements de fond", a-t-on dit au groupe PS. Le groupe démocrate et républicain (GDR, PC et Verts) affiche la même volonté.
La majorité souhaitait aussi déposer des amendements. Pierre Méhaignerie a suggéré que des "ajustements" soient apportés au texte, notamment sur la question de la pénibilité. Il a proposé ainsi de créer un "fonds d'incitation" pour financer en partie les départs anticipés des salariés ayant exercé des métiers pénibles, comme par exemple dans le bâtiment.
Le groupe du Nouveau centre a déposé des amendements sur la pénibilité, les salariés ayant commencé à travailler avant 18 ans et les poly-pensionnés, trois sujets sur lesquels la discussion entre les syndicats et le gouvernement reste ouverte.
La Délégation aux droits des femmes de l'Assemblée, que préside l'UMP Marie-Jo Zimmermann, a, elle, déposé des amendements en faveur de l'égalité hommes-femmes, dont un proposant de maintenir à 65 ans l'âge auquel un assuré peut liquider ses droits à la retraite en bénéficiant du taux plein. La délégation souligne que les femmes "sont plus nombreuses à devoir travailler plus longtemps pour éviter la décote" et "qu'un quart d'entre elles obtient le taux plein par l'âge".
Les travaux en commission se sont déroulés à huis clos contrairement à ce que réclamaient l'opposition et plusieurs élus de la majorité. Les députés examineront la réforme à partir du 7 septembre en séance publique lors d'une nouvelle session extraordinaire du Parlement spécialement convoquée à cet effet.
Le gouvernement a décidé d'utiliser la procédure "accélérée" pour limiter le nombre de navettes entre l'Assemblée nationale et le Sénat, l'objectif étant de faire adopter définitivement la réforme avant la fin octobre.
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