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La "chasse au trésor" dans les circonscriptions des Français de l'étranger

Des zones immenses, des électeurs éparpillés, des candidats qui squattent les même mailing lists... La campagne dans les 11 nouvelles circonscriptions de l'étranger est une aventure. 

Article rédigé par Salomé Legrand
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Pour la première fois, onze députés représenteront les 1 594 000 Français de l'étranger à l'Assemblée nationale. (THOMAS COEX / AFP)

Marrakech, Casablanca, Niamey, Dakar, Sétif. Non, le socialiste Pouria Amirshahi n’est pas en vacances prolongées. Il est candidat du PS dans la 9e circonscription des Français de l'étranger (Maghreb et Afrique de l'Ouest). Car pour la première fois et depuis le redécoupage de la carte électorale de 2009, les expat' pourront élire des représentants à l'Assemblée nationale dans onze circonscriptions de superficie inégale et pas toujours homogènes. Pour les candidats de tous bords, la campagne est inédite. Et rock'n'roll.

La polémique des mailing lists

Pouria Amirshahi n'est pas des plus mal lotis. S'il aura bien effectué près de 50 000 kilomètres depuis le 12 décembre et son lancement de campagne, il peut s'appuyer sur une équipe d'environ 80 personnes réparties dans les seize pays de sa "circo".

A peu près l'opposé d'Odile Mojon, la candidate franco-suissesse de Solidarité et Progrès (le parti de Jacques Cheminade), qui se débrouille toute seule avec "ses amis et connaissances". Heureusement qu'elle n'a "que" la Suisse et le Liechtenstein à couvrir, parce que même avec "toute l'énergie nécessaire", c'est difficile.

"En théorie, on a le droit d'utiliser les salles des bâtiments français, mais elles sont tout le temps réservées par les autres", explique-t-elle, mi-embêtée mi-résignée. Un peu comme les mailing lists (listes de diffusion) des Français inscrits sur les registres du consulat : "On les utilise, mais les gens ne sont pas contents de recevoir autant de mails de tout le monde, ça râle."

"Il y a même une polémique", confirme Julien Balkany, demi-frère du maire de Levallois-Perret, et candidat "indépendant mais dans la lignée de l'UMP et de Nicolas Sarkozy" dans la 1re circonscription (Canada et Etats-Unis), "les gens n'étaient pas au courant que ces adresses seraient communiquées à des fins politiques".

De 120 à… 6 personnes en meeting

Il les utilise tant qu'il peut. Newletters, et surtout adresses postales pour "repérer là où ils se concentrent". Ce jeune patron d'un fonds d'investissement qui fait campagne sur ses deniers trouve l'exercice difficile : "C'est un tout nouveau type de campagne et il faut à la fois respecter la loi locale mais aussi le code électoral français." Peu importe, Julien Balkany se démène. "A l'américaine", selon son expression récurrente.

Déjà 47 déplacements en six mois, de San Diego à Vancouver, de Puerto Rico au nord du Québec, avec de beaux succès : "Mon maximum, c'est 120 personnes à Montréal et 110 à Miami après deux semaines de com' et un 'event' Facebook." Mais aussi un grand moment de solitude à La Nouvelle-Orléans, où sa réunion publique a rassemblé... six personnes.

Digne d'une petite réunion Tupperware, le format favori de beaucoup de candidats dans ces circonscriptions de l'étranger. Dont Marie-Anne Montchamp, candidate UMP au Benelux (4e circonscription). L'ex-secrétaire d'Etat aux Solidarités et à la Cohésion sociale "les affectionne tout particulièrement". Et s'enthousiasme : "Chez l'électeur ou dans un bistrot, les gens peuvent vous poser toutes leurs questions, souvent [ces réunions] durent bien plus longtemps que dans l'Hexagone."

"C'est la débrouille !"

Pouria Amirshahi, le candidat socialiste en Afrique du Nord et de l'Ouest, vise quant à lui "deux types de réunions : thématiques, autour de chefs d’entreprise, d'enseignants, de coopérants... et des réunions publiques", détaille-t-il. Mais le secrétaire national du PS délégué à la coopération et aux droits de l'homme s'appuie aussi beaucoup sur ses contacts noués durant quatre ans avec cette casquette, qu'il reprend parfois.

Ezella Sahraoui, jeune candidate du Parti radical de gauche (PRG), doit, elle, se dégager du temps en pleine création d'entreprise pour faire campagne en Europe du Nord, Royaume-Uni et Scandinavie. Sans technique particulière : "Je m'appuie sur des amis, un peu partout." Et après, "c'est la débrouille". Elle va à la rencontre des associations francophones, des structures d’accueil des Français, et prévoit toujours un passage par un restaurant français. Avec en moyenne trois-quatre jours passés sur place, elle aura réussi à faire une demi-douzaine de déplacements, à Londres, au Danemark et en Irlande.

"L'avantage sera donné aux candidats locaux", qui vivent sur place

Son alter ego PRG dans la 5e circonscription (Espagne, Portugal, Andorre, Monaco), Muriel Guenoux, a encore un autre mode de fonctionnement : "Je réponds aux sollicitations, l’invitation du 'Club des Framboètes' à Lisbonne ou de la chambre de commerce et d’industrie et d'une radio à Barcelone."

Autre atout d'importance, son suppléant, qui habite dans sa circonscription, en Espagne. "L'avantage sera donné aux candidats locaux", veut croire Julien Balkany, lui-même installé à New York depuis huit ans, "qui connaissent et vivent au quotidien les attentes". "Enfin en tout cas dans une circonscription assez homogène", se reprend le jeune homme. Parce que dans la 11e circonscription, qui réunit 49 pays d’Asie du Sud-Est, il est plus difficile d’apparaître comme le candidat du cru.

Ou bien il faut tout donner, comme le prétendant UMP Thierry Mariani - "je dîne à Hong Kong et demain matin je pars aux Philippines" - qui sillonne tant sa circonscription qu’il en est difficilement joignable. Ou Sergio Coronado, candidat Europe Ecologie-Les Verts en Amérique latine, qui a près de 20 millions de kilomètres carrés à quadriller.

"Une chasse au trésor dont chaque Français est une pièce"

Du coup, tous usent et abusent des réseaux sociaux. Comme Marie-Anne Montchamp, qui "a conçu [sa] campagne comme une permanence parlementaire, tout le monde doit pouvoir [la] joindre" et qui répond même sur Skype. D'autres justifient l'envoi massif d'e-mails par un "il ne suffit pas de se pointer sur un marché" ou sa variante : "on ne peut pas tracter à la sortie du métro".

"C'est une chasse au trésor et chaque Français que l’on croise en est une pièce", sourit Julien Balkany, qui pense avec humour "que [sa] candidature est plus connue en France que dans [sa] circonscription". "Peu de gens savent que cette élection a lieu", confirment de concert l'UMP Marie-Anne Montchamp et la radicale de gauche Muriel Guenoux, qui insistent, comme le jeune homme, sur l'aspect avant tout pédagogique de cette campagne.

Du coup, ils soignent particulièrement leur profession de foi, qui sera envoyée à tous les électeurs. Avec jusqu'à vingt candidats dans certaines circonscriptions, les 1 594 000 électeurs inscrits sur les registres des Français établis hors de France ne vont pas manquer de lecture. 

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