Pourquoi certains jihadistes reviennent en France
Les trois présumés jihadistes toulousains, placés en garde à vue mercredi 24 septembre, affirment ne plus vouloir retourner en Syrie.
Il n'y a jamais eu autant de Français concernés par les filières jihadistes irako-syriennes. Neuf cent trente personnes vivant habituellement en France sont actuellement impliquées dans le jihad en Irak et en Syrie, selon les derniers chiffres dévoilés par Bernard Cazeneuve, ministre de l'Intérieur, le 14 septembre. Certains sont partis sur place, d'autres émettent des velléités de départ.
D'autres encore sont rentrés, et parmi eux, il y en a qui évoquent un combat qui ne correspondrait pas à leurs attentes. Ce serait le cas des trois jihadistes présumés en garde à vue, vendredi 26 septembre, dans les locaux de la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) à Levallois-Perret (Hauts-de-Seine), après une arrestation rocambolesque, deux jours plus tôt.
La désillusion
"Pour moi, la façon dont [les jihadistes sur place] traitent les morts, c’était un des premiers signes que je me trompais. Ils traînent les corps, jouent avec. Ils ne les respectent pas", avoue, à La Voix du Nord, Mounir - un nom d'emprunt, précise le quotidien. Ce Roubaisien de 20 ans était parti combattre en Syrie avant de regagner la France. Même désillusion, affirment les membres du "groupe des Strasbourgeois", partis faire le jihad et interpellés à leur retour, en mai 2014. "Ce qui nous a choqués, c'est de découvrir que des musulmans s'entretuaient", aurait confié l'un d'entre eux à son avocat, rapporte Le Figaro.
Les conditions de vie très précaires, et la manière dont ils sont traités par leurs frères d'armes, pousseraient également les combattants français à rentrer. Toujours selon un membre du "groupe des Strasbourgeois", après avoir refusé de mourir en martyr ou de combattre, il aurait été "roué de coups et mis dans une cave, dans laquelle il subissait des traitements dégradants, les jihadistes lui urinant dessus, le privant de nourriture, le forçant à manger des excréments", relate l'AFP. Tous racontent aussi qu'à leur arrivée, on leur confisque leur passeport, on les sépare en petits groupes, on les prend en photo en leur demandant de sourire, et on leur dicte un texte à poster sur Facebook, explique Le Figaro.
Si l'on ne connaît pas encore ce qui a motivé les trois jihadistes présumés toulousains à vouloir se rendre aux autorités, leurs avocats esquissent aussi des portraits de repentis. "Imad Djebali nous a affirmé que le poids leur était trop lourd. Ils voulaient s'expliquer", relate à Midi Libre Pierre Dunac, l'avocat du jeune homme. "Ce que je sais, c'est qu'ils se sont évadés de Syrie où ils étaient incarcérés, pour une raison que j'ignore encore, et ne voulaient surtout pas y retourner", ajoute Apollinaire Legros-Gimbert, avocat de Gaël Maurize, au quotidien régional.
Entre remords et tactique
Sont-ils sincères ? La carte du repenti est souvent jouée par les jihadistes de retour sur le sol français, note, pour La Croix, Jean-Charles Brisard, spécialiste des questions de terrorisme. "De plus en plus de jeunes de retour de Syrie se disent désabusés et meurtris par ce qu’ils y ont vu. Certains sont probablement sincères. Pour d’autres, c’est avant tout tactique", affirme-t-il. En se livrant aux autorités, les anciens combattants espèrent ainsi rester libres ou attirer la clémence. "Aux autorités de déterminer le vrai du faux", ajoute Jean-Charles Brisard.
Une stratégie compréhensible du point de vue de leurs intérêts judiciaires. Les membres du groupe strasbourgeois mis en examen pour "association de malfaiteurs en relation avec une entreprise terroriste" risquent dix ans de prison et 225 000 euros d'amende, selon l'article 421-5 du Code pénal, rappelle L'Express. "Leur intérêt est de minimiser leur rôle et de se décrire davantage comme des 'volontaires humanitaires' happés par la tourmente syrienne que comme des soldats disciplinés du jihad international", signale Le Figaro.
Ces discours empreints de remords sont en outre relativisés par les investigations policières dans le cas du "groupe des Strasbourgeois". Ainsi, les enquêtes ont "démontré une dangerosité de ces individus", selon une source judiciaire citée par Le Figaro. "Des contacts ont perduré après un retour qu'on ne peut pas qualifier de paisible. Sans parler de projet précis, plusieurs éléments, des propos, des documents, des objets retrouvés dont des armes, indiquent que ces individus entretenaient des velléités de violence et pouvaient passer à l'acte", détaille cette source.
Une surveillance hiérarchisée
Pour les Strasbourgeois, les services antiterroristes ont mis une surveillance en place, avec des écoutes et des filatures, 24 heures sur 24. Mais avoir à l'œil de cette manière tous les jihadistes de retour de Syrie n'est pas envisageable. "La surveillance 24 heures sur 24 d'une seule personne, qui utilise souvent trois ou quatre numéros de téléphone différents, c'est trente policiers. Comment voulez-vous faire ? Il faut dresser des listes de priorités", affirme une source policière, citée par Le Parisien.
Autre difficulté, les jihadistes français de retour de Syrie ne s'établissent pas systématiquement en France. Ils "s'installent sous un nom d'emprunt dans un autre pays de l'Union européenne et utilisent plusieurs téléphones", explique, au Parisien, Louis Caprioli, chargé de la lutte contre le terrorisme à la Direction de la surveillance du territoire (DST) de 1998 à 2004.
Loïc Garnier, patron de la coordination antiterroriste, interviewé par Le Figaro, assure que les dossiers sont classés en fonction des priorités, et que certaines enquêtes permettent des arrestations avant le passage à l'acte.
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