GRAPHIQUES. Pourquoi des chercheurs craignent un "suicide scientifique et industriel" de la France
Une coupe de 256 millions d'euros prévue dans le budget de la recherche fait vivement réagir le milieu scientifique.
Qui de mieux placé que des prix Nobel pour dénoncer l'insuffisance du financement de la recherche ? Lundi 23 mai, ce sont sept d'entre eux, en plus d'un mathématicien récompensé par la médaille Fields, qui ont signé une tribune dans Le Monde pour fustiger un "suicide scientifique et industriel".
Cet appel au gouvernement suivait la présentation, mercredi 18 mai, d'un projet de décret prévoyant une coupe de 256 millions d'euros dans la Mission interministérielle recherche et enseignement supérieur, soit un quart du budget de ce département.
La France court-elle vraiment au "suicide scientifique et industriel" ? Bien que les chiffres les plus récents ne soient pas disponibles, que disent les données sur le financement de la recherche dans notre pays ?
Le budget de la recherche progresse peu
Le principal indicateur mesurant le budget de la recherche est la Dépense intérieure en recherche et développement (DIRD). Il s'agit de l'ensemble des dépenses exécutées en recherche et développement, que le financement soit d'origine publique, privée ou étrangère.
Ces chiffres étant évalués a posteriori, les dernières données de l'OCDE, qui se basent sur des estimations, datent de 2014.
Les dépenses en matière de recherche en France ont bel et bien progressé, y compris sous le mandat de François Hollande. La DIRD a ainsi augmenté de 7,38% entre 2009 et 2014.
Mais c'est moitié moins que l'Allemagne (15,18%) ou le Japon (14,86%), sans parler de la Corée du Sud (56,47%) ou de la Chine (83,8%) sur cette même période.
Qui plus est, la majeure partie de ce financement vient des entreprises, et non des administrations.
La part financée par les entreprises s'accroît chaque année de manière plus importante que celle du public. Ainsi, entre 1995 et 2013, la dépense intérieure des administrations publiques a augmenté de 5,74% tandis que la dépense intérieure des entreprises a progressé, elle, de 8,44%.
La France met moins l'accent sur la recherche que l'étranger
Dans leur tribune, les scientifiques comparent le budget de la recherche française à celui de l'Allemagne, notant l'augmentation de 75% du budget Recherche et développement de l'Etat fédéral allemand.
Si l'on observe les dépenses intérieures en R&D des principaux pays selon l'OCDE (public et privé confondus), on s'aperçoit que la recherche française a été beaucoup moins financée qu'en Allemagne.
Par ailleurs, selon les scientifiques à l'origine de la tribune, "nous sommes encore loin des 3% du PIB fixés comme objectif pour les dépenses de R&D par la stratégie Europe 2020". Cet objectif, voté en 2010, n'était rempli en 2013 que par trois pays scandinaves : la Suède, la Finlande et le Danemark.
L'estimation de la part de la R&D dans le PIB de la France en 2014 est de 2,26%, contre 2,18% en 2010, loin des 3% prévus en 2020. A ce titre, les scientifiques ont donc raison de s'inquiéter de l'annulation des crédits annoncée par le gouvernement.
On peut toutefois nuancer en précisant que la plupart des pays européens ont peu de chances de remplir cet objectif. La part de la recherche dans les PIB de la Suède et de la Finlande a baissé depuis 2010 et ces pays menacent de se retrouver en dessous des 3%. Seules l'Autriche, l'Allemagne et la Belgique s'en approchent et continuent à investir.
La France pourrait perdre sa place parmi les leaders mondiaux
Le suicide scientifique n'a pas encore eu lieu, mais, comme le soulignent les signataires de la tribune, "la recherche française est un des pôles reconnus de la science mondiale multipolaire et nous devons maintenir et consolider cette position enviable".
L'importance que prend la recherche française peut se mesurer à l'aune des brevets que le pays dépose à l'Office européen des brevets (EPO) et au Bureau américain des brevets et des marques de commerce (USPTO).
Le premier met la France à la quatrième place tandis que le second la classe au septième rang, selon le ministère de l'Enseignement supérieur et de la Recherche. Les Français sont également sixièmes au classement des publications scientifiques.
De plus, la France compte encore de nombreux chercheurs : en 2013, ils étaient au total 336 299 (public et privé confondus), soit 988 chercheurs pour un million d'actifs, selon l'OCDE, qui les définit comme des "spécialistes qui se livrent à la conception et à la création de savoirs, produits, procédés, méthodes et systèmes, mais aussi à la gestion des projets correspondants".
En effectifs de chercheurs, la France est le troisième pays européen derrière l'Allemagne (549 283) et le Royaume-Uni (466 689), mais elle en compte davantage proportionnellement à sa population d'actifs.
Toutefois, pour les scientifiques qui ont lancé l'appel au gouvernement, les coupes budgétaires risquent de porter un coup aux effectifs de chercheurs, car cette politique "n’incitera pas non plus la jeunesse à se tourner vers les métiers de la recherche scientifique et de la R&D en général".
Signe que la coupe de 256 millions d'euros inquiète, la commission des finances de l'Assemblée nationale a émis mardi un avis, certes consultatif, mais critique sur la décision du gouvernement. La rapporteuse, Valérie Rabault, députée PS du Tarn-et-Garonne, estime que "d’autres solutions peuvent être envisagées pour respecter l’équilibre budgétaire, sans avoir à impacter l’effort de recherche".
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