Inondations dans le Pas-de-Calais : pourquoi le département est-il confronté à des crues record ?

Habitants évacués, écoles fermées, communes submergées... Le Pas-de-Calais est confronté à des inondations exceptionnelles depuis plusieurs jours à cause des fortes précipitations et des crues qui touchent plusieurs cours d'eau. Le département, qui a été placé en vigilance rouge à la fois pour "crues" et "pluie-inondation" jusqu'au vendredi 10 novembre dans l'après-midi, doit connaître un "début d'accalmie" pendant le week-end avant un retour des précipitations en début de semaine, a annoncé Christophe Béchu, le ministre de la Transition écologique, sur franceinfo. On vous explique pourquoi les inondations qui touchent le département sont si importantes.

Parce que les pluies sont particulièrement abondantes

En six jours, 275 mm d'eau sont tombés à Bainghen, entre Saint-Omer et Boulogne-sur-Mer, soit bien plus que sur l'intégralité de ce qui tombe au mois d'octobre (89 mm) et de novembre (90 mm) en moyenne dans le Pas-de-Calais, selon Météo-France. La prévisionniste Christelle Robert explique que le cumul de pluie à l'échelle du département a presque atteint 250 mm – soit 250 litres d'eau par m2 – sur les trois dernières semaines, et même 400 mm par endroits dans le Boulonnais et la Flandre intérieure.

"La séquence pluvieuse dure depuis mi-octobre et elle s'est intensifiée début novembre. On a vu des averses continues tomber sur le département alors que normalement, il y a toujours des alternances."

Christelle Robert, prévisionniste à Météo-France

à franceinfo

"Ces pluies record ont été causées par la succession de tempêtes qui touchent la France depuis plusieurs semaines, notamment Ciaran et Domingos, et ont provoqué ces inondations", décrypte Davide Faranda, climatologue au CNRS et spécialiste des événements extrêmes et de leur lien avec le changement climatique.

Ces précipitations répétées ont aussi été favorisées par une Manche plus chaude qu'à l'accoutumée, comme l'explique Davide Faranda : "Cette température plus élevée entraîne plus d'évaporation, donc plus d'humidité disponible pour les pluies." Autre explication : la persistance d'un courant venteux en altitude orienté vers le nord de la France. "Avec ce vent d'ouest, les averses qui se forment au-dessus de la Manche se sont déplacées vers les terres", complète Christelle Robert.

En revanche, seule une étude d'attribution spécifique "pourra analyser à quel point l'événement exceptionnel de fortes précipitations en cours, et ses conséquences, a été aggravé par le changement climatique", note Météo-France dans son bulletin. Les inondations et les tempêtes, qui sont des phénomènes naturels, peuvent être amplifiées par le réchauffement climatique causé par les activités humaines.

Parce que les sols sont déjà saturés

Plusieurs cours d'eau de la région, dont l'Aa et la Liane, ont débordé de leur lit et inondé plusieurs communes qu'ils traversent. La Liane a atteint 4,86 m (le précédent record remontait à 2012 avec 4,37 m) alors que l'Aa a atteint 2,18 m (contre 1,71 m en 2017), selon France Bleu. "Les cours d'eau ont atteint des niveaux si élevés qu'ils n'ont plus le temps et la capacité de redescendre", précise Christelle Robert. Le préfet du Pas-de-Calais, Jacques Billant, a qualifié ces crues, qui ont aussi touché d'autres cours d'eau comme la Hem et la Canche, d'"historiques".

Les inondations sont aussi la conséquence de la saturation des sols. Les nappes phréatiques sont gorgées d'eau et ne peuvent plus, ou très peu, jouer leur rôle de stockage dans cette zone. "Le nord du pays a basculé très rapidement d'une situation où il n'y avait pas assez d'eau à une autre où il y en avait trop", décrypte Davide Faranda. Les nappes étant pleines, l'eau s'accumule à la surface. "La piscine est remplie et déborde, ce qui crée des inondations", illustre le spécialiste.

Parce que le Pas-de-Calais est plat

Le Pas-de-Calais est un département côtier, constitué de plaines et de collines et donc relativement plat. Ce qui peut être problématique quand les précipitations s'accumulent et que les cours d'eau saturent.

"A la différence des territoires vallonnés, qui évacuent de façon naturelle l'eau avec les vallées, les territoires plus plats peuvent être confrontés à des eaux qui restent sur plusieurs semaines."

Davide Faranda, climatologue

à franceinfo

Pour Johnny Douvinet, géographe et maître de conférences à l'université d'Avignon, les inondations doivent aussi être analysées au regard de l'impact de l'homme sur les sols. "Dans ces secteurs-là, les fonds de vallée ont été urbanisés et aménagés, donc les eaux s'écoulent beaucoup moins bien qu'auparavant malgré l'existence de quelques digues", analyse-t-il sur France Culture.

A Saint-Omer, le maire François Decoster a reconnu que les digues construites après la crue historique de 2022 pour "protéger les habitants" ainsi que les champs d'expansion de crues installés pour "retenir et ralentir les débits d'eau" avaient "considérablement réduit l'impact" des inondations. Ce qui n'a pas été le cas partout : à Arques et à Recques-sur-Course, deux digues fragilisées menacent de s'effondrer.

"On n'arrivera jamais à contenir toutes les crues avec des digues. Plus on contraint les rivières avec des digues, plus le niveau de la même crue va monter, car elle va s'étaler."

Rémy Tourment, ingénieur à l'Inrae

sur France 2

En 2022, le Haut Conseil pour le climat estimait dans son rapport annuel que "la France [n'était] pas prête à faire face aux évolutions climatiques actuelles ou à venir" et affirmait que "tous les territoires doivent évoluer pour identifier et réduire leurs risques climatiques".