Dans le Calaisis, les pompiers confrontés à une "jungle" de plus en plus hostile
En 2015, plus de 2 000 interventions ont été menées en faveur des migrants. Soit 15% des missions sur le secteur du Calaisis. Alors que leurs véhicules sont parfois caillassés, les pompiers évoquent une ambiance de plus en plus délétère.
"On nous a appelés pour une voiture dans le fossé ; c’était un distributeur de pommes de terre." Avec celle de Calais, la caserne de Marck-en-Calaisis (Pas-de-Calais) est en première ligne pour intervenir dans la "jungle". Mais ce vendredi est plutôt calme*. "Revenez plus souvent, vous nous portez chance." Deux jours plus tôt, ces pompiers ont réalisé 17 interventions en 24 heures, dont 14 en faveur de migrants. Tout est consigné à la main, sur une main courante. "Chute depuis un camion sur l’A16", "départ de feu", "fortes fièvres", "rixe"... Des cercles verts identifient ces interventions jugées sensibles, en raison d’un climat de défiance croissant chez certains réfugiés.
"On préfère abandonner un tuyau que se mettre en danger"
La nuit du 15 au 16 janvier, deux engins de chantier ont brûlé, au niveau des conteneurs en cours d'installation. "Nous avons été accueillis par des acclamations et des cris, raconte un pompier, au sujet d'une récente intervention. Nous nous sommes dirigés sous escorte policière, dans le sentier des Dunes. Nous savions très bien que ces engins ont été allumés par des occupants du camp, car les ouvriers ne travaillent pas la nuit. Derrière la palissade, beaucoup de monde nous filmait et nous photographiait." Ce soir-là, des tags hostiles à ce campement provisoire ont également été découverts sur les conteneurs.
"Les derniers jours, on en a pris plein la gueule", résume crûment un pompier de Calais, à l'heure du déjeuner. La carrosserie du camion porte les stigmates d'un caillassage, mercredi, qui s'est déroulé lors d'affrontements entre migrants et policiers. A la fin du mois, les occupants du même véhicule ont même frôlé le pire : un rondin de bois avait enfoncé le pare-brise, lors d'une sortie sur un feu.
Cette menace est prise au sérieux par les pompiers, qui vont bientôt habiller les vitres latérales de leurs véhicules d'un film anti-bris. Ils ont aussi doté leur camion d'un second dévidoir, à tuyau souple, rapidement démontable à sa base. Utile si l'intervention tourne mal – "On préfère abandonner un tuyau que se mettre en danger."
Dans une lettre interne, consultée par francetv info, un pompier décrit la nuit du 10 novembre et des "clandestins en masse armés de bâtons, de divers projectiles et de frondes". Appelés pour un feu de végétation, les pompiers ont dû fuir la zone, sur la longue voie qui borde le camp. "A la différence d'actions individuelles que nous avons connues, désormais ces réfugiés se structurent, s'organisent, se soulèvent en masse et se rebellent à l'autorité", poursuit le document. Grillages, barbelés, police omniprésente... Il est devenu presque impossible de réussir la traversée. Certains migrants ne cachent plus leur ressentiment contre les autorités.
Escorte policière désormais systématique dans la "jungle"
Le commandement a pris conscience du problème en septembre 2014, quand une ambulance a été molestée et encerclée, au cours d'une intervention près de l'accès au site d'Eurotunnel. "Heureusement, le chef d’agrès a gardé son sang-froid et a reculé à faible allure, sans renverser personne", explique le lieutenant-colonel Olivier Loison. Aujourd'hui, les pompiers ne se déplacent plus dans la "jungle" sans escorte policière, que ce soit pour un bobo ou un incendie. Lors d'une sortie, ils gagnent tout d'abord l'un des "points de transit" prévus à cet effet. Quand les CRS les rejoignent, ils peuvent alors intervenir.
"Si c'est très chaud", les pompiers évitent la rocade, principale zone à risque. Les consignes sont les mêmes que lors des violences urbaines : stationnement dans le sens du départ, port du casque, fermeture obligatoire des vitres... Les phénomènes d'attroupement rendent les interventions délicates. "En quelques secondes, nous sommes entourés par 200 personnes. C'est vrai que ça fait un peu peur", confie un pompier. La plupart des interventions se déroulent toutefois sans encombre. "Certains nous adressent des sourires et nous aident – en tentant même de dérouler le tuyau. Mais parfois, d'autres nous caillassent..."
Plus de 2 000 interventions pour les migrants en 2015
Blessures, maladies... L'essentiel des missions a pour trait le secours aux personnes. Récemment, un homme est même tombé des rochers, en voulant pénétrer la zone portuaire. Il a fallu descendre le chercher en rappel, éclairé par les torches des CRS. Le mercredi et le jeudi, quand il y a beaucoup de poids lourds en route pour le Royaume-Uni, les pompiers interviennent aussi sur la rocade, pour des feux de palettes ou de pneus. En créant un embouteillage, les migrants espèrent grimper dans un camion à l'arrêt.
"Cet été, ça a été l'enfer, avec des vagues complètes de personnes qui tentaient de passer l'Eurotunnel", précise le lieutenant-colonel Olivier Loison. Au total, 2 006 interventions en faveur de 2 322 migrants ont été réalisées en 2015, soit 15% du nombre total en premier appel. Fin novembre, les pompiers ont donc accueilli avec soulagement la création d'un dispensaire de Médecins sans frontières, ouvert près du centre d'accueil Jules-Ferry. "En journée, désormais, on ne supporte plus la bobologie" et depuis quelques semaines, le nombre d'interventions a tendance à baisser. En décembre, dix hommes supplémentaires ont grossi les effectifs des Centre d'incendie et de secours de Calais et Marck-en-Calaisis, afin de répondre au surcroît d'interventions.
"C'est comme si les 'No Borders' attendaient une boulette"
"Nous n'avons pas de tire-au-flanc, malgré une certaine lassitude, résume sobrement le capitaine Arnaud du Soulier. Cette hausse des violences est pour nous incompréhensible." Sans trop y croire lui-même, un pompier avance que "la nuit, les migrants ne font pas de différence avec les policiers, il y en a même qui mettent la main derrière la tête". Mais la plupart d'entre eux évoquent l'influence des militants "No Borders", dont le discours radical aggraverait les tensions avec les migrants. A chacune de leurs interventions, une nuée de smartphones capte la scène. "C'est comme s'ils attendaient qu'on fasse une boulette !"
Au fil des mois, les regards de travers sont plus fréquents. Un pompier se souvient d'un geste de gorge tranchée. Simple impression ? A ce jour, aucun pompier n'a été blessé en intervention dans la "jungle". Fataliste, un pompier de Calais ne cache plus son pessimisme. "Un jour ou l’autre, une ambulance va brûler dans la 'jungle', ça nous pend au nez."
* Après notre départ, en fin de soirée, les pompiers de Marck sont finalement intervenus dans la "jungle" à 2h40, pour des douleurs abdominales, et à 5h10, pour une maladie. Les deux personnes ont été conduites au centre hospitalier, sans incident.
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