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Cinq mois après le démantèlement du camp de réfugiés, Calais tenté par le vote FN

À trois semaines du premier tour de l’élection présidentielle, franceinfo a choisi de retourner à Calais, ville marquée par la crise des migrants. Ici, le démantèlement du camp de réfugiés devrait peser lourd dans l’élection. 

Article rédigé par Grégoire Lecalot
Radio France
Publié
Temps de lecture : 4 min
Une pancarte signale l’ancien emplacement du camp de migrants, désormais interdit au public. (DENIS CHARLET / AFP)

Plus de cinq mois après la disparition du camp de migrants à Calais, trois semaines avant le premier tour de l’élection présidentielle, franceinfo est retourné dans la ville du Pas-de-Calais, marquée par la crise des migrants. Là-bas, le souvenir de la jungle est dans toutes les têtes. Et il devrait peser lourd dans l’élection.

Depuis son bureau, Jean-Pierre Devigne peut voir tous les camions qui rentrent et sortent de son dépôt dans une zone industrielle de Calais. Aujourd’hui, le patron de RDV Transports boucle les comptes de la période de la jungle : 174 000 euros de dégâts sur ses 200 remorques blanches et bleues. Un exemple parmi d’autres, qui se paiera, assure-t-il, dans les urnes. "On aura sur Calais un taux d’abstention important, mais aussi un vote Front national. Avant, ici, nous avions des quartiers qui votaient communiste mais qui vont maintenant plutôt passer Front national", explique Jean-Pierre Devigne. 

Cinq mois après le démantèlement du camp de migrants, Calais tenté par le vote FN

Calais, longtemps marquée à gauche, est passée des communistes à la droite en 2008. Mais à la dernière présidentielle, on l’a vue voter François Hollande à 62%. Même si le Front national avait déjà fait une percée, avec Marine Le Pen seconde du premier tour, quand plus d’un électeur sur quatre ne s’était pas rendu aux urnes.

Les "guignols" peinent à lever les amertumes

Depuis, la jungle est passée par là, avec jusqu’à 10 000 personnes l’été dernier dans cette ville de 76 000 habitants, traumatisant au passage les Calaisiens, qui l’ont vécue comme une catastrophe. Ajoutez à cela une campagne électorale très particulière, beaucoup, à Calais, se retrouvent perdus. "À l’heure actuelle, je ne sais pas vraiment pour qui aller voter, confie Gaël, un des chauffeurs de RDV Transports. J’ai l’impression qu’entre guillemets, c’est un peu tous des guignols. Ils sont là pour prendre l’argent, quoi… Ils se battent pour récupérer les mandats."  

Gaël a vu son camion pris d’assaut par des migrants un soir d’hiver sur l’autoroute. Et il s’estime lésé par l’Europe à cause de la concurrence des chauffeurs des pays de l’Est. Aussi, quand on lui demande s'il voudrait que la France quitte l’Europe, il répond : "Pourquoi pas ?" 

Le sentiment d'insécurité est passé par là

La percée du Front national en 2012 semble vouloir se confirmer à Calais. Sans lire dans le marc de café électoral, à discuter avec les Calaisiens, l’impression dominante est une intention de donner sa voix à Marine Le Pen. Probablement parce que la période de la jungle a été marquée par une explosion des problèmes sécuritaires. Malgré le démantèlement, quelques centaines de personnes cherchent toujours à passer en Grande-Bretagne, attisant la colère de certains citoyens.

Parmi eux, ce jeune étudiant de 19 ans à la fine moustache rousse qui prend le bus pour venir à l’université. "Ils montent juste pour faire un trajet Calais / Grand-Fort-Philippe, accuse le jeune homme. Juste pour être au chaud. Et ils repartent. Ils sont pas aimables. Si ils demandent quelque chose, c’est pour avoir quelque chose. Et si ça ne va pas, ils se retournent contre nous…" Le Front national ? "C’est le mieux pour Calais, estime l’étudiant. Il y en a déjà qui veulent en finir aux mains. Alors, il faut que quelque chose bouge, au niveau de l’État."

"Je pense qu'on aurait pété les plombs"

Pourtant, Calais est quadrillé par les forces de l’ordre, dès la gare, sur le port, aux carrefours et sur l’ancien terrain de la jungle qui revient à l’état sauvage juste à côté de la mer. Bernard et sa femme, un couple de retraités, habitent le petit lotissement situé juste en face de l’ancien camp de réfugiés. Bernard nourrit une franche rancœur à l’égard du gouvernement : "Il était temps qu’ils fassent quelque chose. On n’en pouvait plus et je pense qu’on aurait pété les plombs", peste-t-il. Depuis, la vie a repris son cours, presque normal. "On commence à revivre un peu quand même, reconnaît-il. On peut partir à deux faire les courses. Avant, on pouvait pas : il fallait qu’on y aille chacun notre tour." Si Bernard reconnaît les efforts entrepris, ils arrivent pour lui un peu tard. C’était trop dur, aussi il a fait son choix : ce sera Le Pen. Mais, prévient l’homme, il faudra qu’elle fasse ce qu’elle a promis.

Cette situation préoccupe les associations qui continuent à distribuer plus de 7 000 repas par mois et des vêtements chauds aux migrants. Laure, chasuble orange fluo sur les épaules, est l’une des bénévoles de l’Auberge des migrants. "L’avis de tous, ici, est de voter pour le moins pire. Mais si on ne donne pas son avis, on n’aura pas le droit de se plaindre après", prévient-elle. 

Et si Calais devenait une zone franche ?

La jungle pèse lourd sur les choix électoraux des Calaisiens. Autant qu’elle a pesé sur l’économie locale : Calais vit une situation économique difficile avec la fin de la dentelle et les restructurations dans le transport maritime ou dans la chimie. La jungle n’a rien arrangé : jusqu’à 40% de perte de chiffre d’affaires, selon les hôteliers. Les commerçants demandent des mesures exceptionnelles, comme Nicolas, lui aussi riverain de l’ancienne jungle. Lui garde l’espoir que les touristes anglais reviendront pour faire leur shopping sur Calais. Si seulement Calais devenait un jour une zone franche… Mais, n’entendant rien de la part des candidats, il se dit tenté par l’abstention. 

La Grande-Bretagne est ici davantage qu’un voisin : depuis les accords du Touquet, la frontière est physiquement matérialisée à Calais, avec des clôtures barbelées. Sébastien, accoudé dans le seul bar carnavaleux de la ville le regrette. Lui aussi pense voter Front national. Il a une expression pour expliquer cela : "On a comme le Brexit anglais… Le Brexit politique, en fin de compte…" Aux dernières élections régionales, en 2015, Marine Le Pen a franchi la barre du second tour à Calais, avant d’être battue par Xavier Bertrand.

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