Elle découvre son visage sur une publicité pour Père Dodu : que dit la loi ?
Une Amiénoise a découvert sa photo sur une affiche publicitaire de la marque de produits volaillers. Que faire si, comme elle, une photo de vous est exploitée sans votre accord ? Francetv info a posé la question à un avocat.
Mise à jour : La base de données d'images Getty a contacté Francetv info, mercredi 13 mai, pour contester cette information. "L’image reproduite dans la campagne de Père Dodu a été prise le 7 février 1964, à New-York, c’est-à-dire avant la naissance de la personne prétendant apparaitre sur cette photo, Céline Facquez, qui dit avoir 39 ans, explique Getty Images. Contrairement à ce qui est allégué, il ne s’agit donc pas d’elle sur cette photo."
"Dodu, tu me fais du bien." Céline Facquez, une habitante d'Amiens (Somme), a eu la surprise de découvrir ce slogan affiché en dessous d'une photo d'elle prise il y a plus de vingt ans, sur un panneau publicitaire pour la marque de produits volaillers Père Dodu. Problème : cette femme de 39 ans ignorait l'existence du cliché et n'a pas donné son accord pour qu'il soit utilisé dans le cadre d'une campagne publicitaire. "Depuis, on m'appelle mère Dodu, explique-t-elle au Courrier picard. On peut en rire, mais, si c'est de la moquerie, ça peut être énervant." Selon son avocat, Stéphane Diboundje, contacté par francetv info, l'affiche serait "un grossier montage" à partir d'une photo datant des années 1990, peut-être prise lors d'une représentation théâtrale de sa cliente.
Céline Facquez cherche pour l'instant à retrouver le cliché original. Le but : engager des poursuites judiciaires si elle arrive à prouver que c'est bien son image qui a été utilisée. Mais l'annonceur et la banque d'images Getty ont affirmé être dans leur bon droit, dans les colonnes du Courrier picard. Alors qui a raison ? Francetv info a posé la question à Alexandre Blondieau, avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit à l'image.
Francetv info : La femme qui apparaît sur la publicité pour Père Dodu confie au Courrier picard qu'elle envisage d'engager des poursuites judiciaires. Dans quel cas peut-on faire valoir son droit à l'image ?
Alexandre Blondieau : Si vous n'avez signé aucune cession de droit à l'image, l'exploitation d'une photo de vous n'est, la plupart du temps, pas autorisée. Il est généralement illicite pour une société ou un particulier d'utiliser un cliché sans autorisation, même s'il n'y a pas d'atteinte à votre dignité ou à votre vie privée.
Il existe toutefois certaines limites à ce droit : lorsque vous participez à un événement public, le droit à l'information peut primer. Par exemple, si vous êtes filmé ou photographié lors d'une manifestation ou au milieu d'autres personnes sur la plage, pour un reportage, vous ne pouvez pas vous opposer à la diffusion des images.
En revanche, on ne peut pas faire n'importe quoi avec ces clichés. Utiliser des photos d'une manifestation pour un article sur ce rassemblement est légal. Détourer le visage de quelqu'un participant à une manifestation et l'utiliser hors contexte, par exemple pour une publicité pour un shampooing, ne l'est pas.
L'entreprise Père Dodu n'avait donc pas le droit d'utiliser l'image de cette femme, même si elle a été prise lors d'un concert, comme l'affirme Getty Images dans le Courrier picard ?
Ce n'est pas parce qu'elle a participé à un concert ou à une représentation théâtrale, comme le pense [Céline Facquez], qu'ils ont le droit d'utiliser la photo comme bon leur semble. En droit français, on distingue le droit à l'image, qui est proche du droit à la vie privée, et le droit sur l'image. Je m'explique : une photo prise lors d'un concert ne porte pas atteinte à votre vie privée – ce n'est pas une image prise dans un cadre familial, par exemple – et donc le droit à l'image ne jouera pas forcément.
En revanche, vous avez toujours un droit sur l'image : on exploite une photo de vous dans un cadre publicitaire, qui n'a rien à voir avec le contexte d'origine. Utiliser une photo prise durant un concert pour parler de cet événement est légitime. La sortir de son contexte pour en faire une publicité pour de la nourriture pose en revanche problème. Tout est une histoire de contexte.
Cette femme a-t-elle donc des chances de gagner l'affaire, si elle la porte devant la justice ? Le responsable devant la loi est-il Getty Images, qui a vendu la photo, ou Père Dodu, qui l'exploite à des fins commerciales ?
Pour engager la responsabilité de quelqu'un devant la justice, il y a trois conditions : il faut qu'il ait commis une faute, que la personne qui engage des poursuites ait subi un préjudice, et qu'il y ait un lien de causalité entre cette faute et le préjudice subi. Dans ce cas précis, l'image de cette femme a été sortie de son contexte, donc il y a bien eu faute. Si elle veut obtenir quelque chose, elle doit prouver qu'elle a subi un préjudice : le simple fait que ses amis la reconnaissent et se moquent d'elle est suffisant, même si ce préjudice est symbolique. Si c'est bien elle sur la photo, le lien de causalité est évident. En principe, le tribunal devrait lui donner gain de cause.
Pour en arriver là, il faut d'abord que la victime assigne en justice les responsables identifiables, à savoir Père Dodu et éventuellement l'annonceur. S'ils veulent inclure Getty dans le procès, pour engager une action en garantie contre ceux qui leur ont vendu cette photo, ils le peuvent. Mais l'excuse "Ce n'est pas moi, c'est lui" ne suffira pas. Père Dodu exploite l'image à tort et est donc responsable en premier lieu.
Commentaires
Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.