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Corse. Pourquoi la guerre des paillotes est-elle relancée ?

Pour avoir engagé un combat contre les restaurants de plage illégaux, le préfet de Corse a reçu des menaces de mort, relançant les tensions autour des paillotes, symboles de "l'état de non-droit".

Article rédigé par Christophe Rauzy
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 6min
La paillote "Chez Eric", sur la plage de Cala d'Orzu (Corse-du-sud), visitée par des gendarmes venus constater son démontage, le 15 janvier 2013. (MAXPPP)

On pensait les tensions enterrées dans le sable de Cala d'Orzu, la plage où la paillote "Chez Francis" avait brûlé une nuit d'avril 1999, entraînant la condamnation du préfet Bernard Bonnet en 2003. Mais mercredi 23 janvier 2013, on apprend que l'actuel préfet de Corse, Patrick Strzoda, a reçu la semaine précédente des menaces de mort, liées à la destruction de paillotes situées elles aussi près d'Ajaccio. "Je te réglerai ton compte", annonce le courrier anonyme faisant référence au préfet Erignac, assassiné en 1998, et au préfet Bonnet. 

Ce basculement dans la violence met à nouveau les restaurants de plage sur le devant de la scène corse, récemment frappée par une série d'assassinats. Francetv info s'est penché sur les raisons de la réapparition de la guerre des paillotes.

Parce que l'Etat veut restaurer l'ordre républicain

"La Corse n'est pas un territoire à part." C'est ce qu'avait martelé le ministre de l'Intérieur, Manuel Valls, lors de sa dernière visite sur l'île de Beauté, le 15 novembre dernier, au lendemain de l'assassinat de Jacques Nacer, le président de la Chambre de commerce et d'industrie de Corse-du-Sud. Alors que l'île a connu 20 assassinats en 2012, le ministre de l'Intérieur avait annoncé sa volonté de lutter contre "un système", en s'attaquant à toutes les sources de financement du banditisme, notamment "le foncier sur le littoral". Et comme l'explique Le Figaro, il s'agit avant tout de restaurer un respect des lois parfois mis à mal.

Et c'est notamment le cas pour les paillotes. Certains de ces restaurants de plage, l'hiver venu, ne démontent pas leurs installations estivales construites sur le domaine public alors que leur autorisation d'occupation temporaire a expiré. Mais désormais, comme il l'expliquait le 5 janvier au Journal de la Corse, le préfet Patrick Strzoda veut faire appliquer la loi littoral à la lettre : c'est dans ce but qu'il a ordonné, début décembre 2012, à cinq gérants de paillotes des environs d'Ajaccio de démolir leurs installations illégales avant le 15 janvier.

Les cibles de ces mises en demeure ne tiennent pas du hasard. Non seulement, ces établissements étaient visés par des procédures remontant pour certaines à 2006. Mais surtout, ils se trouvent à Coti-Chiavari, la commune où la fameuse paillote "Chez Francis" avait été détruite le 26 avril 1999 par des gendarmes du GPS, provoquant un scandale national (décrypté sur son blog par le chercheur Xavier Crettiez). En visant ces paillotes, il s'agissait donc aussi pour la préfecture, quelques semaines après la visite de Manuel Valls, de marquer les esprits.

Le restaurant "Chez Francis", promis à la démolition à la fin de l'été pour avoir été construit abusivement, entièrement détruit le 26 avril 1999 sur une page du golfe d'Ajaccio, par un incendie criminel. (COR / AFP)

Le 15 janvier, date fatidique pour les paillotes, ce n'est pas avec des jerricans d'essence que la gendarmerie a agi, comme le raconte Corse Matin. Munis d'appareils photos, ils sont simplement venus constater l'avancée des travaux de démolition que les gérants des paillotes ont fini par entamer. Sans bulldozer, la préfecture jouait la carte du dénouement apaisé. Deux jours plus tard, le 17 janvier, le préfet a pourtant reçu des menaces de mort prises très au sérieux par les autorités.

Parce que les gérants dénoncent le zèle de l'Etat

Face à la décision préfectorale, certains de ces "paillotistes" de Coti-Chiavari sont "vent-debout", comme l'explique Corse Matin. Pas question de démonter pour ceux qui se sont regroupés au sein d'une association. Leur argument premier est que leurs paillotes ne se trouvent pas sur le domaine public maritime. La préfecture se baserait selon eux sur un tracé obsolète datant de 1992, comme ils l'affirment au ParisienAutre argument, celui de la menace qui pèse sur leur activité économique et sur les emplois qui en dépendent.

Leur dernier axe de défense est leur refus de subir la volonté gouvernementale de taper du poing sur l'île. "Il ne faudrait pas que ces restaurateurs deviennent les victimes expiatoires d'un Etat de droit qui n'arrive pas à s'imposer en Corse", prévient leur avocat, Stéphane Recchi. Ils estiment ainsi bénéficier d'un traitement à part, d'autres restaurateurs de plages de la région ayant obtenu des autorisations d'occupation temporaires allant parfois jusqu'à dix ans.

Parce que les paillotes sont un symbole fort en Corse

S'ils sont en colère, personne n'ose imaginer que les restaurateurs concernés par les destructions sont à l'origine de la lettre de menace adressée au préfet. "Un tel courrier ne peut pas venir des paillotistes, assure leur avocat, ce serait leur arrêt de mort." Alors, à qui profite ce courrier ? "Il y a deux hypothèses, analyse Thierry Colombié, spécialiste de la criminalité organisée, notamment Corse, chercheur associé au CNRS. Il s'agit soit d'un illuminé qui voulait faire parler de lui, soit de quelqu'un qui applique une stratégie à trois bandes, une rhétorique souvent employée en Corse."

Il pourrait donc s'agir d'une manipulation dont l'objectif serait de mettre à nouveau dans la lumière l'affaire des paillotes de 1999. "C'est un sujet douloureux pour l'Etat, qui provoque des craintes chez ses représentants et, au contraire, des sourires chez certains Corses", rappelle Thierry Colombié. On pense alors aux nationalistes, qui pourraient vouloir exploiter à nouveau un symbole de l'opposition entre l'Etat français et le peuple corse.

"C'est surtout le symbole du non-respect de l'état de droit, analyse Fabrice Rizzoli, représentant en France de Flare, réseau citoyen contre le crime organisé. Pour l'auteur de Petit dictionnaire énervé de la mafia (L'Harmattan), "certains acteurs du 'milieu' rackettent ou protègent des paillotes qui sont restées dans l'illégalité pendant des années, et qui leur permettent de dire aux Corses : 'regardez, on fait ce que l'on veut'. Ils ne veulent pas que ça change et ont peut-être voulu envoyer un message clair à l'Etat en adressant cette lettre de menace à son représentant".

Comme le décrit Corse Matin, le mystère de ce corbeau inquiète une population qui craint de voir naître une autre guerre des paillotes, synonyme de nouveaux jours sombres sur l'île de Beauté.

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