"C'était insupportable de penser que des restes de victimes du nazisme étaient encore dans un musée"
Des restes de victimes d'un médecin nazi ont été découverts à l'institut de médecine légale de Strasbourg grâce aux recherches de l'historien Raphaël Toledano. Il raconte à francetv info comment il a fait cette découverte.
Cela faisait plus de soixante-dix ans que la rumeur courait à la faculté de médecine, à Strasbourg (Bas-Rhin). Le 9 juillet, l'historien et médecin Raphaël Toledano a enfin pu prouver que des restes de victimes de l'anatomiste nazi August Hirt avaient bien été conservés, pendant des années, dans des bocaux et des éprouvettes à l'institut de médecine légale de la ville. Ces récipients contiennent des fragments de peau d'une victime de chambre à gaz, le contenu de l'estomac et de l'intestin d'une autre personne et un galet servant de matricule lors de l'incinération des corps.
Pour francetv info, Toledano revient sur cette découverte, fruit d'une enquête de plusieurs années.
Francetv info : Comment avez-vous réussi à retrouver et identifier ces restes de victimes ?
Raphël Toledano : Cette enquête a débuté il y a très longtemps pour moi, alors que j'étais encore étudiant en médecine. On racontait dans les murs de l'université que des restes humains de victimes de la Shoah étaient encore conservés à l'institut de médecine légale de Strasbourg. On savait que la plupart des restes avaient été retrouvés par les alliés en 1945 et inhumés au cimetière juif de la ville, mais tout le monde disait que tous les restes n'avaient pas été retrouvés.
Pour moi, c'était insupportable de penser que des restes de victimes du nazisme étaient encore dans un musée, et non pas dans une sépulture digne de ce nom. Je me suis tout de suite passionné pour cette histoire. Mais ce n'est qu'en 2003 que j'ai pu avancer dans mon enquête, grâce à Hans-Joachim Lang. Ce journaliste allemand a retrouvé la liste des 86 victimes d'expériences anatomiques d'August Hirt au musée de l'Holocauste, à Washington. J'ai recoupé cette liste avec une lettre de Camille Simonin, un ancien professeur de médecine légale de la faculté de Strasbourg, qui avait été chargé par les autorités militaires d'après-guerre d'identifier avec précision les restes humains. Dans cette lettre, il mentionnait l'existence de bocaux à l'institut. C'est comme cela que j'ai pu retrouver la trace de ces personnes, dans un endroit où nul n'avait pensé fouiller.
Quel est cet endroit ?
Il s'agit du musée de médecine légale, situé à l'institut d'anatomie de Strasbourg. C'est une toute petite pièce qui doit faire trois mètres sur quatre. Personne n'y va. Il m'a même fallu du temps pour retrouver la clé, qui se trouvait dans le bureau d'une secrétaire.
Habituellement, on y conserve des objets trouvés sur des scènes de crimes, comme des armes ou des vêtements avec empreintes, mais, il y avait aussi trois bocaux remplis de formol. Le premier contenait un morceau de peau d'une victime, et les deux autres des restes d'organes d'une autre victime. Lorsque j'ai découvert ces bocaux, cela a été un grand choc évidemment, mais aussi un énorme soulagement pour moi, l'aboutissement de longues années d'enquête.
Comment expliquer que cette affaire ait été passée sous silence pendant des années ?
Il y avait beaucoup de rumeurs sur le sujet, mais ni l'université, ni l'institut de médecine légale ne voulait creuser la piste de bocaux restants. L'institut disait qu'il avait fait un inventaire après-guerre et que rien n'y avait été trouvé. C'était un sujet à ne pas évoquer. Le président de la faculté affirmait qu'il n'y avait rien à chercher. Ce mutisme m'a révolté, mais c'est à eux qu'il faut demander des explications.
J'ai eu de la chance, durant mon enquête, de trouver un document qui mentionnait la présence de deux bocaux à l'institut de médecine légale. J'ai contacté le nouveau directeur de l'institut, le professeur Jean-Sébastien Raul, qui a tout de suite été volontaire pour m'aider dans mes recherches. Il venait d'arriver, il n'était pas au courant de toute cette histoire. Il est tombé des nues lorsque je lui ai parlé de ma découverte.
Que vont devenir ces restes humains ?
Les restes vont être restitués à la communauté juive de Strasbourg pour qu'ils puissent être inhumés. Plusieurs familles de victimes m'ont appelé pour me féliciter et me faire part de leur joie. Elles me disent que ma découverte a un côté terrible, mais elles sont très contentes qu'on ait retrouvé une trace de leurs ancêtres.
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