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Une nouvelle version de la mort de Ben Laden et des interrogations sur sa véracité

Un journaliste américain aguerri, Seymour Hersh, met en doute, dans un article, les conditions dans lesquelles est mort le chef terroriste. Mais sa version est critiquée.

Article rédigé par franceinfo
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Au Pakistan, le 2 mai 2011, la maison d'Abbottabad où Oussama Ben Laden a été tué. (ANJUM NAVEED / AP / SIPA)

L'administration américaine a-t-elle caché les conditions dans lesquelles Oussama Ben Laden a été tué, en mai 2011 ? Ou le journaliste Seymour Hersh, qui met en doute la version officielle, fabule-t-il ? Depuis quelques jours, ces deux questions agitent la presse américaine. Francetv info vous présente les éléments du débat, mardi 12 mai.

De quoi parle l'article du célèbre journaliste américain ?

Seymour Hersh a mis le feu aux poudres dans un long article publié dans la London Review of Books, un magazine britannique réputé. Il écrit, dès l'introduction, que "l'histoire de la Maison Blanche aurait pu être écrite par Lewis Carroll", l'auteur d'Alice au pays des merveilles. Pour le démontrer, le journaliste s'appuie principalement sur deux sources, dont un haut responsable du renseignement américain à la retraite. 

Premier élément : la Maison Blanche a toujours affirmé que le Pakistan n'avait été informé qu'après-coup de l'opération militaire américaine ayant conduit à la mort du chef d'Al-Qaïda. Mais, "c'est faux, tout comme de nombreux autres éléments du récit de l'administration Obama", soutient Seymour Hersh. Selon lui, les Américains n'ont pas localisé Ben Laden dans sa maison d'Abbottabad, près d'Islamabad, grâce à un messager qui a été pisté.

Non, Washington aurait bénéficié d'informations des services du renseignement pakistanais (l'Inter-Services Intelligence, ISI) contre paiement d'une partie de la rançon promise pour la capture du chef d'Al-Qaïda. Le journaliste affirme que l'ISI savait qu'il était à Abbottabad depuis 2006 ! Oussama Ben Laden aurait été "donné" par le Pakistan qui n'ignorait rien de sa présence sur le territoire et l'aurait même retenu pour s'en servir dans des négociations avec les talibans.

Le reporter soutient encore que le cadavre de Ben Laden n'a pas été jeté à la mer, comme l'indique la version de Washington. Bien que le commando américain n'ait pas rencontré de résistance en investissant son refuge, le corps du leader d'Al-Qaïda aurait été disloqué par les coups de feu des soldats américains, qui auraient jeté ses restes sur les montagnes de l'Hindu Kush.

En quoi cette version est-elle crédible ?

Deux éléments soutiennent la crédibilité de cette version. D'abord, aux Etats-Unis, Seymour Hersh n'est pas n'importe qui. C'est une légende vivante du journalisme. Il s'est distingué pour ses révélations sur le massacre de My Lai pendant la guerre du Vietnam (plusieurs centaines de civils massacrés par des soldats américains en 1968) ou encore le scandale de la prison d'Abou Ghraïb en Irak (de graves abus physiques et sexuels sur des détenus de la part de l'armée américaine). 

Ensuite, comme l'écrit Libération, l'idée que les services pakistanais étaient alertés n'est pas nouvelle : "C'était déjà la conclusion d’une enquête du New York Times publiée en mars 2014. Les spécialistes de la région ont toujours douté que Ben Laden ait pu se cacher si longtemps à Abbottabad, ville de garnison qui accueille une académie militaire, sans que l’ISI n’en soit informé". Le journal rappelle qu'il est parfois difficile de lire le jeu des services pakistanais soutenant officiellement les Américains, mais faisant preuve de complaisance avec des talibans ou jihadistes. Une attitude dont s'est plusieurs fois plaint Kaboul, souligne Libération.

Pourquoi est-elle mise en doute ?

Sans surprise, Washington dément les accusations de Hersh. "Il y a trop d'inexactitudes et d'affirmations sans fondement dans cet article pour y répondre point par point", a déclaré le porte-parole du Conseil de sécurité nationale (NSC).

Mais ce n'est pas tout. La réputation de Seymour Hersh s'est ternie ces dernières années, notamment en raison d'une "forme d'appétence pour les théories du complot", écrit Libération. De plus, le prestigieux New Yorker, avec lequel il a l'habitude de collaborer et qui est renommé pour ses processus de vérification de l'information, a refusé de publier son article en 2013, selon le site américain Politico.

Sur le fond, le site Vox (en anglais) se livre à une attaque en règle contre l'article de Hersh. Il souligne le manque de sources de premier choix : le papier repose sur les témoignages d'un chef du renseignement pakistanais à la retraite depuis 1992 et un autre retraité du renseignement américain. Il pointe encore qu'aucun document ou mémo ne vient soutenir la thèse de Hersch. 

Mais le plus gros problème, pour Vox, c'est que l'article ne "tient pas un examen scrupuleux", cumulant "contradictions internes et incohérences". Ainsi, le récit de Seymour Hersh repose sur l'existence d'un accord secret entre Washington et Islamabad. Le Pakistan aurait livré Ben Laden contre la promesse d'une aide militaire et de plus de libertés sur son action en Afghanistan. "L'exact opposé de ce qui s'est produit, puisque l'aide militaire américaine a chuté et que la coopération américano-pakistanaise en Afghanistan est en chute libre", écrit Vox. Et de s'interroger notamment sur la raison pour laquelle les chefs du renseignement pakistanais auraient accrédité un scénario révélant leur incapacité.

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