"Un véritable champ de bataille" : le récit de la nuit du 13 novembre par un bénévole de la Protection civile
La nuit des attentats, les secouristes bénévoles de la Protection civile n'ont pas hésité à rejoindre les pompiers pour aider les victimes. Interrogé par francetv info, Guillaume Bolluyt raconte sa "nuit d'horreur".
La journée, Guillaume Bolluyt, 24 ans, est gendarme. Mais la nuit des attaques du 13 novembre qui ont ensanglanté Paris, il a dirigé la première ambulance dépêchée sur place par la Protection civile. Il raconte à Francetv info comment lui et son équipe de secouristes bénévoles ont prêté main-forte aux pompiers et aux médecins pour faire face à l'horreur.
"Ce soir-là, j'étais justement en réunion au local de la Protection civile de Paris Centre avec cinq autres dirigeants d'équipes parisiennes. Vers 21h45, nous recevons un SMS : un de nos secouristes nous prévient qu'il y aurait eu des fusillades dans Paris. A ce moment-là, on ne parlait encore que du Stade de France et de la rue Bichat. J'appelle une vingtaine de nos secouristes et leur fait traverser tout Paris pour nous rejoindre. Mais nous n'avons pas hésité une seule seconde, nous sommes là pour porter secours.
Vers 22h10, je pars avec la première ambulance direction la rue Bichat. On a dû faire tout le tour par la gare de l'Est, pour éviter les zones à risques. La progression a été difficile. A chaque coin de rue, on sait qu'on peut déboucher sur un terroriste. On a croisé des gens qui couraient, criaient... Ils étaient terrorisés.
"Le Petit Cambodge, une scène de guerre"
Lorsque nous arrivons finalement rue Bichat, l'ambulance passe un premier cordon de police, puis un deuxième. Je demande à mon équipe de rester dans l'ambulance, en sécurité, pendant que je vais évaluer la situation. Devant les deux restaurants, je vois tous ces corps, étalés par terre et couverts par des draps, les éclats de vitres, les tables sens dessus dessous, du sang partout... On aurait dit une scène de guerre.
Je rejoins le chef de secteur qui m'explique qu'on n'aura pas besoin de nous ici, qu'il vaut mieux qu'on retourne au centre coordonner nos efforts pour le reste de la soirée. Une fois de retour dans l'ambulance, on apprend à la radio qu'une de nos voitures a été la cible de coups de feu. Il n'y aura pas eu d'impacts de balles, pas de blessés, mais on comprend qu'on ne doit pas rester là. Je ne voulais pas traîner, je préférais préserver la sécurité de mes équipiers.
"A l'arrivée au Bataclan, c'est là qu'on a compris que c'était vraiment sérieux"
Après s'être coordonnés dans le local du 12e arrondissement, nous sommes finalement envoyés au Bataclan, vers 23h30. On est la seule équipe à être déployée à la salle de concert, les autres restent en retrait pour prendre en charge les victimes, leurs proches, et les témoins des fusillades. En arrivant sur place, nous croisons un nombre incroyable de voitures du GIGN et de l'action Vigipirate. C'est là qu'on a compris que c'était vraiment sérieux.
Dans l'ambulance, à une centaine de mètres des lieux, je parle à mon équipe. On se concentre ensemble pour être le plus efficace possible. On savait qu'ils avaient des armes massives, qu'il y aurait beaucoup de blessés. On savait qu'on allait devoir ne pas se détourner de notre objectif : sauver le plus de vies possible.
On se déploie alors aux côtés des pompiers, prêts à recueillir les blessés. Cela a été difficile, on avait mis nos casques, et on a dû faire machine arrière plusieurs fois, se cacher parce qu'on pensait que les terroristes revenaient vers nous. On aurait pu être terrifiés, mais, lorsque vous êtes dans le feu de l'action, vous ne ressentez pas la peur. Seulement l'adrénaline. On a dû se replier plusieurs fois, toute la mise en place a duré une bonne demi-heure. On était restés si près du Bataclan que l'on pouvait entendre les balles, les explosions.
"Dans le hall de l'immeuble, du sang partout"
Et puis l'assaut contre les terroristes s'est terminé. Les policiers ont sécurisé la rue derrière le théâtre. Ils cherchaient des tireurs isolés sur les toits, ou un autre kamikaze. On attendait à quelques dizaines de mètres jusqu'à ce qu'ils nous crient "Allez-y" ! Là, on a couru avec un brancard pour venir en aide aux blessés, réfugiés dans les halls d'immeuble de la rue Oberkampf.
Dans les couloirs, il y avait du sang partout. On a trouvé beaucoup de victimes, au moins une vingtaine, toutes allongées par terre. On n'a pas l'habitude de voir autant de blessés graves en même temps. Ce qui m'a le plus choqué, c'est le nombre de blessés, leur âge. Ils étaient tous très jeunes, aussi jeunes que moi, aussi jeunes que leurs attaquants. Les balles de kalachnikov font énormément de dégâts, créent des hémorragies...C'était un véritable champ de bataille.
"Face à l'horreur, il n'y a plus de différence entre bénévoles et professionnels"
On rejoint les pompiers et j'essaie d'agir rapidement, méthodiquement. Notre objectif est d'abord de prendre en charge le maximum de victimes. On est censés trier les situations par ordre d'urgence, mais, là, tout était urgent. Notre équipe réussit à évacuer rapidement deux blessés, ils saignaient beaucoup. On les ramène vers les postes de secours improvisés dans des restaurants au bout de la rue, où des médecins les prennent en charge.
A la Protection civile, nous sommes davantage habitués à prendre en charge les témoins, à entamer le dialogue. Mais là les gens souffraient, criaient lorsqu'on les déplaçait, c'était difficile de les faire parler, on essayait de leur demander où ils avaient mal, d'évaluer les dégâts. Si quelqu'un se vide de son sang, il peut mourir en l'espace de quelques heures.
Dans cette situation, on est tous sur le front, tous côte à côte, et personne ne fait de différence entre les bénévoles et les professionnels. Qu'on soit bénévole ou pompier, on fait tous partie des secours, on est tous au même rang. Dans le feu de l'action, à aucun moment on ne se demande "Mais qu'est-ce qu'on fait là ?" On est citoyens français. C'était notre manière d'aider, de faire quelque chose, c'était une évidence. On est là pour sauver des vies. Vu le nombre de blessés, on a agi, exactement comme le faisaient les pompiers.
Nous ne sommes pas rentrés au Bataclan. Ce n'était pas encore complètement sécurisé, et puis il y avait beaucoup de corps de personnes décédées. C'est un impact psychologique énorme et, là, ce n'est simplement pas notre métier.
"Quand le dernier autocar est parti, j'ai réalisé l'abomination que l'on venait de vivre"
Une fois les blessés pris en charge, nous avons aidé à évacuer les autres victimes par bus. Il y en avait des centaines. C'est quand le dernier autocar est parti que j'ai réalisé l'abomination que l'on venait de vivre. Les rues étaient silencieuses, l'ambiance très lourde. En échangeant quelques mots, nous nous sommes rendus compte que plus rien ne serait pareil. Qu'à partir de maintenant on pouvait tuer en pleine rue des inconnus, qui n'avaient jamais rien demandé à personne. Il n'y a pas de symbole, juste des jeunes qui étaient venus s'amuser. Sur le moment, on se forçait à rester concentrés, mais on s'est quand même fait très peur.
A cinq heures du matin, je rentre enfin chez moi. Je n'ai pas prévenu mes parents que j'étais sur le terrain, je ne voulais pas les inquiéter. Je préfère leur raconter le lendemain, une fois que tout est terminé et que le danger est écarté. Petit à petit, je prends conscience de l'ampleur du drame. Je sais que cette nuit-là restera marquée dans ma mémoire toute ma vie. Quand on n'y est pas, on ne peut pas comprendre à quel point c'était abominable.
"Très fiers" d'avoir pu sauver des vies
Pendant le week-end, collègues et amis nous félicitent d'avoir agi. Nous sommes très fiers d'avoir pu participer aux côtés des pompiers et sauver des vies. Leurs encouragements permettent de rester motivés, et montrent que ce que l'on fait a un véritable impact sur la vie des gens. Au fil des heures, la liste des victimes s'allonge, je suis soulagé de n'avoir perdu personne. Comme tout citoyen, nous avons peur, pour nous et pour les autres.
Le dimanche, nous nous sommes retrouvés pour faire le point. Je suis très fier de mes équipiers, de leur sang-froid. Certains sont très jeunes, et n'avaient pas beaucoup d'expérience de secouriste. C'est pour eux que l'épreuve est la plus dure. Il faut agir comme des professionnels et prendre une certaine distance. Nous voyons des choses difficiles, mais c'est ce qui nous forge.
"Maintenant, il faut penser à l'après"
Pour moi, c'est différent. En tant que gendarme autant que comme bénévole, j'ai dû faire face à des situations complexes. J'avais été déployé lors des attentats de Charlie Hebdo, j'avais pris en charge les proches, les témoins. Mais cette fois ces attentats sont arrivés dans tout Paris, ont fait des centaines de victimes et nous étions au cœur de tout ça. Jamais je n'avais vu une telle horreur. C'est la première fois que j'ai eu aussi peur.
Maintenant, nous allons en reparler, une cellule psychologique aide les bénévoles qui le demandent. Moi, je n'en ressens pas le besoin pour l'instant. Il s'agit maintenant de penser à l'après, de décortiquer nos actions et de continuer à s'améliorer. Car, étant donné le contexte actuel, nous savons tous une chose : l'horreur peut très bien se reproduire."
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