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Verdict du procès des attentats du 13-Novembre : des peines allant de deux ans de prison à la perpétuité incompressible pour Salah Abdeslam et les 19 autres accusés

Le procès historique s'est achevé mercredi soir. Si la cour d'assises spéciale de Paris a suivi les réquisitions à l'encontre de Salah Abdeslam et de Mohamed Abrini, elle s'est montrée plus clémente à l'égard de certains accusés.

Article rédigé par Catherine Fournier, Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7 min
Les accusés du procès des attentats du 13-Novembre, le jour du verdict, le 29 juin 2022, devant la cour d'assises spéciale à Paris. (ELISABETH DE POURQUERY / FRANCEINFO)

Un verdict rendu en une cinquantaine de minutes. Devant une salle comble, au terme de 148 jours d'audience, la cour d'assises spéciale de Paris a énoncé, dans la soirée du mercredi 29 juin, les peines retenues à l'encontre des 20 accusés du procès des attentats du 13-Novembre. Principal accusé et seul membre encore en vie des commandos, Salah Abdeslam a été condamné à la perpétuité incompressible, comme l'avait requis le Parquet national antiterroriste (Pnat). Cette sanction, rare, rend infime la possibilité d'obtenir un aménagement de peine et donc une libération.

>> GRAND FORMAT : le procès historique des attentats du 13-Novembre en 50 moments d'audience

Aux yeux de la justice, le Franco-Marocain de 32 ans se distingue des autres accusés par son rôle de coauteur "des meurtres et tentatives de meurtre" commis le 13 novembre 2015, notamment sur personnes dépositaires de l'autorité publique, ce qui explique pourquoi il écope de la peine la plus lourde du système pénal français.

"Une scène unique de crime"

"C'est ce qu'on aurait requis contre les auteurs [de la tuerie] du Bataclan mais ils ne sont pas là, alors c'est lui qui prend. Il est pourtant précisément devant vous car il s'est désisté", avait plaidé son avocate Olivia Ronen, vendredi. La cour a, au contraire, "estimé que les différentes cibles devaient être analysées comme une scène unique de crime". Et les magistrats qui la composent n'ont pas été sensibles à la thèse du renoncement développée par Salah Abdeslam et ses conseils au cours de l'audience.

"Le gilet explosif n'était pas fonctionnel, ce qui remet en question ses déclarations concernant son renoncement."

La cour d'assises spéciale de Paris

dans ses motivations, à propos de Salah Abdeslam

Salah Abdeslam, dont "l'intégration à la cellule belge était bien antérieure aux attentats", selon la cour, a par ailleurs été reconnu coupable d'association de malfaiteurs terroriste criminelle pour "le visionnage de vidéos de l'Etat islamique", dans le bar de son frère Brahim Abdeslam, kamikaze du Comptoir Voltaire. Outre son rôle dans la location des voitures et des chambres d'hôtel des commandos, la cour s'est dite "convaincue qu'il s'est chargé de l'ensemble des rapatriements des terroristes, à l'exception des deux Irakiens" kamikazes du Stade de France. Qu'il a pourtant convoyés jusqu'à Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) le soir des attentats.

"J'ai reconnu que je n'étais pas parfait, j'ai fait des erreurs c'est vrai mais je ne suis pas un assassin, je ne suis pas un tueur. Et si vous me condamnez pour assassinat, vous commettrez une injustice", avait-il déclaré, lundi, lors de ses derniers mots dans la salle d'audience. Pendant la lecture du délibéré, Salah Abdeslam a gardé les bras croisés, le regard dur. Il est resté impassible à l'énoncé du verdict et ses avocats n'ont pas souhaité réagir par la suite.

Mohamed Abrini "acquis aux thèses de l'Etat islamique"

La cour a également suivi le parquet en condamnant à la perpétuité, assortie d'une période de sûreté de vingt-deux ans, une autre figure du box, Mohamed Abrini, l'"homme au chapeau" des attaques de Bruxelles, qui était également "prévu" dans les commandos du 13-Novembre. Selon sa version, c'est Salah Abdeslam qui l'aurait remplacé à la dernière minute. Une ligne de défense à laquelle la cour n'a pas souscrit. Selon les magistrats, ce Belgo-Marocain de 36 ans, ami d'enfance du coordinateur des attentats Abdelhamid Abaaoud, "était acquis aux thèses de l'Etat islamique". "C'est lors de son séjour" dans la zone irako-syrienne "qu'il a été missionné pour ces attentats".

Il "ne peut prétendre avoir ignoré jusqu'au dernier moment les modalités des attentats et des cibles", a précisé le président Jean-Louis Périès. Son avocate, Marie Violleau, n'a pas manqué de réagir à l'issue du verdict : "On peut se poser la question de savoir s'il avait tenu une arme entre les mains et s'il avait tiré sur quelqu'un à bout portant, de combien aurait été la peine ?"

Du sursis pour "les petites mains"

Dans ses motivations "développées dans plus de 120 pages", et dont le président Jean-Louis Périès a lu une synthèse, la cour a répondu "oui" à l'ensemble des questions sur la culpabilité des accusés, à l'exception de Farid Kharkhach, pour lequel la qualification terroriste n'a pas été retenue.

"Rien ne permet d'établir que l'accusé [Farid Kharkhach] pouvait faire le lien entre la fourniture de faux papiers et le projet terroriste."

La cour d'assises spéciale de Paris

dans ses motivations

Il a été condamné à deux ans de prison, quand le parquet en avait requis six. Sa défense avait plaidé l'acquittement. En détention provisoire depuis cinq ans et demi, il va immédiatement sortir de prison.

La cour s'est également montrée plus clémente que le parquet à l'égard des trois accusés qui comparaissaient libres : Ali Oulkadi, Hamza Attou et Abdellah Chouaa, qualifiés de "petites mains" par les avocats généraux. Accusés d'avoir assisté Salah Abdeslam dans sa cavale, ils ont été condamnés à des peines d'emprisonnement assorties de sursis, sans mandat de dépôt, et ne retourneront donc pas en détention. Mohammed Amri, en revanche, restera en prison. Poursuivi pour être allé chercher Salah Abdeslam en voiture le soir du 13-Novembre, il est condamné à huit ans d'emprisonnement, avec une période de sûreté des deux tiers.

Du côté des logisticiens, le Suédois Osama Krayem, le Tunisien Sofien Ayari et le Belgo-Marocain Mohamed Bakkali ont été reconnus coupables de complicité et condamnés à trente ans de réclusion assortis d'une sûreté des deux tiers. L'accusation avait pourtant réclamé la perpétuité pour les deux premiers, un "binôme" qualifié de "taiseux" du procès, tant ils se sont peu exprimés au cours de l'audience. De son côté, Mohamed Bakkali, déjà condamné lors du procès de l'attentat raté du Thalys, est cette fois-ci reconnu coupable d'avoir "joué un rôle primordial dans la logistique des attentats" du 13-Novembre. La cour a notamment pointé son "intérêt ancien pour le jihad armé".

De lourdes peines pour les absents

Le duo Adel Haddadi et Muhammad Usman, qui devait faire partie des commandos du Stade de France, a été condamné à 18 ans de réclusion, contre 20 ans requis par le parquet, assortis d'une période de sûreté des deux tiers. Pour la cour, cet Algérien de 33 ans et ce Pakistanais de 28 ans, étaient déterminés "à poursuivre" leur route et à "rejoindre la cellule en Europe" s'ils n’avaient pas été interpellés en Autriche avant les attentats.

Enfin, la cour a lourdement condamné les accusés absents du procès. Ahmed Dahmani, soupçonné d'être un logisticien de la cellule jihadiste et incarcéré en Turquie, a écopé de 30 ans de réclusion criminelle avec une période de sûreté des deux tiers. Et les cinq hauts cadres du groupe Etat islamique, présumés morts en Syrie, dont le commanditaire des attentats Oussama Atar, ont été condamnés à la perpétuité incompressible.

"La perpétuité, c'est éteindre la lumière"

A l'issue du verdict, les accusés ont échangé dans le calme avec leurs avocats tandis que les parties civiles ont quitté la salle. Elles se sont retrouvées face aux nombreuses caméras qui attendaient leurs réactions. Beaucoup ont fait part de leur soulagement. "Il y a un verdict qui permet d'incarner une responsabilité", a affirmé à l'antenne de franceinfo Stéphane Sarrade, père d'Hugo, tué au Bataclan. "C'est un verdict que tout le monde va accepter et y trouvera ce qu'il est venu chercher", a confié une autre partie civile à la sortie de l'audience. A ses côtés, le père de Victor Munoz, tué sur la terrasse de La Belle Equipe, a concédé qu'il trouvait "la peine juste".

"La justice a fait son travail."

Le père de Victor Munoz, tué à La Belle Equipe le 13 novembre 2015

D'autres sont un peu plus partagés sur le décalage entre les qualifications retenues et les peines prononcées. "Salah Abdeslam a eu la plus grosse des peines alors que ce n'est pas le génie du mal", a souligné Franck, rescapé du Bataclan. "Je ne serai jamais satisfait avec la peine de perpétuité incompressible, pour personne", a regretté Georges Salines, père de Lola, tuée elle aussi dans la salle de concert. "La perpétuité, c'est éteindre la lumière, c'est éteindre l'espoir", a résumé l'avocate de Mohamed Abrini. Lui, comme les autres accusés, ont 10 jours pour interjeter appel.

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