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Procès du 13-Novembre : le journal de bord d'un ex-otage du Bataclan, semaine 19

David Fritz-Goeppinger fait partie de la douzaine de personnes prises en otage par les terroristes au Bataclan. Photographe, il tient son journal de bord pendant toute la durée du procès des attentats du 13-Novembre.

Article rédigé par franceinfo - David Fritz-Goeppinger
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Publié Mis à jour
Temps de lecture : 20min
Le Palais de justice de Paris. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

Depuis le 8 septembre 2021 le procès des attentats du 13-Novembre se tient à Paris. David Fritz Goeppinger, victime de ces attentats est aujourd’hui photographe et auteur. Il a accepté de partager via ce journal de bord son ressenti, en image et à l'écrit, durant les longs mois que durent ce procès fleuve, qui a débuté le mercredi 8 septembre 2021 devant la cour d'assises spéciale de Paris. Voici son récit de la dix-neuvième semaine.

>> Le journal de la dix-huitième semaine
>> Le journal de la dix-neuvième semaine


Le dialogue avec la justice

Mercredi 9 février. Il est tôt lorsque je me lève aujourd’hui. Le réveil sonne et mes yeux s’ouvrent machinalement. Impossible de retrouver le sommeil. J’écoute Arthur Dénouveaux sur franceInfo et décide d’aller courir juste après, la lumière naissante et l’air frais parisien me saisissent le visage.

Je suis encore bouleversé par l’audience d’hier. Le billet parti pour la rédaction de franceInfo et mes affaires rangées, je me suis attardé en salle des criées pour conclure l'audience et en profite pour bavarder avec Lola Breton (journaliste indépendante qui suit le procès pour Les Jours). Dans le box, Sofien Ayari continuait de répondre aux questions de maître Ilyacine Maallaoui : "Pourquoi avez-vous ce besoin de parler ?" L’accusé revient sur les cinq semaines de déposition des parties civiles et l’impact que cela a eu sur lui : "Certains étaient en colère, ça ne se discute pas !" Et de poursuivre : "Il y a des gens qui nous touchent plus pour des raisons qu'on ignore. Il y a une femme, qui ressemble à ma mère en plus (...) ça ne lui rendra pas sa fille, ça ne la rendra pas heureuse mais je me suis dit que je lui devais ça." Pour la première fois, je prends conscience qu’au fond, j’attendais quelque chose de l’audience et du procès : du dialogue, une forme de discussion. Hier, Sofien Ayari a entamé un ersatz conversation entre les parties, a entamé un dialogue avec la justice.

Je poursuis la série sur les journalistes présents à V13 en publiant aujourd’hui le portrait de Kevin Jackson, directeur d’études au Centre d’analyse du terrorisme, et auteur d’ouvrages sur le sujet. A ses côtés, Soren Seelow, journaliste au Monde. Tous deux ont publié aux côtés de Nicolas Otéro La Cellule, BD parue aux Arènes à l’été 2021 qui retrace le parcours du groupe d’hommes qui a organisé les attentats du 13-Novembre. Véritable must-have de l'avant-procès, la bande dessinée offre un véritable éclairage sur toute la procédure d’un million de pages. Soren fait partie des journalistes habitués dont je parlais hier, il suit l’audience pour Le Monde et propose des comptes rendus via leur site web.

Kevin Jackson, directeur d’études au Centre d’analyse du terrorisme. Soren Seelow, journaliste au "Monde". (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

La place Dauphine est baignée dans une lumière crue et froide, un peu de soleil fait du bien, surtout face à la perspective de cette journée d’audience. Les tables des terrasses emplies de clients contrastent avec les dernières semaines. Comme un appel des beaux jours, dans l’air flotte un semblant de légèreté. Comme prévu, le sanctuaire fourmille de personnes. L’espace de presse, hier désert, est aujourd’hui noir de caméras et journalistes. Dans la salle des pas perdus résonnent les voix d’avocats, parties civiles, gendarmes et journalistes. Toutes les discussions sont tournées vers l’interrogatoire de Salah Abdeslam. Après un café échangé avec Arthur et Olivier Laplaud (vice-président de Life for Paris), je me fraye un chemin dans la salle d’audience principale, que je n’ai pas vue aussi pleine depuis longtemps, pour discuter avec Gwendal et Bruno de l’audience d’hier. La sonnerie vrombit et je vais "en face", dans la salle des criées. Pratiquement toutes les chaises sont occupées et les regards tournés vers les écrans de retransmission.

À l’ouverture de l'audience, le président fait un point sur le planning du jour en mentionnant l’absence des trois témoins cités : la mère, la sœur et l’ex-petite amie de Salah Abdeslam. Il démarre ensuite en faisant une introduction et fait référence aux propos que l’accusé a tenus durant l’audience. Les journalistes dans la salle des criées sont dans les starting-blocks, les claviers silencieux, prêts à démarrer la prise de notes. L’accusé, habillé d’une chemise blanche, le visage barré d’un masque blanc lui répond : "J’avoue que je n’ai toujours pas décidé si je réponds aux questions ou pas. Je tenais à faire une déclaration libre. Je tenais à dire aujourd’hui que je n’ai tué personne, blessé personne. Même pas une égratignure. C’est important de vous dire ça car depuis le début j’ai été calomnié. 'Calomniez ! Calomniez !' disait Voltaire. Ensuite je constate que dans les affaires de terrorisme les peines prononcées pour les personnes qui ont été déjà jugées, sont extrêmement sévères à l’égard des personnes qui parfois n’ont pas tué. (...) Je comprends que la justice veut faire des exemples de moi, d’autres personnes. C’est un message que vous envoyez. À l’avenir, quand il y aura un individu qui sera dans le métro, un bus avec une valise de 50 kilos d’explosifs qui se dira : 'Non je ne veux pas faire ça, je ne veux pas tuer des gens', on ne lui pardonnera pas (...) C’est ça, le message que je voulais vous passer, monsieur le président."

Pendant des années, Salah Abdeslam n’est pas revenu sur les faits et n'est pratiquement jamais entré dans les détails de la soirée du 13-Novembre, cette déclaration semble, enfin, dissiper le doute sur une possible renonciation de sa part à commettre l’attentat pour lequel il était missionné. Cette déclaration résonne fort et semble s’inscrire dans le mouvement entamé hier par Sofien Ayari. Au fil de l’après-midi, je comprends qu’il se fait le porte-parole de l’EI en 2015 et tente de justifier les attentats en répétant les mêmes arguments : "frappes de la coalition", "intervention de la France", "François Hollande"... Sorte de redite du champ lexical que j’ai entendu de la bouche des terroristes au Bataclan. Il poursuit, au sujet des attentats et des victimes : "Quand ils ont touché des civils, c’était pour marquer les esprits. Je vous explique le point de vue de l’EI parce que moi, je n’ai tué personne et je n’en ai pas l’intention." Le président d’ajouter : "C’est œil pour œil, dent pour dent ?" Réponse de l’accusé : "Œil pour œil, dent pour dent." Cette phrase renvoie directement à la loi du talion. Précepte souvent emprunté par les jihadistes ces trente dernières années pour justifier divers attentats. Au sujet du 13-Novembre, il utilise, sauf erreur de ma part, pour la première fois depuis le début du procès le terme "d’opérations militaires" de l’EI sur le sol français. Ce qui me renvoie directement au second qualificatif des victimes du terrorisme : victimes civiles de guerre. En réaction à sa déclaration le président, curieux : "Une opération militaire, c’est contre des militaires non ?" Réponse : "Non, pas forcément." Par la suite le président l’interroge sur son allégeance à l’EI : "J’ai prêté allégeance 48 heures avant les faits." Il continue en parlant des attentats du 13-Novembre comme d’un "grand projet" préparé par certaines personnes qu’il "ne connaît pas". Il précise le modus operandi de l’EI pour transmettre les informations aux membres de la cellule : "Quand ils donnent des informations, ils font en sorte de ne pas tout donner parce que s'il y en a un qui se fait arrêter, s’il craque, il n'a rien à dire, vous voyez ?"

Il est 15h33. Sur cette première partie d’audience, j’ai le sentiment qu’en creux, il annonce qu’il a renoncé à commettre l’attentat qui lui était destiné. Qu’il estime qu’il est jugé (sûrement trop sévèrement) pour des faits qu’il n’a, selon lui, pas commis. Le moins que l’on puisse dire c’est que le "discours type" semble profondément ancré en lui et qu’il est conquis par la véracité de ses croyances, prêt à tout pour justifier l’injustifiable. Si je suis assez soulagé de l’entendre répondre aux questions, je crains qu’attendre de sa part un retour en arrière soit inutile. Je m’accroche cependant au fait qu’il accepte de dialoguer avec la cour, lui aussi, ce qui semblait tout à fait impossible il y a un an.

Après les questions et pour scinder la journée en deux, la cour entame la lecture des procès-verbaux des proches qui ne sont pas venus témoigner aujourd’hui, j’en profite pour m’extraire de la salle des criées. La fumée des cigarettes des spectateurs de l’audience flotte au-dessus de l’entrée principale de l’historique Palais de Justice de Paris. Sur les marches, l’interrogatoire qui vient d’avoir lieu est sur toutes les lèvres.

À la reprise de l’audience, c’est au tour du parquet, à travers les questions d’un des trois avocats généraux, Nicolas Le Bris, d'interroger l’accusé. J’avoue que malgré les expressos avalés aujourd’hui, je n’ai plus d’energie pour suivre l’audience. Dans la salle des criées, l’échange entre les deux hommes est souvent suivi des clapotis des claviers de journalistes, comme les bruissements des feuilles d’arbres. C’est maître Josserand-Schmidt, avocate de parties civiles qui ouvre les questions des "PC". Elle interroge Salah Abdeslam sur sa motivation à basculer dans la radicalisation violente. "Comment on bascule, à 22, 23, 24 ans ? Comment vous passez, monsieur Abdeslam, à 25 ans, d'une pratique modérée de l'islam à un combat jihadiste ?" Il répond de façon prolixe et s’étale sur le fait que la "peur" de son "Créateur" l’a poussé à "prendre les armes". L’avocate poursuit en lui posant des questions sur ses connaissances sur l’État Islamique.

Je termine l'écriture de ce long billet tandis qu'autour de moi, le bruit des journalistes résonne dans la salle des criées. Salah Abdeslam répond toujours aux questions des avocats de parties civiles. Cela fait plusieurs jours que je n’avais pas vécu une journée d’audience aussi éprouvante. Éprouvante à travers les mots entendus et la durée de celle-ci. Je mentirais si je disais que le procès était toujours un moment désagréable, il y a certains jours où participer à tout cela peut s’avérer stimulant grâce à la tenue de ce journal mais aussi grâce aux rencontres que je peux y faire. À l’écran, Salah Abdeslam a terminé de répondre aux questions des parties civiles, le président annonce que l’audience de demain n’aura pas lieu. L’absence des témoins et la vitesse de la tenue des débats y a contribué.

J’arrête l’écriture du billet pour aujourd’hui.


“Ce virus semble vouloir s’attacher à nous !”

Mardi 15 février. J’étais absent de l’île de la Cité lors de l’audience de vendredi. J'admets que la journée de mercredi m’a poussé à m’éloigner du Palais, au moins pour mon week-end d’anniversaire. Dimanche, nous avons appris qu’un nouvel accusé avait contracté le Covid et que la tenue du procès était compromise cette semaine.

Je suis installé dans la salle d’audience principale. Autour de moi règne une douce cohue, les avocats discutent entre eux et tout le monde se balade dans la salle. Malgré la brièveté annoncée de cette séance, de nombreuses personnes ont décidé de faire le déplacement. Le box lui, est vide, comme lors la dernière fois, mi-janvier. En lieu et place de la déposition d’un enquêteur belge, la cour est simplement censée annoncer le renvoi de l’audience à mardi prochain, le 22 février. Cette nouvelle pause repousse encore la fin du procès. Je commence à me demander si le président, pour rattraper le temps perdu, décidera d’ouvrir les lundis.

La sonnerie retentit. Le président prend la parole : “Je ne m’attendais pas à voir autant de monde (...) pour une audience qui n’en est pas une !” Il poursuit en annonçant qu’un autre accusé est également positif. Masque vissé sur le visage et feuilles en main, il continue et fait référence au planning et ses futures modifications. Pour l’instant, la date de fin est toujours fixée au mois de juin. Après quelques remarques d’avocats, il conclut : “Voilà où on en est. L’audience, qui n’a pas eu lieu, s'arrête là.”

À mardi prochain.

Au Palais de justice de Paris, lors du procès des attentats du 13-Novembre. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)


L'horizon

Mardi 22 février. J’étais persuadé de retrouver le Palais et une partie de mes nouvelles habitudes aujourd’hui mais nous avons appris hier que deux (nouveaux) accusés avaient le Covid-19, ce qui renvoie le procès d’une semaine. Au total, quatre semaines de retard sont déjà gravées dans le marbre du procès des attentats du 13-Novembre. Quatre semaines de silence, quatre semaines à retenir notre respiration. C’est difficile. Ces retards à répétition commencent réellement à peser sur mon esprit et ma détermination à suivre l’audience.
 
Que le procès soit en pause ou non, la vie du Palais continue son cours : des touristes viennent l’explorer, d’autres visitent la Sainte-Chapelle. Dans les belles salles d’audience boisées, d’autres cours siègent, d’autres avocats plaident. Le soir, je croise en partant des badauds en plein selfie sur le Pont Saint-Michel, la cathédrale Notre-Dame de Paris en arrière-plan. Les terrasses bondées sur mon chemin me rappellent qu’au-dehors, personne ne baigne dans un procès d’assises. Avec le recul, on se rend compte qu’une seule partie du Palais de Justice est figée dans l’espace et le temps : le sanctuaire.
 
L’une des autres audiences au cœur du Palais ces dernières semaines fait écho à V13 : le procès de l’attentat de Saint-Étienne-du-Rouvray, le 26 juillet 2016. Je m’en souviens bien, d’autant qu’il est survenu quelques jours après l’attentat sur la Promenade des Anglais, à Nice, le 14 du même mois. Si l’audience de "Saint-Étienne" est plus discrète que celle du 13-Novembre et qu’elle se niche entre les murs en bois clair du dispositif V13, la souffrance exprimée à la barre résonne avec celle entendue il y a quelques mois à une dizaine de mètres de là. La douleur, l’affliction, le sang, le sens de la vie. Être victime, finalement. C’est avec tristesse que je constate que la justice d’aujourd’hui se superpose, au même titre que les événements tragiques d’hier. Je pense aux parties civiles de ce procès et des suivants, quand en aura-t-on fini ? Après les procès d’attentats, que restera-t-il de la mémoire des victimes décédées ? Que restera-t-il de notre vie d’antan ? Le délibéré rendu, nos existences pliées à la contrainte de l’audience réussiront-elles à s’adapter à cette nouvelle forme, ou, devrons-nous, à nouveau, en créer une nouvelle ? Je parle souvent d’Arthur sur le journal parce que c’est un grand ami mais aussi, et surtout, parce que je partage avec lui beaucoup d’idées, sur la condition de victime, sur le terrorisme en général et sur ce qui se passe à l’audience. La semaine dernière il publie, aux côtés de Maître Delas, une tribune dans les colonnes du Monde : "Au nord de la Syrie, loin du procès des attentats du 13-Novembre, se joue une partie de notre avenir." L’article fait référence à la situation désastreuse des enfants de jihadistes  et veuves de jihadistes encore présents dans des camps (sortes de prisons improvisés) sur zone. Jusqu’ici, mon avis sur le sujet était parcellaire, mais, comment ne pas adhérer à la lecture et face au danger que représente l’abandon de ces personnes. Notre condition de victime nous oblige à regarder dans la direction qui nous inquiète le plus : le surgissement de nouveaux attentats en France et ailleurs.
 
Voilà quels sont les thèmes qui trottent dans mon esprit à l’aube de cette nouvelle semaine de pause. Il bruine lorsque je me rends au Palais aujourd’hui, le ciel gris me renvoie à mon humeur, c’est drôle comme la fin de l’hiver ressemble à l’automne. Les contrôles passés, je retrouve quelques habitués de la Salle des pas Perdus et réponds aux questions de deux journalistes. Lorsque la cour entre dans la salle, le brouhaha autour de moi s’éteint. Le président, visage frais et lunettes posées sur son masque FFP2 revient sur l’état de santé des deux nouveaux accusés contaminés et sur la situation sanitaire en milieu pénitentiaire. Sur le planning, il regarde l’assemblée et annonce que des lundis seraient intégrés et dit, avec appréhension, en direction de la salle : "On devrait terminer au plus tard fin juin, enfin j’espère." J’espère aussi. Au loin, l’horizon s’éloigne, quatre semaines.
 
À mardi prochain.

Le 36 Quai des Orfèvres photographié depuis la Seine, de nuit. (DAVID FRITZ-GOEPPINGER POUR FRANCEINFO)

David Fritz-Goeppinger. (FAO WARDSON)

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