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Rennes : "On essaie de nous faire passer pour des ordures", dénoncent les squatteurs

Francetv info a rencontré les occupants de la maison de Maryvonne, une retraitée rennaise de 83 ans qui cherche à récupérer son logement. Ils racontent leur version de l'affaire.

Article rédigé par Thomas Baïetto - Envoyé spécial à Rennes (Ille-et-Vilaine),
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 8 min
Les squatteurs du 94 rue de Châtillon, à Rennes (Ille-et-Vilaine), ont affiché un message aux fenêtres de la maison, le 8 mai 2015. (KÉVIN NIGLAUT / CITIZENSIDE.COM / AFP)

On les a peu entendus. Depuis le début de l'affaire Maryvonne, cette octogénaire qui veut récupérer sa maison de Rennes (Ille-et-Vilaine) occupée depuis dix-huit mois, les squatteurs du 94 rue de Châtillon ne se sont exprimés qu'à deux reprises, le visage masqué dans une vidéo postée sur YouTube et dans un communiqué de presse. Les rencontrer n'est pas chose aisée. Devant la vieille bâtisse de pierre, la sonnette ne marche pas et personne ne répond lorsque l'on frappe sur la tôle qui compose, avec un matelas et une plaque de bois, la porte de fortune. Le numéro de téléphone affiché sur l'enseigne de l'ancien salon de coiffure, au rez-de-chaussée, n'est plus attribué. 

Au sol, les débris de verre de la porte d'origine, détruite par des militants venus, début mai, soutenir Maryvonne Thamin, témoignent de la tension qui entoure cette affaire. Sans doute échaudés par cette attaque, les habitants de la maison restent à l'abri des barbelés et des tessons de verre qui hérissent la porte de la cour depuis plusieurs mois. Au premier et au deuxième étage, les volets roses sont fermés. Un cercle barré d'une flèche en forme de Z, le symbole des squatteurs, est tagué sur le volet le plus haut. "Ils n'ouvrent plus trop depuis la manifestation", témoigne une voisine. "On ne les voit pas beaucoup", confirme Catherine, 65 ans, qui leur fait parfois "coucou" par la fenêtre.

"On monte un buzz contre des pauvres qui s'organisent"

Après de longues heures d'attente et quelques coups de fil, mercredi 13 mai, nous recevons un SMS signé par "les habitants du 94 rue de Châtillon". Sur leurs gardes, ils préfèrent donner rendez-vous devant Sainte-Thérèse, l'église qui donne son nom à ce quartier aisé au sud de la gare. L'interview se déroule dans un bar, à deux pas du squat dans lequel ils ne souhaitent laisser entrer personne jusqu'au procès, fin mai. Ils sont quatre : Pierre, 22 ans, étudiant en informatique à l'université de Rennes, Maud, 23 ans, qui vit de petits boulots, Benji, un grand barbu de 24 ans, intérimaire, et Damien, 22 ans, qui fait "un peu d'artisanat".

"Ils attendent de nous qu’on soit à la marge, alors qu’on n'est pas hors de la société", expose calmement Maud, qui refuse toute étiquette alors que la presse locale n'hésite pas à parler de "marginaux". S'ils se sont décidés à parler, c'est parce qu'"on a essayé de [les] faire passer pour des ordures, de monter un buzz contre des pauvres qui s’organisent", explique la jeune femme. "Parmi nous, personne ne touche le RSA, nous sommes trop jeunes", tient à préciser Benji.

"C'était une épave"

Ils font partie de la quinzaine de squatteurs installés rue de Châtillon depuis septembre 2013. "Nous étions tous dans des situations précaires et compliquées à l'époque, niveau logement et niveau argent, explique posément Pierre. Du coup, on s'est dit qu'il fallait s'organiser pour sortir collectivement de la merde." "Nous avions repéré que cette maison était abandonnée depuis longtemps. Cela se voyait de l'extérieur qu'elle n'était pas entretenue", embraye Benji, avant d'ajouter que "Maryvonne n'a jamais été délogée de cette maison".

Une photo prise par Google Street View en mai 2008 montre une maison aux volets clos et à la porte de garage taguée. Sur un autre cliché, pris en 2010, on voit des tags sur les fenêtres du rez-de-chaussée. "Cela fait sept ou huit ans que la maison est vide", confirme une voisine. "Sur les pots d'épices, dans la cuisine, tous les prix étaient en francs", se souvient Damien. A l'intérieur, les squatteurs assurent avoir trouvé une maison "dans un état déplorable". "C’était une épave. Je ne connais pas beaucoup de gens qui auraient aimé y habiter", ironise Benji, avant de décrire "les murs moisis", "les compteurs arrachés" et la "peau de renard" trouvée dans un coin. "Dans le jardin, on ne voyait plus le sol, le lierre avait tout bouffé. Sur la terrasse, on en a roulé 20 cm, comme de la moquette", renchérit Pierre.

"Il est inexact de dire que la maison était à l'abandon"

Ils expliquent avoir fait toute une série de "bricolages" pour rendre la maison habitable. "On a réinstallé un chauffe-eau, remplacé une partie de la tuyauterie, décapé les murs moisis, récuré le toit", énumère Pierre. "Ce n'est pas un loft parisien, mais la maison est vivable maintenant", résume Maud, en se roulant une cigarette. "Les gens voudraient qu’on soit des clochards isolés. Le squat nous permet de sortir de ça, de nous organiser, de bosser ensemble et de faire quelques travaux", défend avec conviction Benji, qui aimerait que leur action soit perçue comme "un message d'espoir pour les jeunes qui galèrent".

Un état des lieux et des travaux contestés par l'avocat de Maryvonne Thamin, qui indique qu'un processus de vente était engagé. "Il est inexact de dire que la maison était à l'abandon, qu’il n’y avait plus rien et que tout allait à vau-l’eau. Ils n'ont aucun constat, aucune photographie de l'époque pour le prouver", s'insurge Philippe Billaud, contacté par francetv info. Au téléphone, il relève que les occupants n'ont pas laissé entrer d'huissier, d'avocat ou de journaliste pour constater l'état de la maison. Il assure à l'inverse que les squatteurs ont cassé des cloisons et abattu un arbre. "Il n'y avait pas de cloisons à détruire et l'arbre, bouffé par le lierre, menaçait de tomber sur la terrasse", répliquent ces derniers, agacés.

Carabine et "cagoules de jihadistes"

Dès le début de l'occupation, Maryvonne Thamin, qui vit à 30 km de là avec son compagnon, est avertie, par la mairie et par les squatteurs eux-mêmes. "On a fait ça dans un souci d'apaisement, pour lui dire qu'on n'allait pas bousiller les affaires qu'il restait. On lui a même proposé de les rendre", se souvient Pierre. Le coup de fil tourne mal, mais les occupants du 94 rue de Châtillon n'entendent plus parler de Maryvonne pendant un an. Sa plainte, déposée à la gendarmerie, se perd. "Elle n’a pas pensé qu’il était utile de s’entourer d’un avocat ou d’un huissier, c’est là que s’est instaurée une période de non-droit et d’incompréhension", raconte Philippe Billaud.

En octobre 2014, le fils de Maryvonne se présente devant le 94 rue de Châtillon. "Il a attaqué directement, en frappant violemment à la porte. A aucun moment il n'y a eu de discussion calme", regrette Pierre. "Il a menacé de nous tirer dessus à la carabine, de venir avec des gros bras, avant de nous insulter", affirme Benji. "Est-ce que eux, ils n’insultent pas la population rennaise ? Arrêtons, on ne va pas mettre en doute la parole de Maryvonne avec celle de voyous qui ne travaillent pas et coûtent très cher à la société", répond vivement Philippe Billaud, très remonté contre "ces gens qui ont des cagoules comme des jihadistes".

L'extrême droite s'empare de l'affaire

A Maryvonne et à son fils, les squatteurs répondent qu'il faut saisir la justice pour les expulser. "Mes clients sont fondés à se maintenir tout en sachant que leur occupation est illicite", rappelle à francetv info leur avocate, Stéphanie Peltier. Si l'occupation n'est pas constatée en flagrant délit, le propriétaire doit en effet saisir le tribunal pour demander l'expulsion. Dans la pratique, le délai pour constater un flagrant délit est de 48h, une habitude policière attribuée à tort à la loi Dalo de 2007 comme l'explique Libération.

Cette procédure a été engagée le 7 mai par Philippe Billaud, qui a également porté plainte au pénal pour "violation de domicile" et "dégradations". "Nous n'avions pas pu obtenir l'identité des occupants jusqu'au 6 mai", justifie l'avocat, saisi du dossier fin avril.

Entre-temps, l'affaire a pris une nouvelle ampleur. Le 30 avril, Ouest France s'empare de l'histoire. Le lendemain, une quarantaine de personnes manifestent devant la maison. "Il n'y avait pas de riverains et presque aucun Rennais, c'étaient des militants d'extrême droite venus d'un peu partout en Bretagne", s'emporte Benji, avant de s'étonner de la rapidité de leur mobilisation. 

Les occupants dénoncent une "récupération politique" par l'extrême droite et les partisans d'une remise en cause de la loi Dalo, qu'ils accusent d'être responsable de cette situation. La manifestation du 1er mai a en effet été revendiquée par le mouvement d'extrême droite Adsav. Lors d'un deuxième rassemblement, deux jours plus tard, on aperçoit une militante des Bonnets rouges venue de Guingamp (Côtes-d'Armor) dans Ouest-France, aux côtés de camarades du Pays de Rennes, visibles dans une autre vidéo.

"Des torts des deux côtés"

De fait, les voisins rencontrés par francetv info ne reprochent rien aux squatteurs. "Il faudrait que Maryvonne récupère son bien si elle ne sait pas où aller, mais ils ne nous embêtent pas", explique notre voisine anonyme. "Cela me révolte quand je vois des maisons inhabitées alors que des gens sont à la rue. Je comprends que des jeunes dans le besoin fassent ça", argumente Catherine, pour qui il y a "des torts des deux côtés""La maison était très sale (...). Ils sont respectueux, ils nous préviennent dès qu'ils font un peu de bruit", ajoute le voisin d'en face, interrogé dans la vidéo YouTube. Pour l'avocat de Maryvonne, ce soutien s'explique : les voisins se trouveraient "sous la menace de ces squatteurs".

En attendant l'examen du référé d'expulsion, les deux camps sont à couteaux tirés. Les occupants du 94 rue de Châtillon relèvent, sur la base d'un document versé au dossier, que Maryvonne n'est pas propriétaire, mais usufruitière de la maison, et qu'elle a besoin du soutien des propriétaires – les enfants de son défunt mari, qui ne se sont pas manifestés – pour les expulser. L'avocat de Maryvonne dément, assure que la nue-propriété des enfants ne porte que sur "des cacahuètes". Il refuse cependant de détailler les droits des uns et des autres sur la maison. 

Le tribunal d'instance de Rennes, saisi en référé par l'avocat de l'octogénaire, tranchera le 22 mai.

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