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Info franceinfo "J'ai cru que j'allais mourir" : trois policiers mis en examen pour violences sur un jeune de 19 ans près d'Argenteuil

Les faits remontent au 29 janvier dernier à Cormeilles-en-Parisis, près d'Argenteuil (Val-d'Oise). À l'origine de ces violences : une photo de policier déguisé en strip-teaseuse, retrouvée dans le téléphone du jeune homme.

Article rédigé par franceinfo - Margaux Stive
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
La rue du Clos Garnier, à Cormeilles-en-Parisis (Val d'Oise).
 (GOOGLE STREET VIEW)

Ce 29 janvier, vers 15 heures, Jonathan*,19 ans, traîne avec des amis dans le hall d'un immeuble de la rue du Clos Garnier, à Cormeilles-en-Parisis (Val-d'Oise). Une équipe de cinq policiers se dirige vers eux pour les contrôler. Jonathan tente de prendre la fuite mais les forces de l'ordre le rattrapent et découvrent dans son téléphone une photo d'un policier de la BAC, la brigade anti-criminalité d'Argenteuil, qui circulait à l'époque sur les réseaux sociaux. On y voit le fonctionnaire de police habillé en short en cuir, bas résille, et maquillé.

"Tout est parti de cette photo", analyse aujourd'hui le jeune homme. À partir de là, il va subir un déchaînement de violence de la part de trois policiers du groupe. "J'ai déjà pris des claques par des policiers mais là c'était autre chose, témoigne Jonathan. C'était des coups de taser, des coups de poings, pendant 40 minutes j'ai vraiment cru que j'allais mourir. Je leur ai dit d'arrêter mais ils nr se sont pas arrêtés (...) Je tremblais et je tombais."

"C'était trois policiers, un qui me mettait des coups de taser, et deux qui venaient de temps en temps pour me mettre des coups de coude ou des coups de pieds dans les jambes."

Jonathan

à franceinfo

"J'ai vu de la colère et de la haine dans les yeux des policiers, raconte le jeune homme. Ils ont aussi traité ma mère de chienne, ils ont dit qu'ils allaient attraper ma copine et qu'ils voulaient la violer. Ils m'ont dit aussi qu'en arrivant au commissariat, je pouvais me faire violer aussi", poursuit Jonathan. Le jeune homme affirme aussi que l'un des policiers a versé sur ses blessures du gel hydroalcoolique et du doliprane en poudre en lui disant "que ça allait [le] soigner."

"C'est notre parole contre la vôtre"

Après "40 minutes de violences", Jonathan parvient à repartir en boitant, porté par deux de ses amis. Les caméras de vidéo-surveillance, présentes uniquement à l'extérieur du bâtiment, en témoignent. Le jeune homme prévient alors sa mère, qui le voit arriver "la bouche en sang à la maison". Elle l'amène au commissariat et croise alors les policiers en question : "Ils nous ont pris à partie, raconte Nathalie, ils nous ont dit : 'Qu'est ce que vous venez faire là', ils étaient arrogants. Ils nous ont dit : 'De toute façon c'est notre parole contre la votre'."

La mère de Jonathan décide également de faire ausculter son fils par le médecin de famille. Il indique que le jeune homme souffre d'un hématome à l'oreille, d'une ecchymose à l'oeil droit, d'hématomes sur les joues et sur la jambe. Le médecin de l'unité médico-judiciaire qui avait examiné le jeune homme pendant la garde à vue avait pourtant mentionné zéro jour d'ITT (incapacité temporaire de travail), évoquant seulement "des lésions superficielles sans retentissement fonctionnel".
Nathalie et son fils réussissent finalement, après plusieurs heures d'attente, à déposer plainte. Une enquête est ouverte, mais les fonctionnaires nient en bloc.

27 coups de taser en 10 minutes

Deux éléments vont cependant mettre à mal la version des policiers. Il y a d'abord l'analyse du taser utilisé par le chef de la brigade. Selon l'expertise, que franceinfo a pu consulter, l'arme a été mise en marche 27 fois en dix minutes au moment du contrôle, dont une fois pendant plus de 5 secondes "ce qui correspond à un cycle complet de neutralisation dévolu à une efficacité maximale du pistolet", indique l'expert même si "aucun élément ne permet d'affirmer que le déclenchement [était] associé à une neutralisation par contact" à ce moment-là.

Le témoignage de l'un des policiers de la brigade va également faire basculer l'enquête. Lors de son audition, ce gardien de la paix va craquer et confirmer les violences commises par ses collègues. "Oui, des coups ont été portés par l'un de mes collègues", indique d'abord l'agent. Il confirme aussi avoir "entendu plusieurs déclenchements" du taser. Pressé par les enquêteurs, le gardien de la paix finit par lâcher : "Je ne suis pas responsable des actes de mes collègues, même si je me suis déjà rendu compte que dans notre groupe parfois, les contrôles n'étaient pas faits comme ils devraient l'être. L'un de nous aurait dû dire stop, notamment sur ce contrôle."

"J'aurais dû intervenir mais vous devez comprendre, c'est compliqué de dire 'stop' pour la suite de ma carrière, et surtout pour mes relations avec mes collègues de brigade."

Un policier de la brigade

en audition

Confrontés à ces éléments, les collègues de ce policier affirment quant à eux que Jonathan était véhément lors du contrôle, et qu'il avait en sa possession ce jour-là du cannabis et une gazeuse lacrymogène, ce que dément le jeune homme. Les agents nient en revanche tout usage disproportionné de la violence. Trois d'entre eux ont été mis en examen pour violences volontaires par personnes dépositaire de l'autorité publique en juin dernier et placés sous contrôle judiciaire. Celui qui a utilisé le taser, le chef de la brigade, a également été suspendu de ses fonctions.

Une mise en examen rare dans ce genre d'affaire, et qui n'aurait jamais pu avoir lieu sans le témoignage du policier, et l'analyse du taser, estime l'avocat de Jonathan, Ian Knafou. Selon lui, "la parole de mon client n'aurait jamais suffi à la mise en examen [des trois policiers], car la parole de victimes de violences policières n'a aujourd'hui en France aucun poids si elle n'est pas corroborée par d'autres éléments, et c'est la chance que l'on a dans ce dossier."

Jonathan, lui, est encore, six mois après, traumatisé par cette scène. "Je n'arrive pas à dormir, j'y pense souvent, des fois pendant la nuit je pense à des coups de taser, confie-t-il. J'ai aussi du mal à manger, à dormir, à être dehors, à revenir sur Cormeilles-en-Parisis voir ma mère. Je le vis mal. Je me dis que des gens qui sont censés nous défendre peuvent nous enlever la vie et on ne peut rien faire parce que c'est la police."

*Le prénom a été modifié.

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