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La police marseillaise inaugure sa salle d'interrogatoire dédiée aux "très petites victimes", de 3 à 7 ans

La police judiciaire marseillaise, pourtant deuxième pôle de France avec 15 000 affaires traitées chaque année, ne disposait toujours pas de cet équipement, faute de budget.

Article rédigé par Olivier Martocq, franceinfo
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 4 min
"Salle Mélanie" au sein de la police judicaire de Marseille le 16 octobre 2019. (VALERIE VREL / MAXPPP)

A l'Évêché, le saint des saints de la police marseillaise, il faut monter trois étages et suivre de longs couloirs pour arriver dans cette salle d'interrogatoire si particulière qui rappelle une salle de maternelle. Baptisée "salle Mélanie", du nom de la première enfant dont la déposition a été filmée dans les années 1990, le dispositif vise à recueillir la parole des  "très petites victimes", des enfants de 3 à 7 ans. Dans cette pièce aux couleurs pastel, décorée de posters de dessins animés et de tapis de jeu au sol, tout est fait pour que l'enfant se sente en confiance.

15 000 dossiers traités chaque année

Cette "salle Mélanie" est la vingtième du pays. Marseille qui est pourtant deuxième pôle de France en terme d'affaires traitées n'en disposait pas jusqu'alors, faute de budget. Ici, les vingts policiers de la Brigade des mineurs traitent 15 000 dossiers par an. Anna, officier de police judiciaire, y exerce depuis dix ans et selon elle cette salle va considérablement aider à auditionner les enfants victimes. "Avant, quand on entendait un enfant derrière un bureau, on était toujours supérieur à lui, toujours au dessus, on regardait par le haut. Et c'est vrai que c'était important de se mettre à sa hauteur.

L'intérêt, c'est de le mettre en confiance parce que c'est seulement quand il aura confiance que l'enfant pourra révéler ses secrets.

Anna, officier de police judiciaire

à franceinfo

"Très souvent, dans les histoires sordides avec des enfants, quand ça se passe dans la famille, on a dit à l'enfant : 'Tu le dis pas parce que c'est notre secret'," explique Anna. "L’objectif est de libérer une parole contrainte par des interdits ou des liens affectifs. La méconnaissance aussi de ce qui est acceptable et ne l’est pas."

Des poupées sexuées dans la "salle Mélanie" au sein de la police judiciaire de Marseille. Le 16 octobre 2019. (VALERIE VREL / MAXPPP)

Ici pas de téléphone, pas d'ordinateur ni de prise de notes. Le travail judiciaire nécessaire à la procédure est effectué par un collègue de l'autre côté, derrière une glace sans tain qui occupe la moitié du mur. C’est ce second enquêteur qui oriente la caméra et filme tout l’entretien. Lui surtout qui, via une oreillette, donne des consignes et des conseils. Yves, depuis trente ans dans la police, reconnaît que ce nouvel outil mis à la disposition de la brigade va bouleverser les habitudes de travail : "L’expression corporelle de l’enfant est essentielle. De l’autre côté de la vitre, on peut l’interpréter." 

Des puzzles et des poupées en chiffon pour dire l'indicible 

A l'aide de puzzles représentant des personnages habillés, l'enquêteur va commencer par construire une sorte de portrait-robot de l’agresseur. Homme, femme, la couleur des cheveux des yeux, la forme du visage, la taille, les rondeurs : cette étape est nécessaire quand l’enfant ne nomme pas directement l’adulte, parfois l’adolescent et même un autre enfant très jeune qui l’a abusé ou martyrisé. Il y a aussi ces poupées en chiffon qui vont permettre à l’enfant d’expliquer l’indicible, de montrer les parties de son corps agressées. 

"Les jeux sont là pour mettre en confiance et en empathie l'enfant avec l'enquêteur [ mais] le travail reste le même", analyse Marc Rolland, le chef de la Brigade des mineurs. "Avec cette salle et les équipements du local technique adjacent, on lève tous les obstacles à la libération de la parole des enfants tout en restant dans un cadre légal très contraint afin de préserver les droits de la défense. On reste un service d'enquête qui est là pour libérer la parole de l'enfant et en arriver à une description de faits, terribles la plupart du temps."

90% des faits commis dans le milieu familial

L’une des difficultés pour que les témoignages des enfants puissent faire condamner les criminels qui les ont abusés réside dans le fait qu’ils doivent être constants et précis. Depuis 1998, pour les mineurs victimes d'abus sexuels, la loi oblige un enregistrement vidéo de leurs déclarations devant les policiers chargés de l’enquête. La vidéo de l'audition est versée au dossier d'un juge d'instruction et qui peut faire l'objet d'une diffusion lors du procès, qui a parfois lieu trois ou quatre ans seulement après.

Joanny Moulin président de Parole d’Enfants et par ailleurs avocat accompagne depuis vingt ans les petites victimes âgées de 3 à 7 ans. Il ne supportait plus les mauvaises conditions d’audition de l’hôtel de police de Marseille.

Les victimes subissaient un véritable parcours du combattant, avec parfois jusqu’à douze interrogatoires entre le premier, effectué par des policiers et un ultime témoignage devant une cour d'assises.

Joanny Moulin, président de Parole d'Enfants

franceinfo

"Il arrivait que les retranscriptions des vidéos, prévues par la loi pour servir de preuves, ne suffisent pas aux juges d’instruction et aux magistrats tant les conditions de tournage étaient limites", explique Joanny Moulin dont l'association a en partie financé cet équipement de la police avec un apport de 2300 euros.

Un tel outil était devenu indispensable pour la police marseillaise."L'enfant, quand il va être entendu, va dénoncer des faits dont il a été la victime et qui sont, dans 90% des cas, commis dans le milieu familial. Donc l'auteur est quelqu'un qu'il connaît, voire qu'il aime, un proche. Il faut donc qu'il soit totalement mis en confiance par les enquêteurs dans le but, justement, de les aider".

La police marseillaise inaugure sa "salle Mélanie". Un reportage d'Olivier Martocq.

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