Viols et agressions sexuelles sur mineurs : comment se déroule une enquête ?
Mise en examen, garde à vue, auditions des enfants... Voici comment les enquêteurs mènent leurs investigations dans ces affaires délicates.
Depuis la mise en examen du directeur d'une école de Villefontaine (Isère) pour viols et agressions sexuelles sur plusieurs élèves de son établissement, d'autres affaires émergent. La justice a annoncé, jeudi 9 avril, avoir recensé, en Savoie, 43 victimes dans l'enquête sur un instituteur soupçonné d'avoir violé plusieurs de ses élèves de maternelle et de CP et mis en examen en 2013. "Les parents ont vu ressurgir des souvenirs avec l'affaire de Villefontaine", a déclaré l'avocat de parents d'une victime.
Une fois que l'affaire a éclaté, que se passe-t-il ? Comment se déroule l'enquête ? Francetv info revient sur les étapes qui jalonnent le parcours judiciaire.
1Au départ, une plainte ou un signalement
Un mineur peut porter plainte lui-même, mais la plupart du temps, ses parents (représentants légaux) déposent une plainte en son nom. Ils le font après avoir recueilli les confidences de leur(s) enfant(s), surtout s'ils sont petits. Contactée par francetv info, l'avocate Marie Grimaud, qui représente l'association Innocence en danger, cite l'exemple d'une femme qui a porté plainte contre l'animateur du centre de loisirs de sa fille. "Il m'a touché la zézette plusieurs fois", avait déclaré avec spontanéité la fillette de 3 ans, lors d'une discussion avec sa mère.
A l'origine d'une enquête, il peut aussi y avoir une dénonciation de la part d'une infirmière, d'un directeur d'école, ou de toute autre personne extérieure. Lorsqu'une personne a connaissance de la situation d'un enfant en danger ou en risque de l'être, la loi lui impose d'en informer les professionnels (assistantes sociales, médecins...) : elle doit faire un signalement.
Ensuite, l'enquête est prise en charge par les policiers ou les gendarmes formés pour auditionner les enfants et les personnes soupçonnées d'infractions sexuelles. En gendarmerie, chaque unité possède au moins un membre formé. Il existe aussi des brigades spécialisées, réparties par départements : Brigade de protection des mineurs (BPM) pour la police, Brigade de prévention de la délinquance juvénile (BPDJ) pour la gendarmerie. A Paris, la BPM est rattachée à la police judiciaire. C'est la fameuse brigade dont le quotidien est raconté dans le film Polisse, prix du jury au Festival de Cannes en 2011.
2Auditionner des mineurs, un moment délicat
C'est aux enquêteurs de choisir le meilleur moment pour entendre un enfant. "Je préfère auditionner rapidement, dans un temps voisin de l'action. Ainsi, l'enfant qui s'est confié une première fois parle une seconde fois, et après on le laisse tranquille", confie un enquêteur à francetv info. Afin d'éviter les traumatismes liés à la multiplication d'auditions, l'enregistrement sonore ou audiovisuel d'un mineur est obligatoire. Mais cela requiert son consentement ou celui de son représentant légal.
Ces auditions sont menées dans le cadre d'une procédure appelée "Mélanie", du nom de la première petite fille à avoir été entendue dans ces conditions. Selon cette procédure, l'enfant est interrogé dans une salle décorée comme le serait une chambre d'enfant entre 4 et 14 ans. Il s'assoit sur une chaise et peut prendre des jouets. Un gendarme formé est à l'intérieur, un autre à l'extérieur. Un expert psychiatre peut être réquisitionné pour faciliter l'audition, qui dure 20 à 30 minutes.
"Quel est le prénom de ton papa ? De ta maman ? Où habites-tu ? En quelle classe es-tu ?" : ce sont les premières questions posées. "Il faut des questions courtes, claires et précises", souligne l'enquêteur. Il a appris à mettre un enfant en confiance pendant une formation de trois semaines. "S'il aime le foot, on peut lui en parler." Le dialogue peut ensuite s'engager : "Est-ce que tu sais pourquoi tu es là ?" "Oui, j'ai eu mal..."
"Un enfant définit le sexe avec ses mots. C'est très différent selon l'âge. Un enfant de 3 ans peut se confier, mais s'il n'a rien dit au bout de 10 à 15 minutes, c'est compliqué. Avec une adolescente, le contact est souvent difficile à établir", commente l'enquêteur. Parfois, il rend visite avant l'audition, pour devenir un visage familier. "Je me présente, comme ça, on peut me reconnaître."
3Garde à vue et poursuites à l'encontre du mis en cause
Avant d'entendre la personne soupçonnée de viols ou d'agressions sexuelles, les enquêteurs cherchent à obtenir le maximum d'informations sur elle. Il faut donc travailler sur son environnement. Par exemple, le conjoint du mis en cause sera interrogé, puis son employeur, pour savoir comment il se comporte au travail.
Si les faits se sont produits dans une classe ou en colonie, un maximum d'élèves est, en principe, interrogé, mais tout dépend de l'ampleur de l'affaire. "Il faut étoffer au maximum, pour avoir des éléments probants à présenter en garde à vue", explique l'enquêteur, qui cherche toujours à obtenir des aveux. "Dans ce type d'affaires, ils sont déterminants."
A l'issue de la garde à vue, c'est le parquet qui décide des poursuites, ou d'un classement sans suite. Dans le premier cas, la procédure est classique. Elle dépend de la gravité des faits. Les suites peuvent aller d'un jugement en comparution immédiate au tribunal correctionnel, à, en cas de viol, un procès devant une cour d'assises. Mais ce type de procédure est long et coûteux. Alors, pour aller plus vite et pour préserver les victimes, les faits sont souvent correctionnalisés, constate l'avocate Marie Grimaud. Le crime est converti en délit et est jugé devant un tribunal correctionnel, donc sans jurés.
4Une alternative si la plainte est classée sans suite
Parfois, la plainte est classée sans suite car l'infraction n'est pas suffisamment caractérisée. Les poursuites sont donc abandonnées, mais il reste une possibilité de relancer une enquête. Avec l'aide d'un avocat, on peut se constituer partie civile et saisir ainsi directement un juge d'instruction. Lui va mener une nouvelle enquête, à charge et à décharge, et décider ou pas d'une mise en examen.
C'est le cas pour 80% des clients de Marie Grimaud. "Innocence en danger se constitue partie civile quand l'affaire est médiatisée [notamment dans l'affaire de Villefontaine], explique-t-elle. Mais on le fait aussi lorsque les parents viennent nous voir. Quand la plainte est classée sans suite, les enfants continuent parfois à faire des cauchemars, à être traumatisés. Leurs parents veulent donc relancer l'enquête."
C'est ce qui s'est passé pour la mère qui a porté plainte contre l'animateur du centre de loisirs de sa fille. "La plainte avait été classée au bout de sept jours d'enquête et l'animateur muté dans un autre centre de loisirs. Mais la fillette pleurait beaucoup et refusait d'aller à l'école. Le juge d'instruction a ouvert une enquête et huit mois après, a mis en examen l'individu pour agression sexuelle, avec interdiction d'entrer en contact avec des enfants et obligation de soins. Il a finalement reconnu les faits", raconte Marie Grimaud. Il sera prochainement jugé devant un tribunal correctionnel. Il risque jusqu'à 10 ans de prison et 150 000 euros d'amende, car la victime a moins de 15 ans.
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