Comment l’extrême droite radicale se recompose en France
Les actions violentes menées par de militants liés à l’extrême droite radicale ne cessent d’augmenter depuis 2010. Le nombre croissant d’événements va de pair avec une radicalisation croissante de cette nébuleuse.
Paris : le lycée autogéré est attaqué le 16 mars par des militants d’extrême-droite. Lyon : un nouveau local appelé Bastion Social et géré par le Groupe Action Défense (GUD) ouvre en mars, confirmant l’installation de l’extrême droite radicale dans la vieille ville. Même histoire ou presque, à Marseille : des centaines de personnes ont ainsi défilé jusqu’au vieux port dénonçant l’ouverture de ces locaux. À Angers en début d’année, la polémique monte autour d’un bar « identitaire », l’Alvarium. Le 10 février le Courrier de l’Ouest titrait : Les identitaires d’extrême droite font leur nid en Anjou
Juste après les attentats de l’Aude, ce sont des panneaux de signalisation "jihadistes" aux portes de la ville rose qui font parler du groupe Génération Identitaire.
À Montpellier enfin, la faculté reste fermée jusqu’au 3 avril après une descente d’individus armés de bâtons cagoulés dans les amphis, venus écraser les étudiants manifestant et occupant les locaux. Beaucoup soupçonnent ces "gros bras" d’être proches de groupuscules d’extrême droite.
Hausse du nombre d'actions
Le constat est frappant : les actions violentes menées par de militants liés à l’extrême droite radicale ne cessent d’augmenter depuis 2010. Le nombre croissant d’événements va de pair avec une radicalisation croissante de cette nébuleuse.
Ce militantisme violent se place dans le cadre plus large d’un double processus : d’une part, une recomposition des groupuscules en présence ; de l’autre, l’augmentation d’activistes sans appartenance précise, après les différentes dissolutions prononcées.
Depuis le décès de Clément Meric en 2013, plusieurs groupuscules radicaux ont ainsi été dissous par l’État : la Troisième Voie pour une avant-garde solidariste et les Jeunesses nationalistes révolutionnaires de Serge Ayoub ; l’Œuvre française d’Yvan Benedetti, les Jeunesses nationalistes d’Alexandre Gabriac. Plus récemment, les membres d’un groupe de "boneheads" (skinheads d’extrême droite) picard, le White Wolf Klan, né de la dissolution de la Troisième Voie, ont été arrêtés et jugés.
Cartographie de l’extrême droite
De fait, nous assistons depuis cette époque à une recomposition de l’extrême droite radicale. Des groupuscules ont donc disparu, comme la mouvance skinhead d’extrême droite ou les Nationalistes autonomes, d’autres sont en perte de vitesse comme Les Identitaires (anciennement Bloc Identitaire), le GUD (Groupe Action Défense) ou l’Action française, une dernière catégorie a une audience limitée, comme la Ligue du Midi de la fratrie Roudier (le père Richard, les fils Olivier et Martial), à la violence assumée et à l’audience locale.
Le GUD et l’Action française tentent à la fois d’attirer de nouveaux militants et de s’implanter dans de nouvelles villes, outre Paris : Marseille pour l’Action française, Lyon pour le GUD. Pour se faire, ces groupes ont choisi la surenchère militante, avec un activisme violent qui leur permet de renouer le lien de leur tradition militante. Ces deux groupes tentent également de retrouver le « prestige » passé.
En effet, le GUD, fondé en 1968 par d’anciens membres d’Occident (Gérard Longuet, Jack Marchal, Alain Robert, etc.), était connu pour sa violence militante, la période des années 1980/1990 étant restée dans la mémoire des activistes d’extrême droite. Le GUD était alors animé par Frédéric Chatillon et Axel Loustau. Quant à l’Action française, elle cherche à retrouver son faste de l’entre deux-guerre.
En recul dès les années 1990
De fait, la violence politique de l’extrême droite a baissé durant les années 1990/2010. Elle fut importante durant l’après-guerre, surtout dans les années de la fin de la guerre d’Algérie. L’échec de la stratégie de l’OAS (Organisation armée secrète), dont le terrorisme en métropole était l’un des éléments, a provoqué une prise de conscience de l’extrême droite. La violence persista, mais ne fut que résiduelle et le fait de militants seuls, le Front national, fondé en 1972, canalisant cette violence.
Paradoxalement, la violence antisémite augmente durant cette période, étant le fait d’anciens militants des Groupes nationalistes révolutionnaires de base de François Duprat lui-même tué dans un attentat en 1978).
Les principaux acteurs de la violence d’extrême droite dans les années 1980 sont les skinheads qui apparaissent en France au début de cette décennie. Ceux-ci sont en grande majorité rétifs à toute organisation partisane mais qui ont le plus souvent des liens épisodiques avec le FN, du type brève adhésion ou actions de service d’ordre. Durant cette période, de nombreux actes de violence sont imputables à l’extrême droite.
Curieusement, les mobilisations violentes des militants royalistes et des commandos anti-avortement restent sous-étudiées.
C’est cependant la mouvance néonazie qui commet les actes les plus graves. Certains sont des actes de violence symbolique, comme la profanation d’une sépulture au cimetière juif de Carpentras (mai 1990) commise par des proches du Parti Nationaliste Français et Européen. D’autres sont des actes racistes imputables à cette mouvance.
Renouveau culturel
Au-delà de cet activisme violent, on assiste également à un renouvellement des pratiques culturelles. La culture "boneheads" a disparu au profit d’une contre-culture plus élaborée.
Philippe Vardon, ancien responsable identitaire, devenu aujourd’hui membre du Front national, en a théorisé les grandes lignes dans son livre Éléments pour une contre-culture identitaire (paru à Nice en 2011). Le constat de l’échec de l’activisme violent a poussé les identitaires Fabrice Robert et Philippe Vardon à évoluer vers un activisme qui relève des happenings inspirés de l’activisme de Greenpeace, comme la Marche des cochons à Lyon en 2011 ou l’occupation de la mosquée de Poitiers en 2012.
L’usage de la violence politique a été rejeté pour plusieurs motifs : la stérilité de cette voie, le manque d’effectifs, le contexte d’une société apaisée, etc. Il s’agissait aussi de donner une légitimité au combat identitaire présenté auprès de l’opinion publique, des médias et des chercheurs en science politique comme celui de la sauvegarde d’une civilisation en péril…
Leur faiblesse numérique a poussé les militants radicaux à investir Internet. Ainsi, le groupuscule d’Alain Soral Égalité & Réconciliation ne milite quasiment qu’à travers ce moyen. La page Facebook du mouvement et celle de son fondateur étaient très consultées, cumulant 280 000 abonnés, jusqu’à leur fermeture en 2017.
Inspiration italienne
Outre cette forme de militantisme, les activistes d’extrême droite s’inspirent également des pratiques italiennes, en particulier de l’expérience du squat culturel et social connu sous le nom de la CasaPound (la "maison Pound"), fondé à Rome en 2003 par des militants nationalistes-révolutionnaires.
Plusieurs groupuscules français tentent d’imiter ce centre et cherchent à ouvrir des centres similaires dans notre pays. C’est ainsi que le Bastion social a vu le jour, mais aussi, par le passé d’autres tentatives comme la Maison flamande à Lambersart, près de Lille, entre 2008 et 2012, la maison de l’identité à Toulouse en 2012, La Citadelle ouverte à Lille en 2016. Dans ce dernier cas, l’activisme est à la fois d’ordre culturel, avec l’ouverture de lieux, et violent avec l’essor d’actions violentes.
Peu nombreux, mais très déterminés
Si l’activisme des militants radicaux de l’extrême droite fait peur, il ne faut pas oublier que leur nombre reste restreint. On est face à quelques centaines de personnes très actives en France, guère plus. Du fait de cette faiblesse numérique, les moyens financiers sont également limités, le financement venant des cotisations des membres des groupuscules ou, très rarement, de mécènes.
Cependant, il ne faut pas oublier que ces militants sont motivés et, pour certains, prêts à passer à l’action. Pensons, par exemple, à ces militants marseillais dirigés par Logan Alexandre Nisin, qui cherchaient à tuer des personnalités politiques et à commettre un attentat contre une mosquée.
Le danger ne vient plus de tentatives fantasmées de coups d’État – les militants ne sont pas assez nombreux et n’en ont pas les capacités physiques et structurelles de le faire–, mais d’éléments seuls et déterminés, sur le modèle du groupuscule allemand, le Nationalsozialistischer Untergrund (pour « mouvement clandestin national-socialiste »), qui a commis neuf meurtres de Turcs et celui d’une femme policier en dix ans. Le danger viendra donc d’individus seuls et déterminés plus que de formations organisées : un individu discret étant par principe difficile à suivre, au contraire des groupuscules, plus faciles à surveiller par l’État.
Stéphane François, Politiste, historien des idées, chercheur associé, École pratique des hautes études (EPHE)
La version originale de cet article a été publiée sur The Conversation.
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