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Louis, rescapé du Bataclan : "Pour rien au monde je n'arrêterai d'aller aux concerts"

Une semaine après les attentats de Paris, nous avons retrouvé Louis. Il assistait au concert du Bataclan et a ému les auditeurs de France Info en témoignant sur l'antenne. Une semaine après, il revient sur cette soirée d'horreur. Et sur sa vie depuis.
Article rédigé par Mathilde Lemaire
Radio France
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 7min
  (Louis, rescapé du Bataclan, témoigne sur France Info © Radio France/Mathilde Lemaire)

Il s'appelle Louis. Il a 26 ans et, vendredi 13 novembre, il était au Bataclan. Dans l'édition spéciale de France Info vendredi soir, ce jeune homme témoigne quelques minutes à peine après avoir réussi à fuir l'enfer. Et c'est à ce moment précis que nous avons pris conscience de l'horreur à l'intérieur de la salle de spectacle où la prise d'otage est encore en cours. Un témoignage saisissant, au micro de Julien Moch, écouté plus de 3 millions de fois sur Internet et franceinfo.fr.

"J'ai décidé d'aller voir quelqu'un, je ne m'en sortirai pas tout seul"

Depuis, Louis est allé à Lyon. Lui, le Parisien, trouve que sa ville est devenue, ces derniers jours, un "marécage de souffrances " — ce sont ses mots. D'où son besoin de fuir à deux heures de TGV, chez des amis. Fuir, tout en restant connecté presque maladivement sur Facebook avec d'autres rescapés, avec ses proches, avec les proches de victimes. Le garçon a un look de rocker costaud : barbe fournie, gros tatouages. Mais il s'avoue fragilisé. "La nuit ça va. Je n'ai pas encore de cauchemars, mais en même temps j'ai des médocs. Je m'assomme et je tombe de fatigue", raconte-t-il. "Ce qui est dur c'est le réveil. Chaque réveil est difficile. C'est la première chose à laquelle je pense. J'y pense tout le temps. Ce qui revient surtout, c'est le passage où j'étais avec ma maman au sol. Où je tenais la tête de ma mère."  Le jeune homme a déjà vu deux psychologues : à la cellule de crise la mairie du 11e arrondissement, puis dans un hôpital. "J'ai décidé d'aller voir quelqu'un. De toute façon je ne m'en sortirai pas tout seul. On ne se sort pas seul de ce truc."

La culpabilité

Louis est intermittent du spectacle, machiniste. Le monde de la musique, les concerts, c'est son univers. Il a perdu deux amis au Bataclan. Il ne savait même pas qu'ils étaient eux aussi au concert. Tous deux sont morts à l'hôpital, dans le week-end, des suites de leurs blessures. En pensant à eux et aux nombreux autres, Louis est comme rongé : "C'est ça, en fait, le pire. Toutes ces victimes qui sont mortes, les blessés par balles. Se dire qu'on souffre alors que certaines personnes ont perdu des êtres hyper-chers, cette culpabilité de ne pas avoir fait plus que ce que je fais… d'être en vie alors que d'autres, non. Cette culpabilité de s'en sortir, en fait."

Depuis le week-end dernier, Louis suit les marques de soutien, la solidarité mondiale. C'est même son principal baume pour rester debout. "J'ai beaucoup de soutien de la part de tout le monde. Quand j'ai témoigné (sur France Info NDLR), je me suis dit que la plupart des gens n'entendraient pas ce que je dis. Et en fait, j'étais surpris par l'ampleur du truc. Quand j'ai vu le lendemain les illuminations des monuments, U2 devant le Bataclan. Obama... Ça m'a bouleversé. Ça m'a fait chaud au cœur. Il y a un truc qui m'a fait fondre en larmes, ce sont les imams qui sont venus chanter la Marseillaise devant le Bataclan. J'ai trouvé que c'était d'une profondeur ! Ça n'a pas de prix. S'il y a un mot, c'est ça ! De l'amour, de l'amour, de l'amour !"

"C'était un putain de bon concert en plus"

En revanche, pour ce qui est de la traque menée par les policiers, pour ce qui est des longs articles sur les profils des terroristes, ces hommes dont Louis a vu les pieds, a croisé les silhouettes, a entendu les voix, les cris au Bataclan, le garçon ne veut pas tellement en savoir plus. "Je suis hyper-distant de tout ce qui s'est passé à Saint-Denis. Le seul truc qui m'a fait de la peine, c'est qu'il y a deux mecs (des terroristes présumés NDLR) qui venaient de Bondoufle et Courcouronnes. C'est à 5 kilomètres de là où j'ai grandi. J'ai beaucoup de souffrance à me dire que des mecs qui viennent d'à côté de chez moi en soient venus là. Je n'en voudrai jamais à un pauvre gosse palestinien qui souffre depuis qu'il est né de se faire péter la gueule et de me faire péter avec. Par contre, là, ces mecs-là n'ont pas eu leur maison bombardée, ils avaient une carte Vitale, étaient soignés, avaient une couverture sociale, on a eu la même éducation... C'est une véritable aberration."

Louis n'arrive pas à retourner au travail pour l'instant. Il lit, écoute de la musique. Les Beatles, notamment, mais aussi les Eagles of Death Metal. C'était le concert auquel il assistait avec sa mère, vendredi soir au Bataclan. "Au début j'étais un peu réticent, mais oui, on a réécouté avec ma maman et on n'arrête pas de se dire la même chose…'C'était un putain de bon concert en plus'. C'était top et on y retournera. Et on n'espère qu'une chose, c'est qu'ils reviendront, parce que c'est plus fort que tout. Plus fort que ces barbares. Pour rien au monde je n'arrêterai d'aller aux concerts."

AOD : "Je ne m'en sortirai pas tout seul" - Louis rescapé du Bataclan s'est confié à Mathilde Lemaire

*Note du médiateur des antennes de Radio France :

Les propos – émouvants – tenus par Louis, rescapé du carnage perpétré par des terroristes vendredi 13 novembre au Bataclan, ont marqué de nombreux auditeurs et internautes. Certains d’entre eux ont été choqués (et nous l’ont écrit) par une de ses phrases sortie du contexte global de l’interview. Et nous pouvons le comprendre : prise isolément, cette phrase est choquante et peut sembler justifier le terrorisme. Certains imaginent même qu’elle vise une communauté religieuse particulière. Or, Louis ne fait qu’une comparaison « d’actualité » entre des terroristes qui étaient ses « voisins », qui n’étaient pas malheureux en France et dont rien ne justifie les actes abominables de vendredi, et des habitants dans une zone de conflit. N’oublions pas que Louis, comme toutes les victimes de vendredi dernier, a vécu un cauchemar et qu’il essaie de comprendre, de mettre des mots sur l’horreur qu’il a vécue. En écoutant l’ensemble de son témoignage, on comprend bien qu’il ne veut nullement attiser des haines, bien au contraire. Pour que chacun puisse se faire sa propre opinion – objectivement et sans parti pris  , nous avons décidé de laisser intégralement son témoignage sur le site de France Info.*

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