"Si tu appelles à l'aide, je te plante" : trois hommes jugés aux assises de Paris après deux guets-apens considérés comme homophobes

Deux jeunes hommes sont soupçonnés d'avoir séquestré, volé et extorqué avec une arme deux autres hommes, en janvier 2022, après un rendez-vous pris sur un site de rencontres homosexuel. Un troisième est suspecté d'avoir aidé et donné des directives.
Article rédigé par Violaine Jaussent
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
Le palais de justice de Paris sur l'île de la Cité, où se trouve la cour d'assises, photographié le 23 février 2023. (AMAURY CORNU / HANS LUCAS / AFP)

Tout commence par un échange sur le site de rencontres homosexuel Les Pompeurs. Le 22 janvier 2022, en début d'après-midi, Paul* fixe un rendez-vous avec un autre homme, inscrit sous le pseudo Eliasse9. Il convient de laisser la porte de son appartement ouverte et d'attendre son visiteur nu dans le noir. Mais quelques heures plus tard, c'est un homme porteur d'un pistolet, le visage dissimulé sous une capuche, qui s'approche de lui. Il réclame de l'argent. Paul résiste. L'agresseur lui assène un coup de crosse à l'arrière du crâne et enserre son bras autour de son cou. Paul consent alors à remettre son portefeuille et sa carte bancaire, d'après les éléments recueillis par les enquêteurs, auxquels franceinfo a eu accès.

Un deuxième homme rejoint le premier agresseur. Ensemble, ils dérobent le téléphone portable de Paul, sa console de jeux vidéo, son ordinateur, sa tablette et ses bijoux. Puis, ils s'enfuient, après avoir attaché avec du ruban adhésif les mains et les pieds de Paul. La victime parvient à se libérer et à se rendre au commissariat, où il porte plainte. Il dénonce, lors de son dépôt de plainte ainsi que lors de son audition durant l'enquête, des moqueries et des insultes liées à son homosexualité.

Interpellés en flagrant délit

Le scénario se répète chez Stéphane*, le 26 janvier 2022, aux alentours de 5 heures du matin. A nouveau, tous les objets de valeur sont dérobés. Cette fois, le premier agresseur le menace avec un couteau et, selon Stéphane, déclare : "Si tu cries, si tu appelles à l'aide, je te plante." Il le filme et le photographie afin d'acheter son silence, sur les ordres du deuxième agresseur. Celui-ci arrive sur place plusieurs heures plus tard. Les deux agresseurs échangent alors par téléphone et sur Snapchat avec un troisième homme, qui donne instructions et conseils pour procéder à des virements depuis les comptes bancaires de Stéphane.

La séquestration dure 48 heures au total, pendant lesquelles Stéphane assure que ses agresseurs le font "culpabiliser sur ses pratiques sexuelles", lui posent des questions sur les homosexuels, se moquent de lui et l'insultent. Profitant d'un moment d'inattention de ses ravisseurs, il parvient à alerter par mail un ami, qui prévient la police. Les forces de l'ordre se rendent au domicile de Stéphane et interpellent les deux agresseurs en flagrant délit. Ils sont immédiatement placés en garde à vue. Guillaume N. et Karim B. sont identifiés, puis mis en examen et placés en détention provisoire deux jours plus tard.

"Le seul mobile, c'est l'appât du gain"

Le troisième accusé, lui, n'a été identifié qu'en décembre 2022. Il s'agit de Guy N., un Ivoirien âgé de 22 ans à l'époque, qui reconnaît avoir échangé sur Snapchat avec Karim B. au début de l'année sur des sommes d'argent, mais nie avoir connaissance de la séquestration et être à la tête des opérations bancaires. Il assure avoir été "attiré par l'appât du gain". A l'issue de sa garde à vue, comme Guillaume N. et Karim B., il est néanmoins mis en examen et placé en détention provisoire pour extorsion avec arme, vol et séquestration en bande organisée et à raison de l'orientation sexuelle. Des chefs d'accusation pour lesquels les trois hommes sont renvoyés, mardi 28 mai, devant la cour d'assises de Paris.

Si les deux plus jeunes accusés, âgés de 18 et 19 ans au moment des faits, ont, dans un premier temps, nié tout comportement violent envers Paul et Stéphane, confrontés à eux dans le bureau de la juge d'instruction, ils ont finalement reconnu le coup de crosse de pistolet, la strangulation et les menaces. "Notre client reconnaît la grande majorité des faits : le caractère organisé, l'usage d'une arme, l'extorsion et la séquestration. Il a présenté ses excuses aux parties civiles tout au long de la procédure et exprimera à nouveau ses regrets sincères à l'audience", affirment à franceinfo les deux avocats de Karim B.

En revanche, Karim B. conteste le caractère homophobe, qui constitue une circonstance aggravante. "La qualité des victimes n'a pas motivé le passage à l'acte : le seul mobile, c'est l'appât du gain", assure Valentin Guégan, qui défend, aux côtés de Karim Morand-Lahouazi, le jeune homme. Jennifer Cambla, l'avocate de Guillaume N. conteste, elle aussi, la formule de "guet-apens homophobe". Les avocats rappellent que les deux hommes, tout comme Guy N., encourent la réclusion criminelle à perpétuité, indépendamment du caractère homophobe, mais en raison de l'extorsion commise avec arme et en bande organisée.

Des victimes visées "parce qu'elles sont homosexuelles"

A l'issue de leurs investigations, les enquêteurs ont toutefois la conviction que Karim B. et Guillaume N. "ont délibérément choisi de rechercher des victimes en raison de leur homosexualité". De fait, les accusés mettent en avant le choix de ces victimes "car il s'agissait d'hommes et qu'ils ne pouvaient agresser des femmes", "les personnes homosexuelles étant selon leurs propres déclarations moins méfiantes sur le mode opératoire". "Je n'aurais pas pu faire ça à une femme et à un gars hétéro. Je n'aurais pas pu rentrer chez lui comme je l'ai fait avec les homos", a ainsi déclaré Guillaume N. lors d'un interrogatoire.

"Tout le débat est là : un crime peut être considéré comme homophobe même s'il n'y a pas de haine homophobe. Mais on peut démontrer que des victimes sont visées parce qu'elles sont homosexuelles", insiste auprès de franceinfo Jean-Baptiste Boué-Diacquenod, avocat de Stop homophobie. L'association s'est constituée partie civile et intervient à la demande des victimes, pour les assister et appuyer le caractère homophobe des agressions. L'avocat rappelle que six jours de procès dans ce type d'affaire, devant une cour d'assises et non un tribunal correctionnel, est "assez peu commun". Et souligne : "Devant la multiplication des guets-apens homosexuels, c'est important d'arriver à traduire les auteurs devant une juridiction."

*Les prénoms ont été changés à la demande des victimes.

Commentaires

Connectez-vous à votre compte franceinfo pour participer à la conversation.