"On n'est pas au théâtre ici !" : des débats houleux au procès de Sophie Abida, jugée pour avoir soustrait ses enfants à leur père qu'elle accuse d'inceste

Cette mère de 38 ans accuse son ex-conjoint de viols sur leurs enfants, dont il a la garde exclusive. Elle a comparu en appel, mercredi, à Versailles, dans un climat mouvementé.
Article rédigé par Catherine Fournier
France Télévisions
Publié Mis à jour
Temps de lecture : 5 min
L'actrice Judith Chemla (G) et Sophie Abida (D), lors d'une action devant le ministère de la Justice, à Paris, le 26 septembre 2023. (ANNA MARGUERITAT / HANS LUCAS / AFP)

"La neutralité impose aux juges de garder à l'audience un comportement réservé face aux propos qui sont tenus devant eux." Ce principe, garant de l'impartialité des magistrats lors d'un procès, a été particulièrement mis à mal devant la 18e chambre correctionnelle de la cour d'appel de Versailles, mercredi 11 octobre. Sophie Abida, 38 ans, y était jugée pour soustraction d'enfants et pour des messages malveillants à l'encontre d'une juge aux affaires familiales. Cette mère de cinq enfants a médiatisé sa situation, notamment sur les réseaux sociaux, depuis que ses quatre derniers enfants, âgés de 8 à 2 ans, ont été placés chez leur père malgré les accusations de viols incestueux le visant.

Cette médiatisation de l'affaire et la présence de nombreux soutiens dans la salle d'audience, dont des personnalités comme l'actrice Judith Chemla, n'ont visiblement pas été du goût de la cour. "On n'est pas au théâtre ici", a lancé le président, refusant l'audition de témoins parmi les quatorze cités par la défense, au motif qu'ils n'étaient pas directement "en lien avec le dossier". Pendant sept heures, une durée exceptionnelle pour ce type d'affaires en correctionnelle, les parties se sont écharpées autour de ce cas emblématique des mères "désenfantées" ou "protectrices". Selon la Commission indépendante sur l'inceste et les violences sexuelles faites aux enfants (Ciivise), qui s'est mobilisée sur le sujet, ces mères sont "suspectées de manipuler leur enfant pour nuire à leur conjoint, en les accusant d'inceste, le plus souvent dans le contexte d'une séparation".

Yeux au ciel et invectives

Sophie Abida, condamnée en première instance, en avril, à dix mois de prison avec sursis après avoir passé trois semaines en détention provisoire, n'a guère pu s'expliquer, le président lui reprochant de faire de ce procès "une tribune". En grève de la faim "depuis vingt-trois jours", cette ancienne hôtesse de l'air s'est dite de nouveau persuadée que son ex-mari avait commis des "violences sexuelles" sur leurs enfants. Elle a répété avoir agi par "nécessité" en ne lui remettant pas la fratrie et en cachant la petite dernière pendant plusieurs mois. Son ancien conjoint, un ingénieur de 49 ans, a de son côté balayé ces accusations, ne pouvant donner "d'explications" aux déclarations répétées des trois aînés, dont certaines enregistrées et diffusées à l'audience.  

A plusieurs reprises, devant leur mère, la juge des enfants, les gendarmes ou encore le maître d'école, qui a confirmé à la barre, les enfants ont affirmé que leur père leur "touchait les fesses", "le zizi", "la zézette" et leur mettait "le kiki dans la bouche". Après le classement sans suite de l'enquête préliminaire par le parquet de Chartres, Sophie Abida a de nouveau porté plainte, avec constitution de partie civile. Un juge d'instruction vient d'être désigné pour reprendre les investigations sur ces accusations de violences sexuelles incestueuses.

Levant les yeux au ciel régulièrement et adressant des regards entendus à l'avocat général, le président n'a eu de cesse de recadrer les questions de la défense de Sophie Abida, notamment à l'égard des experts psychologues. La première a reconnu avoir préconisé le placement des enfants chez leur père sans avoir rencontré ni eux ni leur mère. Le second a confirmé avoir estimé que leur parole n'était "pas crédible", alors qu'il est recommandé, depuis le rapport du groupe de travail chargé de tirer les enseignements du traitement judiciaire de l'affaire d'Outreau, en 2005, de ne plus recourir au terme de "crédibilité" dans les expertises. S'offusquant des "rires" de la cour face à ce rappel, l'avocate principale de Sophie Abida, Pauline Rongier, s'est vu qualifiée d'"hystérique" par le président. Cris et protestations dans la salle. Menaçant à plusieurs reprises de faire sortir le public, le magistrat a laissé se dérouler l'audience dans un climat houleux, fait d'invectives de part et d'autre.

"Il faut que ce cirque s'arrête"

Lors de la seule suspension, l'avocat du père des enfants, Bertrand Lebailly, a confié n'avoir "jamais vu un tel climat", déplorant "une défense de rupture" avec une "dimension très militante". "Cette audience est symptomatique du dossier, il faut que ce cirque s'arrête", a-t-il ensuite plaidé. Et Bertrand Lebailly de rappeler les antécédents de Sophie Abida : sa condamnation, il y a dix ans, pour non-représentation d'enfant, sur fond d'accusations d'agressions sexuelles, lors d'une précédente union. "Je ne suis pas la seule à attirer deux hommes malsains dans sa vie", s'était justifiée l'intéressée à l'ouverture de l'audience. Un argument qui n'a pas convaincu la partie adverse. "Madame a la plus grande malchance qu'on puisse imaginer", a ironisé l'avocat de son ex-conjoint.

L'avocat général a pour sa part requis la même condamnation qu'en première instance. S'en remettant aux décisions judiciaires précédentes dans cette affaire, il a estimé que "l'état de nécessité" – qui aurait permis à Sophie Abida de ne pas remettre les enfants au père sans être inquiétée, en raison d'un danger pour eux – n'était pas "caractérisé". "On se demandait aujourd'hui qui comparaissait devant cette cour. Monsieur n'est pourtant pas encore mis en examen", a-t-il pointé. 

"Le caractère mouvementé de cette audience s'explique par la gravité insoutenable de ce dossier, par les révélations de ces quatre enfants. C'est pour eux que nous sommes là aujourd'hui", a répondu Pauline Rongier dans sa longue plaidoirie. Mêmes yeux levés au ciel en face, même impatience. Selon l'avocate, qui a ferraillé pour ne pas se faire confisquer la parole, "on est évidemment dans une problématique systémique" avec cette procédure "d'une absurdité et d'une cruauté folles". "Les éléments de preuve sont massifs mais ils sont contrecarrés à coup d'expertises bâclées. Il y a une inversion de la culpabilité", a-t-elle martelé, plaidant la relaxe.

Invitée à se lever pour ses derniers mots, comme le veut la règle, Sophie Abida a vite été interrompue par le président : "Je ne vous demande pas de polémiquer." Dans une ambiance aussi agitée qu'en début de journée, la décision a été mise en délibéré. Elle sera rendue le 29 novembre.

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